Première
par Frédéric Foubert
En Suisse, dans le chalet d’un grand dramaturge récemment décédé, une actrice répète le texte de sa prochaine pièce avec son assistante. Il y a deux versants dans la filmographie d’Olivier Assayas, deux tendances parfois contradictoires que son petit dernier essaie de concilier. D’un côté, le drame néo-tchekhovien, l’envie de se confronter à la pesanteur du temps et de l’histoire – appelons cela sa veine "L’Heure d’été". De l’autre, le goût pour la vitesse et les symboles de la modernité (iPad, Google, Skype...) chargés de faire sens – ça, c’est l’école "Demonlover". "Sils Maria" se situe au carrefour de ces inclinations, dans un entre-deux un peu flou, parfois très mou, qui donne l’impression que le réalisateur n’a pas réellement choisi le film qu’il voulait faire. Obnubilé par l’idée d’être aussi léger et volatil que ses personnages de hipsters globe-trotteurs, il échoue à saisir la densité mémorielle des montagnes suisses de "Sils Maria", contemplées en leur temps par Nietzsche, Proust ou Thomas Mann, mais réduites ici au statut de vignettes décoratives. Il n’est malheureusement pas beaucoup plus inspiré dans sa critique des images contemporaines – voir cet invraisemblable pastiche de blockbuster américain, qui donne l’impression qu’il n’a rien vu dans le genre depuis le "Flash Gordon" de 1981... Ces contradictions, Assayas finit pourtant par les résoudre en envisageant surtout "Sils Maria" comme un film d’actrices, une relecture light d’"Eve" ou de "Persona". Juliette Binoche, très diva, n’avait pas été aussi bien employée depuis longtemps. Et Kristen Stewart, d’une classe folle, est aussi instantanément iconique que dans "Les Runaways". Sa prestation, après celle de Robert Pattinson dans "The Rover", prouvera à ceux qui en doutent encore que les stars fabriquées par "Twilight" sont bien là pour durer.