Récompensé du Prix Un Certain Regard, ce premier long-métrage d’une jeune britannique prometteuse suit une bande de filles le temps de vacances de tous les excès. Entretien.
Il se passe actuellement quelque chose en Grande-Bretagne. Son cinéma volontiers ronronnant s’électrise. Les lignes bougent, une jeunesse s’empare des caméras pour offrir un regard neuf, du moins plus synchrone avec son temps. Et s’il ne faut pas évacuer Ken Loach avec l’eau du bain, il est rafraichissant de voir des jeunes réalisatrices comme Charlotte Wells (Aftersun), Charlotte Regan (Scrapper) et enfin Molly Manning Walker pour ce How to Have Sex, s’approprier leur réel pour l’interroger.
How to Have Sex raconte les vacances supposément joyeuses et émancipatrices d’une bande de lycéennes dans une station balnéaire de la Méditerranée. Parmi elles, Tara, à la fois discrète et énergique, va faire l’expérience, ici brutale, de sa « première fois ». Ce premier long-métrage d’une réalisatrice de 30 ans, peut se voir comme un Mektoub My Love, Canto Uno dont on aurait gommé la part supposément sacrificielle, celle qui voit la mise en scène éprouver jusqu’au trop plein, les situations. Car contrairement à Abdelatif Kechiche, Molly Manning Walker s’identifie viscéralement à ses héroïnes pour tenter de saisir le trouble provoqué par la violence d’un monde qui impose plus qu’il n’accueille le désir. Entretien parisien avec l’intéressée.
How to Have Sex remporte le Prix Un Certain Regard [palmarès]Aviez-vous des références précises lors de l’écriture de How to Have Sex ?
American Honey (Andrea Arnold, 2016) nous a beaucoup inspiré et notamment cette idée d’un personnage qui cherche sa vraie place au milieu d’un groupe plutôt chaotique. Cette vie en bande libère et en même temps emprisonne. A ma sœur ! de Catherine Breillat (2001) est aussi très important dans cette façon d’explorer le rapport au corps et à la sexualité d’une jeune adolescente. Une adolescente confrontée au regard des adultes qui ne veulent pas la comprendre. C’est un film beau et violent. Quant à la série Euphoria (Sam Lewinson, 2019), elle a guidé l’esthétique très pop du film tant au niveau de l’utilisation de la musique, des couleurs chaudes que de la chaleur fiévreuse qui émane des personnages. Je voulais retrouver cette transpiration dans mon cadre. Pour autant, ces références font partie de ma culture et ont rejailli de manière plus ou moins consciente. Pour l’écriture nous nous sommes surtout inspirés de la réalité. J’ai ainsi passé beaucoup de temps sur Tik Tok afin de voir comment les ados se mettent en scène, se racontent...
Quel genre de choses vues sur Tik Tok avez-vous ensuite reprises dans le film ?
Pendant la préparation du film, je me suis rendue à Malia en Crète dans l’hôtel où nous avons tourné le film. Un soir, depuis ma chambre d’hôtel, je voyais une bande d’ados qui hurlait, chacun avait son portable en l’air et filmait. Je suis allé sur mon compte Tik Tok pour retrouver la vidéo que le groupe avait forcément postée... Il n’y avait rien de particulièrement passionnant à voir, j’étais cependant troublée par cette double appréhension d’une même situation. D’une part, la réalité de la scène dont j’avais été le témoin oculaire et sa représentation quasi instantanée sur les réseaux où la perspective change forcément. C’est schizophrénique. J’ai essayé d’interroger ça dans mon film.
En termes d’écriture pure, est-ce que la prolifération des vidéos sur les réseaux sociaux a modifié votre perception de la mise en scène cinématographique ?
Mon travail de réalisatrice est d’interroger cette matière et de révéler cette différence qui existe entre ce qu’une jeune fille montre d’elle-même sur Tik Tok et ce qu’elle ressent véritablement au plus profond d’elle-même. A l’écran, je ne lâche quasiment jamais Tara des yeux, je traque ses moindres réactions.
Le tournage du film reposait-il sur un scénario précis ?
Chacune des scènes que vous voyaient dans le film a été pensée en amont. Pour autant, il était impossible de prévoir l’énergie qui va émaner du tournage. C’est ce qui rend le cinéma si excitant. L’illustration littérale d’un texte est ennuyeuse. Une fois que j’avais réussi à créer un groupe avec mes interprètes principaux, je leur laissais des espaces de liberté afin de capturer une vérité sur le vif. J’utilisais leur complicité. Ils avaient des choses à me donner que je ne pouvais pas préméditer. Tout ça est impalpable...
Y-a-t-il une part « documentaire » dans votre film ?
Non, je n’ai pas propulsé mes interprètes au milieu de « vraies » vacances. Tout est mis en scène. Les figurants ont été choisis et payés. Ils venaient tous de Grèce. C’était très encadré. Personne ne buvait d’alcool durant les prises. Nous avons tourné en novembre a une période creuse.
Comment vous est venue l’idée du film ?
A 16 ans, je me suis, moi aussi, retrouvée avec mes copines dans un hôtel comme celui-là pour des vacances loin de mes parents. J’ai vraiment assisté à ce jeu où des jeunes filles se retrouvent à pratiquer une fellation sur scène. J’ai repensé au choc que j’avais ressenti en voyant ça et à la façon dont je prétendais auprès des amies que je trouvais ça fun. Il nous était alors impossible d’avouer aux autres le caractère ignoble et traumatisant de ce spectacle. Cette parole est très difficile à libérer. Il a fallu que je prépare ce film, presque dix ans après les faits, pour que nous en reparlions entre nous et admettions nos véritables sentiments.
Comment avez-vous choisi vos actrices ?
En fonction de leur capacité à ne justement pas masquer leurs émotions face aux situations. Il fallait que chacune d’entre-elles n’idéalise pas leur personnage mais au contraire s’imprègne de sa fragilité.
Outre votre travail de réalisatrice, vous êtes chef opératrice de formation. Vous avez d’ailleurs signé la lumière de Scrapper de Charlotte Regan (en salles le 10 janvier) ...
Scrapper a été tourné un an avant How to Have Sex. J’ai beaucoup appris en voyant Charlotte [Regan] travailler. Elle a plus d’expérience que moi, elle s’est faite un nom dans le vidéo-clip et le monde du court-métrage avant de tourner ce premier long-métrage. J’admire la façon dont elle peut totalement revoir une séquence si elle ne fonctionne pas au tournage. Une autre réalisatrice moins expérimentée aurait insisté, là où Charlotte a tout de suite accepté de modifier ses plans. Ma mise en scène privilégie les gros plans sur les visages, j’aime être proche de mes comédiennes. Charlotte, elle, se tient plus à distance et parvient tout de même à capturer une forme d’intimité. C’était très intéressant à observer.
Peut-on parler d’une sorte de Nouvelle Vague britannique, avec l’émergence récente de jeunes réalisatrices ?
Oui. Il faut en cela remercier les producteurs exécutifs de la BBC ou de Film Four, de leur volonté affichée de donner la parole à des voix féminines. Nous sommes une génération qui a eu accès à des caméras dès notre plus jeune âge. Nous nous mesurerons sans problème à la génération d’au-dessus composée exclusivement d’hommes. Il n’y a pas de conflit entre générations, nous faisons juste des choses très différentes. C’est amusant et un peu étrange pour nous, jeunes cinéastes, d’entendre Ken Loach annoncer régulièrement sa retraite et repousser sans arrêt cette décision.
Est-ce que la notion de « regard féminin » a un sens pour vous ?
Il suffit de voir la façon dont la sexualité féminine est généralement montrée à l’écran. Il y a une grande part de fantasme masculin. C’est soit très graphique ou au contraire très brutal, comme si la personne derrière l’objectif ne pouvait envisager que ces deux options. J’ai envie de filmer la confusion, l’hésitation, le plaisir, la douleur... Il est intéressant de noter que lors des avant-premières, le public masculin est très réceptif à ce que montre le film. Il ne s’agit de mettre les filles et les garçons dos-à-dos mais bien de partager nos expériences qui bien souvent se rejoignent.
How to Have Sex. De Molly Manning Walker. Avec : Mia McKenna-Bruce, Shaun Thomas, Lara Peake... Condor Distribution. Sortie le 15 Novembre. Durée : 1h28.
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