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Les critiques de Première

  1. Première
    par Damien Leblanc

    Il faut bien s’y faire : situer un film dans les années 1990 relève désormais du récit historique et de la chronique d’un passé révolu. C’est le cas pour le réalisateur Nehir Tuna, qui raconte ici de façon semi-autobiographique le tournant de l’année 1996 en Turquie à travers l’histoire d’Ahmet, garçon de 14 ans envoyé dans un internat religieux par son père qui cherche à inculquer à son fils pureté et droiture. Mais la particularité du quotidien d’Ahmet est qu’il fréquente le jour une école privée laïque où l’ambiance idéologique est très différente de celle du pensionnat et des études coraniques qu’il retrouve le soir. Laïcité le jour et Islam la nuit : le tiraillement de l’adolescent illustre à merveille la profonde division de la société turque qui a vu le jour au milieu des années 1990, moment où le pouvoir islamiste s’est invité dans la vie politique et où des oppositions brutales ont secoué le pays. Cette toile de fond est surtout l’occasion pour le cinéaste de dresser le puissant portrait d’une adolescence bouillonnante où le jeune héros va, entre amitiés naissantes, troubles collectifs et amours frustrées, se forger sa propre vision du monde et trouver son indépendance au milieu d’entourages divers et variés. Ne reculant devant aucune tentation stylistique (l’intense noir et blanc de l’image laisse place en cours de film à des couleurs plus éclatantes), cette reconstitution d’une époque aux conséquences encore vivaces impressionne par son énergie et son ampleur sensorielle.