Depuis maintenant plusieurs années, les films Pixar sont devenus des psychothérapies de groupe traitant du deuil (Coco), de la mort et de la résurrection (Soul) ou des pulsions adolescentes dans ce qu’elles peuvent avoir de plus monstrueuses (Alerte Rouge). A côté Elémentaire paraît tout à coup très simple : c’est une histoire d’amour. On s’assoit devant le film et après un prologue, la rom com s’enclenche immédiatement. C’est le Boy meets girl classique, avec ce petit truc qui pimente n’importe quelle love story depuis des siècles : les différences culturelles (et sociales) vont compliquer le destin des deux héros. Pour la première fois de son histoire, le studio à la lampe se lance donc dans une histoire d’amour classique. On est quand même chez Pixar, et rien ne peut être aussi simple que prévu. Le vrai twist ici tient à l’univers dans lequel se déroule cette histoire. A Element City cohabitent le feu, l’air, la terre et l’eau - soit les quatre éléments imaginés par ce bon vieil Empédocle pour expliquer la marche du monde. Dans cette ville- décalque de Manhattan, une fille (Flamme, du peuple de feu) vive, chaleureuse et entière rencontre un garçon (Flack, un homme de l’eau) timide, pleurnicheur et très sensible. Ils se croisent par hasard puisque Flam innonde accidentellement la boutique familiale et qu’elle doit régler l’affaire avec cet inspecteur des services de l’eau, très à cheval sur le règlement, mais prêt à fermer les yeux pour que le commerce de la famille de Flam ne coule pas. A partir de ces prémices claires, l’histoire va multiplier (un peu trop) les intrigues secondaires. Elementaire va coup sur coup dérouler un récit sur l’immigration, une fable sur le vivre ensemble, un thriller autour d’une fuite gigantesque qui menace la ville, une histoire de succession avec accessoirement l’un des premiers sous-texte vraiment social du studio… mais le charme du film est ailleurs.
Dans la description de l’univers fou d’Element City. Il faudra revoir le film à la maison pour ne manquer aucun gag. Une maman flamme qui pousse son bébé flamme dans un barbecue ; des arbres amoureux qui cueillent chacun leurs pommes tendrement ; dans une tour aquarium d’un quartier huppé, on aperçoit par les fenêtres des salons aquariums ; les dunks des matchs de basket aériens s’évanouissent dans les nuages… C’est très mignon, gentiment poétique et surtout incroyablement designé. Car Pixar sort un peu de sa zone de confort esthétique : le film réussit à amalgamer différents styles graphiques, offrant une variété luxuriante et assez soufflante. 2D, 3D, graphisme aqueux, dessin stylisé et très fifties… le triomphe du film est esthétique (le design du peuple de feu est ce que le studio a fait de plus beau ces derniers temps).
L’autre qualité d’Elémentaire c’est sa pure idée poétique. Et qui rappelle accessoirement la grande force pixarienne : la « simplexité ». Rendre simple une idée complexe. Au fond, le film pourrait se résumer en une phrase. Comment représenter chimiquement le coup de foudre ? semble s’être demandé le réalisateur Peter Sohn. A quoi pourrait ressembler la transcription physique de ce que l’on ressent en tombant amoureux ? Réponse : en mélangeant l’eau et le feu. C’est aussi simple et aussi complexe que cela. Dans un univers qui ressemble à une incarnation du tableau de Mendeleiev, tout le film progresse donc vers ce moment où Flam et Flack se toucheront. Ce sont ces petits moments qui fondent la vraie beauté du film. L’instant où Flam et Flack se frolent et créent de la vapeur d’eau, leur ballet aquatique aussi magique qu’impossible (Flam enfermée dans une bulle d’air qui forcément s’amenuise). La puissance de cette idée, sa réalisation, est comme un écho des grandes trouvailles Pixar (et si les jouaient prenaient vie ? Et si les voitures parlaient ? Et si nous émotions s’incarnaient ?). Alors, oui, il y a des flottements. Certes, la rom com n’atteint pas toujours le rythme et la pureté des classiques dont ils s’inspirent (Indiscrétions de Cukor ou le New-York Miami de Capra). Mais pendant quelques instants, quelques scènes, on se dit que Pixar est revenu à son grand niveau. Et ça n’a pas de prix.