Ce soir, à partir de 21h10, France 2 diffuse en intégralité le documentaire Shoah de Claude Lanzmann. Retour sur un film essentiel.
Onze années ont été nécessaires à la réalisation de Shoah, entreprit par Claude Lanzmann à l’été 1973. Le film totalise 570 minutes et sort en France le 30 avril 1985. Cette somme s’impose d’emblée comme une référence cinématographique. De par son sujet - l’extermination des juifs d’Europe par les nazies durant la Seconde Guerre Mondiale -, et le choix de son traitement - succession de témoignages au présent -, Shoah a valeur de référent pour les historiens et de boussole pour la mémoire collective. Simone de Beauvoir écrit à sa sortie : "Il n’est pas facile de parler de Shoah. Il y a de la magie dans ce film, et la magie ne peut pas s’expliquer", ou encore "comme tous les spectateurs, je mêle le passé et le présent (...) c’est dans cette confusion que réside le côté miraculeux de Shoah."
Claude Lanzmann né en 1925 et mort en 2018, a d’abord été un héros de la Resistance française avant de devenir, après-guerre, une figure intellectuelle au côté du couple Sartre-de Beauvoir. Il intègre la revue Les Temps moderne dont il deviendra plus tard le directeur. En 1972, il réalise en parfait autodidacte Pourquoi Israël, portrait d’un pays et de ses vingt-cinq ans d’histoire, avant de s’attaquer à ce qui allait devenir son grand œuvre.
Manuel Alduy : "Shoah est une expérience douloureuse, mais qu’il faut vivre""Il n’y a pas de film sur la Shoah..."
Shoah est une commande plus ou moins formelle faite à Claude Lanzmann par le directeur du département au Ministère des Affaires étrangères israélien. Dans son autobiographie, Le lièvre de Patagonie, le cinéaste se souvient des mots de cet officiel à la sortie de Pourquoi Israël : "Il n’y a pas de film sur la Shoah, pas un film qui embrasse cet évènement dans sa totalité et sa magnitude, pas un film qui le donne à voir de notre point de vue, du point de vue des Juifs..." Dont acte.
De son propre aveux, Lanzmann avait alors une connaissance très succincte de cette tragédie responsable de la mort de près de six millions de personnes entre 1939 et 1945. Aidés notamment par les travaux de l’historien Raul Hilberg, le cinéaste se plonge dans les méandres cauchemardesques de la barbarie nazie. Deux lignes de force vont dicter son travail. La première tient lieu d’une révélation quasi mystique. Shoah ne parlerait pas de « la survie » mais de « la mort », les vivants s’effaceraient derrière les victimes muettes, le "nous" remplacerait le "je".
Pas d’images d’archive
"Mon film devrait relever le défi ultime : remplacer les images inexistantes de la mort dans les chambres à gaz. Tout était à construire...", écrit le cinéaste, toujours dans son autobiographie. Et cette "construction" ne passera pas par une reconstitution. C’est sur les lieux mêmes de la barbarie (en Pologne principalement) que Claude Lanzmann se rend. Si la nature à en partie recouvert les stigmates de l’horreur, la force des témoignages permet aux plaies de dévoiler leur béance. C’est cette "magie" dont parlait Simone de Beauvoir.
La seconde intuition se déduit de la première. Dans Shoah, le passé se conjugue au présent. Le cinéaste bannit d’emblée les images d’archive qui selon lui falsifient le réel plus qu’elles ne le révèlent. Lanzmann "fabrique" lui-même ses images et se retrouve ainsi garant de leur pleine authenticité.
Un choix moral plus qu'esthétique qui fera du cinéaste le pourfendeur de toutes représentations fictionnelles ou documentaires de la Shoah. Steven Spielberg et sa Liste de Schindler en feront les frais à sa sortie en 1994. Claude Lanzmann écrit:
"La fiction est une transgression, je pense profondément qu'il y a un interdit de la représentation. En voyant La liste de Schindler, j'ai retrouvé ce que j'avais éprouvé en voyant le feuilleton Holocauste. Transgresser ou trivialiser, ici c'est pareil: le feuilleton ou le film hollywoodien 'transgressent' parce qu'ils 'trivialisent', abolissant ainsi le caractère unique de l'Holocauste."
"Claude a fait de vous un témoin..."
Shoah se construit une multiplication des témoignages des victimes (installés pour la plupart en Israël), des témoins mais aussi des bourreaux. Le film se découpe en deux parties : la première et la deuxième époque, pour une durée avoisinant les 10 heures. Le film a obtenu un César d’honneur en 1986.
A l’enterrement de Claude Lanzmann, en juillet 2018, voilà ce qu’écrivait Arnaud Desplechin, l’un des plus fervents admirateurs de son travail :
"... Claude a fait de moi, de chacun de vous, un témoin (...) Il m’a fallu Shoah et sa formidable puissance d’incarnation pour prendre la mesure du monde dont j’héritais, du monde dans lequel je vis, de l’art que j’ambitionne. C’est Lanzmann qui a mis pour moi les choses à l’endroit."
Shoah de Claude Lanzmann, est diffusé en intégralité sur France 2, à partir de 21h10 le mardi 30 janvier 2024. Puis disponible en replay pendant un mois sur le site de France Télévisions
🎥 Pour le devoir de mémoire et d’informer.
— France Télévisions (@Francetele) January 30, 2024
À l’occasion de la Journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité, (re)découvrez “Shoah”, le film-monument de Claude Lanzmann.
📲 Ce soir sur France 2 et disponible pendant 30 jours sur @FranceTV pic.twitter.com/KmWeEclnzn
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