Toutes les critiques de Una questione privata

Les critiques de Première

  1. Première
    par Thomas Baurez

    D’entrée, une brume grise empêche de voir l’horizon. Tout au plus distingue-t-on deux silhouettes qui gravissent une montagne. Presque à l’aveugle. Nous sommes à l’été 43 dans le Piémont. L’Italie tout entière nage dans un épais brouillard. Les deux hommes en question sont des partisans qui luttent contre le fascisme. L’un finit par rebrousser chemin. L’autre se retrouve bientôt devant une fière bâtisse. Et soudain tout s’éclaire. Le cadre retrouve toute ses couleurs. Le drame intime peut se lover dans celui de la grande Histoire. Somewhere over the Rainbow crépite sur un vieux tourne-disque. Les vocalises lumineuses de Judy Garland lancent le flash-back et dessine les contours d’un mélo : Milton aime Fulvia qui aime en secret l’ami de celui-ci, Gorgio. La clarté du passé laisse de nouveau place à un présent sans perspective qu’il va falloir recomposer. Milton - puisque c’est lui dont il s’agit - va bientôt redescendre dans la plaine pour rechercher Gorgio. Celui-ci est prisonnier des fascistes donc promis à une mort certaine. Milton va tout faire pour sauver cet ami, ce rival de cœur. Ce Una questione privata sera le dernier film des frères Taviani après la mort de Vittorio le 15 avril dernier. Nul ne sait si Paolo fera désormais cavalier seul. On peut toutefois voir dans ce  film qui renoue avec la force tellurique et poétique de leur œuvre la plus célèbre Padre, Padrone - Palme d’or en 1977 - où la terre sarde durant le Seconde Guerre Mondiale servait de cadre à une émancipation rocambolesque, une boucle se refermer. Mais loin d’un retour vers un passé glorieux, les frères Taviani continuaient ici d’accompagner les évolutions de leur art. La grande révolution narrative a eu lieu il y a 6 ans avec leur César doit mourir et l’utilisation inédite pour eux de l’image numérique. Contrairement à certains de leurs confrères mal à l’aise avec la perfection engendrée par la haute qualité, les Taviani en ont tiré profit. La grande netteté de l’image n’est pas un obstacle, et lorsqu’elle le devient, c’est que le récit a quelque chose à nous dire, comme cette brume tenace qui vient ici contrarier le combat de leur héros tout au long du récit. Une belle leçon de modernité en somme.