Toutes les critiques de New Rose Hotel

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    On croyait avoir touché du doigt la semaine dernière les limites de la politique des auteurs devant les critiques enthousiastes du dernier Clint Eastwood, thriller juridique dont on n'aurait pas passé les défauts à Joel Schumacher ou à... James Ivory et que d'aucuns ont qualifié de demie-réussite sur le simple nom de son auteur.
    Abel Ferrara bénéficie, sur le crédit de plusieurs véritables chefs d'oeuvre (King of New York, Bad Lieutenant et The Addiction), de ce crédit de sympathie qui pourrit le jugement et impose, dans le pire des galimatias, de trouver un sens caché et le signe d'un talent intact. New Rose Hotel est un mauvais film qui contient, en son sein, l'heure de cinéma la plus ambitieuse et la plus enthousiasmante du cinéma bricolo-américain depuis...Orson Welles.Il faut bien se rendre à l'évidence : après le prétentieux ratage qu'était The Black Out, New Rose Hotel continue de creuser le fossé entre Ferrara, son cinéma et le grand public. Si, dans The Black Out, la faillite reposait presque essentiellement sur un scénario débile -; Ferrara s'est d'ailleurs débarrassé ici de son scénariste attitré et allumé Nicholas Saint John pour emprunter une nouvelle de William Gibson -; qui réussissait à desérotiser le duo Béatrice Dalle/Claudia Schiffer en nous servant une soupe métaphysique sur l'homme et ses trous noirs, confondant montage, mémoire et petite mort, dans New Rose Hotel, Ferrara ne doit s'en prendre qu'à lui-même.Bâti sur un scénario astucieux d'espionnage industriel haut-de-gamme, l'Hôtel en question part sur un rythme prometteur. Dans une société déshumanisée et ultra- capitaliste, un dandy gangster (le génial Christopher Walken) et son ami séducteur anonyme (l'impeccable Willem Dafoe) décident d'organiser le transfert d'un génie de la biochimie au profit d'une firme asiatique en se servant d'une pute de luxe interprétée par la glamourous Asia Argento. L'idée est de mettre dans les pattes et accessoirement dans le pieux du japonais magique, la fille du plus grand réalisateur italien de films d'horreur pour l'amener à quitter sa propre femme et accepter de mettre ses talents aux services de la nouvelle entreprise. Dans le monde moderne, le sexe remplace le pognon et s'affirme comme la seule donnée marchande qui a encore le pouvoir de changer les vies. Dafoe, obsédé par le mythe du " dernier grand coup " (de brigand et de queutard), oublie l'espace d'un instant qu'entre le cul et le cynisme se glisse parfois l'amour et que celui-ci, plus facilement contrefait qu'un vulgaire biffeton de cinq cents dollars, a, depuis l'aube des temps, le pouvoir maléfique d'affecter le jugement. L'issue du film, dont on ne dira pas plus, n'est jamais autre chose que ce qu'on nomme, en cinéma et ailleurs, le principe de l'arroseur-arrosé.La véritable originalité du film, très réussi jusqu'à sa fin narrative -; malheureusement 20 minutes avant la fin officielle -; est de ne pas montrer ce dont on parle. Le monde pourri est suggéré par une série de documents vidéos assez crades mais qui disent très bien où en sont les rapports humains. En noir et blanc, on voit le génie s'envoyer en l'air avec une trôlée de danseuses SM, de cadres supérieurs et de chercheurs pour lesquels les boîtes aménagent des lupanars privés. Le monde est réduit à une enfilade de corps luisants emmaillotés dans des tenues de cuir et de chambres d'hôtel en surimi, sombres et stroboscopées. En technicolor et 35 mm, les répétitions d'Asia Argento et des deux brigands font, par comparaison, presque figure d'intermèdes insouciants. Le truc de la pute qui emballe une loutre naïve ne paie plus. Le Mal classique -; incarné par Walken, que Ferrara a voulu proche du Quinlan interprété par Welles dans La Soif du Mal -; est dépassé par des forces plus conquérantes que lui et que Ferrara évite avec une sage précaution de dévoiler.L'ensemble du rituel théâtral qui constitue la première partie du film -; Asia s'essaie au jeu de l'amour et du hasard, baise comme si, baise comme ça -; apparaît comme une bonne blague comparée aux moyens qui seront mis en oeuvre par les industriels pour flinguer le scientifique. La mort de celui-ci et d'une vingtaine d'autres personnes dans l'incendie du labo de Marrakech est le véritable événement du film. Le capitalisme concurrentiel ne se contente plus de porter le profit à son maximum mais s'énonce comme volonté de puissance et, par là- même, comme déchaînement de forces assassines. La fin de Walken marque le désespoir des gangsters de cinéma, flamboyants et baladins -; Fox danse à plusieurs reprises dans le film -; devant le caractère volontairement non spectaculaire des horreurs à venir. Ferrara a l'ambition avec New Rose Hotel de tourner le dernier film d'espionnage de l'Histoire du Cinéma en s'appuyant sur la certitude que l'embrouille n'est plus montrable et d'actualité. Qu'il faut être un sacré faux-cul pour faire des polars avec des truands à visage humain. C'est une réussite totale.L'erreur de Ferrara est de croire que sa démonstration n'est pas suffisante après une heure et de vouloir en rajouter. Dafoe, seul rescapé du massacre, se prend alors à réfléchir sur ce qui s'est passé. Sans que cette réflexion soit tout à fait superflue et inintéressante (le jeu sur le montage rappelle le De Palma de Snake Eyes pour le moins bon, l'Immemory de Chris Marker en moins réussi), elle amortit la chute du spectateur que l'on avait vu salement sonné après l'explosion sèche et brutale du laboratoire -; racontée par un flash info -; et qui, du coup, prend ce didactisme pour une insulte à son intelligence en même temps qu'un attentat contre son plaisir de voyeur. Ferrara, qui avait réussi son coup (vider le polar de sa substance, solder l'amour et toutes les niaiseries qui vont avec contre de la méchanceté pur jus), saborde alors sa propre fin en montrant ce qu'il reste après lui : de l'ennui, de l'emmerdement et du trouble. Ce qu'il ne faut pas faire quand on fait du cinéma même d'auteur. Alors qu'il avait réussi à faire aussi bien que Welles en une demie-heure de moins, l'Abel fait ensuite pire que tous les tacherons du cinéma réuni sans tourner une image de plus, ce qui fait dire parfois que la maîtrise du final-cut par le réalisateur n'est pas toujours une bonne chose.Pour éviter d'en arriver là, on conseillera au spectateur s'il veut voir le film de cinéma le plus intéressant de ce début d'année de quitter la salle à vingt minutes de la fin. Ce n'est pas une chose qu'on aime faire mais on ne voit pas d'autre moyen de préserver la pureté de ce joyau qui, jusque dans sa longueur inhabituelle (1 heure), défie les lois du genre et ne méritait pas d'être conclu aussi salement.New Rose Hotel
    De Abel Ferrara
    Avec Asia Argento, Christopher Walken, Willem Dafoe
    Etats Unis, 1998, 1h30.