Toutes les critiques de Barbie - Le Film

Les critiques de la Presse

  1. par Edouard Orozco

En 2019, on apprenait que le premier film Barbie en live action de l’histoire serait écrit par Greta Gerwig et Noah Baumbach. Oui, le duo chéri du cinéma newyorkais, qui avait signé quelques films en commun, dont Frances Ha, et pondu chacun de leur côté des pépites indé comme Ladybird (Gerwig) et Marriage Story (Baumbach). Pourquoi avaient-ils accepté un tel projet ? Quelle mouche avait bien pu piquer Warner Bros. et Mattel pour le leur confier ? Tant de questions nous submergeaient au moment de cette annonce. 

Quatre ans plus tard, presque jour pour jour, Barbie arrive au cinéma et on se demande toujours comment ce film a pu naitre. On a beau se le répéter, avoir suivi toute la promo et vu le film, la crédulité est intacte. Mieux, elle est encore plus grande. Car on a dû mal à s’expliquer comment CE film existe. Par quel miracle Hollywood a-t-il donné le feu vert à cette adaptation de la plus célèbre poupée du monde et laissé une telle liberté à ses auteurs ? 

La patate chaude d’Hollywood 

Un film Barbie en prises de vues réelles, Mattel en rêve depuis des années. En 2009, la compagnie signe un premier partenariat avec Universal Pictures. Le potentiel est énorme. Tout le monde connait Barbie dans le monde, elle est de loin la numéro 1 de sa catégorie. C’est l’intellectual property par excellence, le type de marque incontournable qu’Hollywood rêve d’exploiter. Laurence Mark, qui vient de produire Julie & Julia, est chargé du projet, mais il n’aboutira pas. 

En 2014, Barbie atterrit chez Sony Pictures. Et les choses deviennent sérieuses. Une scénariste (Jenny Bicks) est nommée, et Amy Schumer choisie pour le rôle principal. Finalement, elle doit se retirer, Anne Hathaway la remplace et Alethea Jones est retenue pour réaliser le film. Mais Sony tergiverse, décide de changer de direction et perd finalement les droits du film. La scénariste Diablo Cody (Juno), qui avait été chargée de retravailler le script, regrettait il y a quelques jours qu’on ne lui ait pas laissé assez de liberté créative… 

Quand la patate chaude Barbie arrive finalement chez Warner Bros., Anne Hathaway abandonne le rôle au profit de Margot Robbie, qui devient en prime productrice. A l’été 2019, Greta Gerwig et Noah Baumbach débarquent pour écrire un tout nouveau script. On leur promet de leur laisser les mains libres. Quelques mois plus tard, le COVID arrive. Le couple se retrouve confiné et décide d’écrire dans son coin le film Barbie le plus dingue possible alors qu’on se demande si le cinéma n’est pas tout simplement mort. "Ils ne nous laisseront jamais faire ce film", se dit Robbie après avoir lu le scénario. Elle avait tort. 

Elle peut tout faire 

Enthousiasmée par le résultat, Greta Gerwig décide de mettre en scène elle-même Barbie. Dès lors, ce sera SON film. Entre temps, la réalisatrice de Lady Bird a fait Les Filles du Docteur March, un film blindé de stars (Meryl Streep, Florence Pugh, Timothée Chalamet) avec un budget conséquent (45 millions de dollars) qui a notamment été nommé à l’Oscar du meilleur film et à l’Oscar du meilleur scénario adapté. Son statut a changé, l’état d’esprit d’Hollywood vis à vis des réalisatrices aussi. Elle veut faire Barbie comme bon lui semble, et Mattel, désireux de poursuivre la modernisation de l’image de son jouet, n’a pas vraiment de bonnes raisons de l’en empêcher. 

Greta Gerwig s’est visiblement amusée comme une folle à écrire et tourner Barbie. Et on prend à peu près autant de plaisir en le visionnant. Dès la scène d’ouverture montrée dans le premier teaser, parodiant 2001 : l’Odyssée de l’espace, le ton est donné. Entre irrévérence et respect, elle a pris le parti de s’approprier Barbie, de la faire parler et de parler à travers elle, de la glorifier et de la moquer. Mais toujours avec la tendresse nostalgique de la petite fille qui jouait avec les Barbie de ses voisines parce que sa mère refusait de lui en acheter. Un regard bienveillant sur la poupée, parfois tant critiquée (et critiquable), qui vise presque toujours juste. 

Le film n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat, opposant le fantasme de la Barbie symbole d’émancipation féminine, qui règne en maitresse sur Barbie Land, à la cruauté du monde réel, où elle incarne plutôt les symptômes du sexisme et du capitalisme, au point d’être rejetée et ringardisée par les adolescentes d’aujourd’hui. Et il utilise ce jeu de miroir comme un prétexte parfait pour questionner notre société, mais aussi le monde de Barbie. Quand Ken découvre le patriarcat, plus rien ne sera comme avant… 

Le spleen de Barbiet et Ken 

Sous un déferlement de rose, Barbie mélange la comédie pure, et parfois vraiment absurde, au commentaire social avec beaucoup de malice et de subtilité. Et derrière les paillettes, les costumes incroyables et les chorégraphies millimétrées, on suit avec délectation les trajectoires de Barbie et Ken, pour lesquels Gerwig et Baumbach ont mené une étude de personnage en profondeur. Qu’est-ce que ça fait d’être une poupée en plastique sans appareil génital ? Et d’être son petit copain faire-valoir (un véritable toy boy !), condamné à surveiller une fausse plage avec une fausse mer en carton ?

Barbie est un film. Non, Barbie est une somme de films. C’est un film sur Barbie, un film sur Ken, un film sur le patriarcat et le féminisme, un film sur une relation compliquée entre une mère et sa fille. Et, ne nous leurrons pas, parfois une publicité géante destinée à nous refourguer du merchandising et rendre à nouveau cool Barbie pour ceux qui l’avaient mise au placard (tout en égratignant la direction de Mattel avec Will Ferrell en PDG sans foi ni loi). Mais surtout pas une litanie de références et de clins d’oeil sans âme à la Super Mario Bros. Ni un trou noir meta pop façon La Grande Aventure Lego. Barbie préfère invoquer Le Magicien d’Oz, Les Chaussons rouges et Les Demoiselles de Rochefort que Batman et Star Wars. 

Greta Gerwig a voulu mettre beaucoup de choses dans son Barbie. Peut-être un peu trop ? Malgré sa durée de près de 2h, les autres Barbie et Ken ont dû mal à exister dans l’ombre de Margot Robbie et Ryan Gosling, absolument flamboyants et habités dans ces rôles pour lesquels ils semblent être nés. La Weird Barbie incarnée par Kate McKinnon et l’irrésistible Alan (Michael Cera) tirent clairement leur épingle du jeu face aux photocopies, certes très diverses, du duo. La plupart ont pour seules lignes de dialogues des "Hi Barbie !" et "Hi Ken !", comme la chanteuse Dua Lipa, visiblement venue pour la promotion et la bande originale. 

La promo, justement. Entre teaser, bandes-annonces, extraits et autres spots TV, Barbie en a trop montré, comme la plupart des blockbusters modernes. Mais contrairement à The Flash, il a su mine de rien préserver une partie importante de son intrigue (qu’on sera gardera donc de vous révéler), et laisser suffisamment de surprises aux spectateurs pour ne pas tout gâcher. Etonnant et détonnant, Barbie nous épate jusque dans son long dénouement, aussi drôle que touchant. Et on se dit, naïvement, qu’une nouvelle ère pourrait enfin s’ouvrir pour les blockbusters d’auteurs. A condition qu’Hollywood leur permette de travailler…