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A l’occasion de la sortie de Knight of Cups, quatrième collaboration entre Terrence Malick et Emmanuel Lubezki, retour sur les films les plus fous éclairés par celui qu'on appelle Chivo, sans doute l’un des meilleurs chef op de sa génération.

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Sleepy Hollow de Tim Burton

Après une première nomination à l’oscar pour La petite princesse, Lubezki est appelé sur Sleepy Hollow, que Tim Burton lui présente comme l’histoire "d’un homme qui vit constamment à l’intérieur de sa propre tête, et celle d’un autre qui n’a plus de tête du tout". Pour obtenir les couleurs et l’ambiance hivernales voulues par Burton, sans oublier l’esthétique picturale inspirée des films de la Hammer, Lubezki tourne en studio, créant pour l’occasion un système d’éclairage artificiel sophistiqué monté sur une combinaison de 3 grues. La scène de souvenir fantasmé est un exemple extrême de stylisation, avec ses décors expressionnistes et ses éclairages ultra contrastés.  

"Je connaissais la plupart des films Hammer – les Dracula, les Frankenstein – sans être un grand fan, comme peut l’être Tim. Je les ai trouvé amusant, un peu camp ce qui n’était pas la manière dont ils ont été conçus je pense… Mais notre vraie référence c’était Black Sunday. Le film est fascinant, surtout à cause de ses images très nettes, très forte.

Mais je ne pense pas que Sleepy Hollow ressemble à un film Hammer. Sauf peut-être dans la manière dont il a été fait. Nous avons travaillé en studio pour essayer de retrouver le feeling de ces « films classiques ». Les films Hammer étaient fait comme ça parce qu’ils étaient fauchés. Tim lui recherchait un look très pictural, très synthétique. Tourner de cette manière nous permettait aussi de controler la couleur, les contrastes et les éléments saisonniers comme le brouillard et le vent. Nous cherchions à trouver notre réalité dans un monde totalement théâtral".

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Les fils de l’homme d'Alfonso Cuaron

La séquence du guet-apens est si forte et inattendue qu’on ne remarque même pas qu’il s’agit d’un plan séquence d’une grande complexité, ce qui n’a au fond aucune importance. Depuis, elle a été si commentée qu’on n’ignore plus rien de ses secrets de fabrication.  Le véhicule a été aménagé de façon à laisser le champ libre à la caméra quelle que soit sa position, quitte à escamoter les acteurs. Une autre séquence impressionnante a lieu à la fin du film, pendant l’assaut d’un immeuble. Il s’agit d’un montage de plusieurs plans, les soudures étant invisibles.

"On voulait que Les Fils de l’homme ressemble à un documentaire. De la lumière naturelle au maximum. Et généralement, je regarde beaucoup de films et j’écoute beaucoup de disques avec le réalisateur pour avoir une idée du ton ou du style à adopter. Pour avoir un langage commun. Mais sur ce film, avec Cuaron, nous n’avons regardé qu’un seul long-métrage, La Bataille d’Alger. Moins pour le style d’ailleur que pour une certaine énergie et son naturalisme. Et puis nous nous sommes imergés dans les photographies de guerre… C’étaient nos seules références. Il y a eu de gros moments d’émotions sur ce tournage. Je me souviens que quand nous avons fini le tournage de la scène de la voiture, l’un des techniciens s’est mis à pleurer. Il y avait eu tellement de pression que quand il s’est aperçu que nous avion fini et que le plan était vraiment réussi, il s’est simplement mis à pleurer".

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Le Nouveau Monde de Terrence Malick

Première collaboration entre Lubezki et Malick. Sorte de Barry Lyndon marécageux, ce poème élégiaque est une relecture de l'histoire de Pocahontas (l'Indienne éprise de l'officier anglais John Smith) et montre le choc entre l'empire indigène des Powhatan et les trois caravelles de colons affrétées par le royaume britannique. La structure du Nouveau Monde est proche de celle de la Ligne rouge : le débarquement, la rencontre avec les autochtones, le danger et l'émerveillement au milieu d'une nature souveraine et indifférente à la présence des hommes, l'explosion soudaine de violence puis le morne repli du désenchantement après le massacre... Et puis il y a la photo folle, chatoyante, minérale ou touffus de Chivo.

"Quand Terry m’a approché il m’a d’abord parlé d’un film sur la vie de Che Guevara. Nous avons commencé à écrire quelques règles très simples pour réaliser ce film. Notre dogme. Il fallait capturer la réalité de la vie d’un homme uniquement avec la lumière naturelle, sans grue. Il fallait que ce soit subjectif. Le point de vue de l’homme. Quelques temps plus tard, Terry m’appelle et me dit : « nous ne ferons pas le Che, mais j’ai une histoire sur la fondation de notre pays. Et le dogme, la logique narrative pourrait être identique. Evidemment ce projet m’intéressait : pas de lumière, tout à la main et surtout en steadycam. Au départemnt caméra on avait l’impression d’être comme les équipes de journalistes news, on capturait la réalité devant nous. C’était juste la réalité d’une autre époque".

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Ali de Michael Mann

Pour Ali, Michael Mann décide de privilégier l’authenticité à tous les niveaux : son acteur Will Smith s’entraîne pendant des mois pour boxer et se transformer physiquement. Et Mann fait appel à Emmanuel Lubezki pour capturer les moments décisifs, tournés quand c’est possible sur les lieux mêmes où ils se sont produits. Ce n’est pas la cas pour l’historique match contre Foreman, qui a eu lieu au Zaïre et devait permettre à Ali de reprendre son titre de champion du monde. L’évènement a été recréé au Mozambique au milieu d’un foule de 30000 figurants. Le match lui-même traduit à la fois le tumulte intérieur du boxeur qui a encore des moments de doute, et sa stratégie qui consiste à simuler le manque de concentration

"99 % du film est en steadycam. Pour le rythme et aussi pour coller au personnage, être le plus proche de lui. Ce fut un tournage intense. Pour moi comme pour Michael qui réalisait là son premier film en numérique. On essayait beaucoup de choses. Par exemple on s’est aperçu en cours de route qu’il faudrait garder beaucoup de bruit. Ca donnait de l’intensité et surtout ça donnait un look très raw, presque documentaire que recherchait Michael…"

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Gravity d'Alfonso Cuaron

On pourrait écrire plusieurs livres sur l’inoubliable premier plan-séquence de Gravity : ce qu’il signifie, ce qu’il invente, ce qu’il confirme, ce qu’il implique en terme de langage cinématographique, pourquoi il fonctionne malgré son recours aux artifices. Pour le réaliser, il a fallu concevoir un appareillage dont on ne savait pas jusqu’à la veille de la production s’il allait fonctionner. Encore un défi technique pour Lubezki, mais sa capacité à les résoudre semble infinie.

"Contrairement à ce qu’on imagine, l’espace n’est pas noir. L’environnement lumineux est radical, d’autant plus qu’il n’y a pas le filtre de l’atmosphère, mais il est d’une richesse incroyable. Et c’est notamment grâce à la réverbération de la Terre : elle reflète toute une variété de lumières. Quand le soleil est face à l’océan, la lumière est très froide. La lumière est d’une blancheur immaculée quand les rayons du soleil frappent les nuages, et plutôt chaude quand le soleil éclaire le sol. Et puis la lumière change très vite : je crois qu’un cosmonaute voit quatre couchers et levers de soleil en une seule journée. Enfin, il y a tous les reflets de l’équipement des cosmonautes et la lumière lunaire. Nous avons vraiment voulu exploiter toute cette richesse au cours du film. C’était l’un des plus gros paris de ce film fou".

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The Tree of Life de Terrence Malick

Troisième collaboration avec Terrence Malick, Emmanuel Lubezki entame une expérience radicale qui consiste à n’utiliser que la lumière naturelle. Les contraintes sont fortes mais les avantages nombreux, cette approche permettant d’obtenir des résultats infiniment plus riches et subtils qu’avec une lumière artificielle.Un des objectifs de Malick fonctionne à plein, ses images ayant la capacité d’évoquer chez le spectateur une impression de déjà vécu, comme si ses propres souvenirs d’enfance étaient universellement partagés.

"Quand nous avons tourné Le Nouveau Monde, nous tournions encore selon les méthodes classiques, suivant la manière dont sont tournés la plupart des films. Avec un agenda, des plannings, et des scènes, pourtant, il n’y avait pas d’histoire. Sur Tree Of Life, nous avons voulu essayer d’autres choses, rester « ouverts ». Ce fut un échec complet, mais les rares moments où nous avons réussi à filmer de belles choses, ces choses-là étaient beaucoup plus puissantes que tout ce que nous avions fait précédemment".

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À La merveille de Terrence Malick

Troisième collaboration entre Chivo et Malick. Pour certains, le plus beau film du monde. Un chef d’œuvre de grâce solaire. À La merveille est le film le plus fragile, le plus personnel, le plus poétique de Malick. Le cinéaste pose sur sa jeunesse, sa religion, ses amours, un regard émerveillé. Le genre de regard qui fait que dès les premières minutes, les yeux s'écarquillent et les visages s'illuminent. Aucune féérie pourtant, aucune vision surnaturelle qui ferait retourner en enfance. Malick filme simplement le Mont St Michel, Paris, un couple qui s'enlace. La campagne verdoyante. Avec Lubezki, il capte la lumière du soleil et ses reflets sur la mer ou la pierre de la Merveille. Ils regardent des bisons encercler une voiture. Des rideaux voler dans une maison vide... Et ces plans sont à couper le souffle. 

"Tree Of Life parait encore un peu conventionnel – très Burbank – par rapport à ce film. Terry ne l’a jamais dit comme ça, mais j’ai l’impression qu’il essayait de séparer A la merveille des autres formes de mise en scène, des films encore très connectés au théâtre – des films qui paraissent joués, préparés, où l’on sent les répétitions. Sur ce film nous avons essayé de trouver une approche littéralement cinématographique , nous voulions utiliser le langage filmique d’une manière autonome, sans rapport avec le théâtre ou la littérature. Terry veut que son art trouve un moyen idiosyncratique d’exprimer les idées et les émotions. Et c’est pour cela que ce film est aussi excitant".