Eternal Sunshine of the Spotless Mind
Le coup de coeur de Première à l'époque
Voici la critique de Stéphanie Lamome, publiée dans Première, en 2004 :
La mémoire dans la peau de Jim Carrey.
On savait que Charlie Kaufman était (sur)doué pour écrire des scénarios génialement tordus qui se tapent le cortex contre les murs. Petit rappel de palmarès: Dans la peau de John Malkovich, Human Nature, Adaptation, Confessions d'un homme dangereux. On savait moins qu'il pouvait aussi flancher de la plume et écrire une comédie romantique à fendre le coeur. Mais une comédie romantique parfaitement consciente que l'amour ne dure pas toujours, à moins d'avoir le courage de perdre ses illusions. Une histoire d'amour cynique dans laquelle les couples seraient condamnés à rester ensemble en répétant inlassablement les mêmes erreurs, mais sans pouvoir vivre l'un sans l'autre. On n'aura d'ailleurs jamais vu un happy end aussi unhappy...La caméra de Michel Gondry devait relever le défi de se hisser à la hauteur de ce labyrinthe névro(man)tique où s'enchevêtrent différents niveaux de réalité perméables les uns aux autres. Gondry, en grand visionnaire, met en images l'inimaginable. Comment, par exemple, visualiser le processus d'effacement qui constitue le coeur (dans tous les sens du terme) du film ? Plutôt que de sortir la grosse artillerie d'effets spéciaux, Gondry fait dans l'artisanal: une bibliothèque dont les néons s'éteignent les uns après les autres, par exemple, ou l'image de Clementine qui passe au noir et blanc en se floutant... Comment montrer la fuite de Joel dans son propre cerveau pour sauver les souvenirs qui lui restent de Clementine ? En sautant d'une réminiscence à l'autre dès que les «effaceurs» se pointent, les «transitions» occasionnant des images surréalistes aussi belles qu'un poème en écriture automatique. Un lit posé face à la mer sur une plage de neige restera ainsi gravé dans nos yeux comme un lapsus miraculeux. Évoquer l'interprétation deviendrait presque secondaire si Jim Carrey n'était pas Jim Carrey. Après Man on the Moon, l'homme-chewing-gum continue de prouver que, dès qu'il relâche l'élastique, ses joues se creusent, ses yeux se fixent, et s'impose alors un grand acteur dramatique.
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Une histoire d'amour étrange mais réaliste
"Dès le départ, Michel et moi avons fait bien attention à ce qu'Eternal Sunshine... ne soit pas un feel good movie. Nous n'avons pas cherché à manipuler le public ni à lui offrir de la guimauve. Qu'il ait répondu si favorablement est formidable. Le film a mieux marché aux États-Unis que tout ce que j'avais fait auparavant, et je crois que nous l'avons mérité. Ça ne va rien changer à ma façon de procéder. À l'avenir, j'ai l'intention de faire ce qui m'intéresse. Si le résultat touche un public plus vaste, tant mieux. Sinon, c'est aussi bien."
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Comment combiner deux univers différents ?
"C'est mon deuxième film avec Michel Gondry. Je le connais depuis 98 au moins. Nous nous entendons bien malgré nos personnalités différentes. C'est un partenaire très productif et techniquement très inventif. Nous avons des névroses similaires et des intérêts émotionnels communs qui nous poussent à parler beaucoup entre nous. Nous avons mis au point l'histoire ensemble. C'est moi qui l'ai écrite et ça m'a pris beaucoup de temps. Après les ajustements nécessaires, nous avons parlé du style du film et de la création des séquences 'transitionnelles', celles où la mémoire est effacée. Pour des raisons esthétiques autant que financières, nous avons essayé d?adopter un style aussi 'organique' que possible et d'éviter la surenchère technique de façon à se concentrer sur les émotions. Michel est très bon pour imaginer des effets visuels simples ou 'faits à la main', et nous sommes restés sur la même longueur d'onde."
Joel a failli être incarné par Nicolas Cage
Le scénariste n'a jamais caché qu'il n'écrivait pas pour un acteur en particulier. Eternal Sunshine... par exemple, a failli être porté par Nicolas Cage.
"À l'exception évidente de Dans la peau de John Malkovich, je n'écris jamais en pensant à des acteurs. Les personnages sont différents de leurs interprètes. Si j'essayais de décrire quelqu'un qui est déjà Jim Carrey ou John Cusack, je serais limité dans mes pensées. La meilleure façon pour moi de travailler, c'est d'arriver à faire exister un personnage complètement avant d'envisager de faire appel à quelqu'un qui est complètement Jim Carrey. C'est à cette condition qu'on obtient une fusion: Jim Carrey trouve Joel et Joel trouve Jim Carrey."
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Un scénario original...
D'où est venue à Michel Gondry et Charlie Kaufman l'idée d'effacer les souvenirs d'un personnage, et donc peu à peu son histoire d'amour ? Le duo a évoqué la lecture de plusieurs romans de Boris Vian (notamment L'arrache-Coeur et L'herbe Rouge), mais au-delà du concept, c'est bien la relation amoureuse qu'ils voulaient explorer, comme Charlie l'expliquait en 2004 à Gérard Delorme : "Ce qui m'intéresse, c'est l'expérience subjective. Lorsque Michel [Gondry] et moi avons commencé à travailler sur Eternal Sunshine..., nous voulions traiter principalement de la nature d?une relation amoureuse. L'idée de l'effacement des souvenirs n'était qu'un cadre pour étudier notre thème d'une façon inhabituelle. J'ai été très inquiet lorsque Memento [Christopher Nolan] est sorti parce que je redoutais que le public prenne notre film pour une copie. À l'évidence, il est totalement différent. Je n'ai aucune idée des raisons pour lesquelles des films apparemment similaires (en l'occurrence sur la mémoire) sortent simultanément."
...très personnel...
"Dans Eternal Sunshine..., je ne suis peut-être pas Clementine [Kate Winslet], mais il y a quelque chose chez elle qui existe à un niveau primitif chez moi. Joel [Jim Carrey] me représente probablement davantage, mais Clementine est une émanation de l'esprit de Joel. D'ailleurs, il est rare qu'elle apparaisse dans le film autrement que sous la forme d'une projection mentale. C'est ce qui se passe dans la réalité: d'une certaine façon, on crée les gens qui nous entourent. Leur existence est conditionnée par l'interprétation qu'on en fait."
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Et rempli d'émotions
"Parfois, j'entends dire qu'il n'y a pas d'émotion dans mes films. Je comprends que Dans la peau de John Malkovich paraisse si exagéré qu'on peut l'apprécier mais pas s'y identifier. Pourtant, le film est né du sentiment d'être inadapté et de vouloir être quelqu'un d'autre. Comme c'est un sentiment qui me touche particulièrement, je suis très sensible à la tristesse du personnage. Le côté émotionnel d'Eternal Sunshine... est plus évident parce qu'il s'agit d'une histoire d'amour. Même le procédé de l'effacement de la mémoire va dans ce sens car nos souvenirs sont fondés sur nos émotions. Si aucune émotion n'est rattachée à un incident, vous aurez du mal à vous le rappeler. Le film fait allusion à cette réalité à travers la méthode utilisée par les 'effaceurs' qui atteignent les souvenirs en effaçant les émotions."
C'était aussi un vrai casse-tête !
"Au début, Eternal Sunshine... était impossible à mettre en place. Le pitch durait cinq minutes. Ceux qui l'entendaient étaient séduits par ses divers éléments, mais c'était une autre paire de manches que d'organiser ces éléments. Il fallait travailler chronologiquement à rebours, dans un contexte où les causes et les effets sont inversés, tout en conservant l'attention du spectateur et en le touchant émotionnellement. Une autre difficulté consistait à raconter une relation amoureuse par le biais de souvenirs qui sont effacés à mesure que l'histoire progresse. Autrement dit, chaque scène raconte la désintégration de cette même scène. Dans ces conditions, que peut-on montrer avant qu'elle ne commence à se désagréger ? D'autre part, si vous n'en montrez pas suffisamment, le public risque de ne rien ressentir et donc de ne rien comprendre. Il y a en plus un problème de logique: alors que Joel est en train de faire effacer ses souvenirs, son personnage doit conserver un minimum d'intégrité pour comprendre ce qui est en train de lui arriver. C'était un casse-tête, et j'ai mis beaucoup de temps à écrire ce script."
Notamment pour cette séquence :
"Un lit posé face à la mer sur une plage de neige restera ainsi gravé dans nos yeux comme un lapsus miraculeux..."
D'autres scènes aussi poétiques parcourent le film, comme celle, encore dans le froid, où le couple se couche sur la glace.
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