Edouard Baer dans La lutte des classes
KARE PRODUCTIONS – UGC IMAGES – ORANGE STUDIO – FRANCE 2 CINEMA – CHAOCORP PRODUCTIONS – SCOPE PICTURES 4

Il brille dans le film de Michel Leclerc, diffusé ce dimanche sur France 2. Rencontre.

Sorti au printemps 2019 au cinéma, La Lutte des Classes, de Michel Leclerc, est rediffusé ce dimanche soir sur France 2.

On vous voit régulièrement sur scène. En troupe comme en solo. Quelle différence y a-t-il pour vous entre votre travail au théâtre et sur un plateau de cinéma ?

Je suis passionné par jouer où que ce soit. Même si je ne sais pas bien préparer les rôles et les personnages. L’avantage du théâtre, c’est que tu y es obligé car on passe par des répétitions qui permettent de comprendre le travail en même temps qu’on apprend le rôle. Mais je ne sais pas travailler seul sinon. En plus, il y a tout une culture née de ces acteurs qui ont réussi à faire croire qu’ils étaient meilleurs en apprenant au dernier moment leur texte. Même un génie comme Depardieu qui dit des conneries là- dessus, sur le mode « il ne faut rien savoir ». C’est trop commode après de faire comme lui…. On se laisse avoir alors que c’est complètement faux. Il faudrait jouer un film comme une centième de théâtre, en sachant tout mais en ayant tout oublié. En étant nettoyé à force de l’avoir dirigé physiquement. Mais je suis trop velléitaire ou paresseux pour le faire. Voilà pourquoi je suis toujours un peu trop frustré de mon jeu au cinéma. Même si un peu moins depuis quelque temps

Qu’est ce qui vous plaît précisément dans le fait de jouer au cinéma ?

J’adore l’atmosphère d’un plateau de cinéma. Les équipes, les rituels, ces familles de circonstance, ces vies d’une intensité folle surtout si on tourne en province. On profite du meilleur car on sait que ça dure trois mois et que du coup on peut supporter la hiérarchie, les gueulantes… Personne ne joue sa vie comme quand on rentre dans une entreprise pour 20 ans ! Après, le plaisir de jeu vient avec le nombre de prises. Affiner, affiner, affiner

Il faut donc un metteur en scène qui joue ce jeu- là ?

Oui. Car dans la première prise, je n’arrive pas à oublier l’équipe technique, les marques au sol… J’ai trop le trac, tout me déconcentre. Ca me blesse dès qu’un technicien règle un truc pendant que je joue. Car moi, je ne joue pas pour la caméra mais pour les techniciens, le public du plateau. Donc moi, j’ai besoin de sympathie sur un tournage, d’affection…

La lutte des classes
KARE PRODUCTIONS – UGC IMAGES – ORANGE STUDIO – FRANCE 2 CINEMA – CHAOCORP PRODUCTIONS – SCOPE PICTURES 4

On le retrouve dans votre jeu où vous n’êtes jamais aussi bon que face à des partenaires où on perçoit le lien fort qui vous unit comme Leïla Bekhti dans La Lutte des classes

Oui parce que tu joues aussi pour ton partenaire. Ce qui me sauve dans tous ces bordels, c’est toujours l’œil de l’autre. Sinon, je suis perdu. Leïla fait partie de ces personnes qui font que tu es littéralement aspiré par leur émotion et que le tournage en lui- même n’existe plus

Vous choisissez donc vos films en fonction de vos partenaires ?

En fonction d’avec qui je vais passer du temps, oui, indubitablement. Si j’ai confiance dans le metteur en scène et mes partenaires, je pense toujours que le scénario va s’arranger et qu’on va s’en tirer.

Vous avez l’impression d’avoir développé un personnage que vous trimbalez de film en film ?

A mes yeux non mais je vois bien qu’on peut me percevoir ainsi. Je pense que ça a empêché certains metteurs en scène de faire appel à moi. Je devais ainsi faire Bon voyage de Jean- Paul Rappeneau avec Sophie Marceau. Et je vois bien quand je regarde sa filmographie qu’il ne confie au final les rôles principaux masculins de ses films (Olivier Martinez, Alain Souchon, Grégori Dérangère…) qu’à des gens dans lesquels il se reconnaît, lui. J’ai sans doute l’air trop extravagant. Alors que je peux facilement m’effacer. C’est d’ailleurs bien plus passionnant. Un Luchini est toujours bien plus intéressant au cinéma quand il ne fait presque rien. Idem pour Serrault dans Nelly et Monsieur Arnaud. Dans mon cas, j’ai le sentiment que certains metteurs en scène me voient comme quelqu’un qui se suffit à lui- même ou d’incontrôlable. Même Chabrol avait eu des réticences à me faire tourner car il m’expliquait que j’étais trop un zozo comme lui. Pourtant, j’ai adoré travailler avec Claude, son écoute et l’ambiance de ses plateaux. Et j’aurais adoré retravailler avec Bertrand Blier après Combien tu m’aimes ? sur Convoi exceptionnel. Ca a longtemps été envisagé mais n’a pas pu se faire à mon corps défendant. Après, il n’y a aucune injustice. Ma faute à moi est de ne m’être jamais vraiment beaucoup abandonné au cinéma. A l’inverse de quelqu’un comme Benoît Poelvoorde par exemple. J’ai mis beaucoup de temps à le faire. Je n’ai en tout cas aucun reproche à faire à personne.

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Cela vous laisse des regrets ?

Je comprends trop pourquoi on peut ne pas faire appel à moi. Il suffit de regarder mes films. Je suis souvent dans le minimum syndical. Je suis juste juste. Mais ce n’est pas pour cela qu’on engage quelqu’un. C’est pour transcender un rôle par rapport à l’écriture. Je ne l’ai pas assez fait mais je suis heureux de voir que ça change. Je sais par exemple ce que j’ai pu apporter – avec leur accord évidemment – aux films d’Emmanuel Mouret (Mademoiselle de Jonquières) et de Michel Leclerc.

Qu’est ce qui vous a précisément séduit dans votre travail avec Michel Leclerc ?

Sa force est de traiter un sujet pas simple en ne donnant jamais le sentiment de s’excuser, de peser en permanence le pour et le contre. Il ose des choses incroyables dans les dialogues comme dans le comique de situation sans que ce soit blessant ou bêtement consensuel.

Qu’est ce qui explique que vous parveniez aujourd’hui à ce lâcher prise ?

Cela va de pair avec sa vie en dehors du plateau. Evidemment, il faut faire confiance à un metteur en scène mais aussi oser l’impudeur qui n’est que rarement une question de corps mais de sentiments. Oser ne rien faire alors que comme c’est un métier, on a légitimement envie de faire des choses pour justifier sa place. D’ailleurs, je ne sais pas si c’est l’âge mais j’ai beaucoup moins envie de comédie qu’avant. Je ne me reconnais plus dans cette recherche d’efficacité là. Au cinéma comme sur scène. Ca me met mal à l’aise. Même si je sais que sur scène, d’instinct, j’ai envie de faire rire la salle. Je trouve en tout cas qu’il ne faut jamais forcer.