Diffusé ce soir sur France 2, le film de Xavier Durringer offre un exercice de biopic politique encore peu fréquent dans le cinéma français.
En deuxième partie de soirée de ce mardi, France 2 propose de (re)découvrir La conquête, le portrait de l'accession à l'Élysée de Nicolas Sarkozy suite à l'élection présidentielle de 2007. Un instant présenté comme la consécration personnelle d'une carrière politique mais également comme celui d'une débâcle intime, qui voit dans les coulisses son mariage avec Cécilia s'effondrer. Mis en images par Xavier Durringer, ces deux événements corrélés s'incarnent sous les traits de Denis Podalydès, qui prête ses traits à l'ancien président.
Un casting de circonstance
Aux côtés de Florence Pernel, qui incarne son ex-épouse Cécilia et d'un Bernard Le Coq remarqué en Jacques Chirac, Podalydès réussit l'exercice délicat d'incarner un président de la République non seulement encore en vie mais surtout quelques mois avant même la fin de son mandat. Un pari d'autant plus difficile qu'il aurait pu sombrer dans la caricature à l'idée de voir l'acteur, qui n'a jamais caché sa sensibilité de gauche (il a publiquement soutenu François Hollande pour l'élection présidentielle de 2012), se confronter à un personnage de l'autre bord politique.
Une situation qui n'a posé aucun cas de conscience à l'acteur, comme il le confiait dans une interview à L'Express au moment de la présentation cannoise du film. "Je dois le rendre non pas sympathique ou antipathique mais vivant. Le citoyen que je suis n'est jamais affecté par ce que je joue. La cruauté de Sarkozy dans certaines scènes m'amusait follement. Comme un plaisir de jeu enfantin. Que je sois à charge ou à décharge, je m'en fiche. Le jeu d'acteur est, en ce sens, très immoral. Ce type de personnage me permet de fracasser l'enveloppe parfois sage dans laquelle je suis trop souvent enfermé".
À l'origine pourtant, ce n'était pas Denis Podalydès qui devait incarner Nicolas Sarkozy à l'écran mais un autre acteur populaire du cinéma français, François Cluzet. Mais comme ce dernier l'a confié en 2013 sur le plateau du Grand Journal, la production du film essuya un refus de sa part : "C'est un film historique et on me l'avait présenté comme un film politique. Si cela avait été un film politique, je pense qu'il aurait fallu parler de M. Bouygues, de M. Lagardère, des gens [que Nicolas Sarkozy] connaît. C'est très important quand on veut être élu. Et ce n'était pas dans le script. Je trouvais qu'on évinçait…". Le jour de son audition, Denis Podalydès décroche le rôle en s'enduisant la cheveleure de cirage noir, convaincant définitivement Xavier Durringer de l'engager pour le rôle.
Une préparation minutieuse
Podalydès se plonge alors dans des dizaines d'heures d'archives télévisées de Nicolas Sarkozy. Parmi elles, on retrouve celles compilées par Patrick Rotman, scénariste de La conquête, spécialiste de l'histoire contemporaine et auteur de nombreux documentaires télévisés (dont Le Pouvoir en 2013 sur la première année du mandat de François Hollande). Mais alors que le style de Nicolas Sarkozy passe essentiellement par l'image et une gestuelle maintes fois imitées par le passé, c'est d'une autre manière que Denis Podalydès va se glisser peu à peu dans la peau de son personnage.
Dans une interview accordée à Paris Match en mai 2011, l'acteur confie en effet s'être inspiré de l'ancien président davantage en l'écoutant qu'en le regardant. "Mon iPod était rempli d’extraits d’émissions de radio, j’ai regardé des programmes de télévision en boucle, notamment le “A vous de juger” d’Arlette Chabot où il était au maximum de lui-même, candidat dans une forme olympique qui avait réponse à tout de manière extrêmement variée, alternant les moments de doute, de colère rentrée, d’enthousiasme, de satisfaction enfantine quand il avait fait un bon mot. Cette émission est devenue pour moi une musique, une mélopée, une rythmique qui m’a envahi et que j’ai intégrée sans contrainte". Plus généralement, Durringer, Podalydès et l'équipe technique du film optèrent pour une approche plus instinctive que véritablement mimétique pour donner vie à l'écran à ce Sarkozy de fiction.
Gilles Porte, directeur de la photographie de La conquête, évoque notamment à ce propos une anecdote révélatrice au cours d'un entretien avec l'Association Française des directeurs de la photographie cinématographique. Il y révèle en effet qu'au début du tournage, le réalisateur avait envisagé de faire tourner son acteur avec un faux nez de manière à accentuer la ressemblance physique entre les deux hommes. Une idée qui fut vite abandonnée pour des raisons de vraisemblance, de durée de maquillage mais aussi d'étalonnage de la lumière.
Sarkozy, une ombre lointaine
Tourné dans la plus grande confidentialité à l'été 2010, le film resta dans le plus grand secret de par le caractère sensible de son sujet (un biopic politique sur un président en exercice, une quasi première dans le cinéma français). Connu pour être particulièrement soucieux de son image publique, Nicolas Sarkozy n'interféra jamais dans le tournage et ne regarda finalement pas le film au moment de sa sortie.
Les deux hommes se rencontreront cependant une fois le tournage terminé, comme le confia Denis Podalydès à l'émission Sept à Huit en mai 2011. Une rencontre que l'acteur avait demandé par le biais d'une lettre envoyée à l'ancien président, qui accepta de parler avec celui qui l'incarne à l'écran. Au micro de l'émission de TF1, Podalydès se souvenait : "Je l'ai croisé un soir à l'Élysée, vers sept heures et demie. Il m'a juste demandé si j'avais pris plaisir à jouer son rôle. Je lui ai dit un formidable plaisir. Et il m'a répondu alors tant mieux, c'est le principal.[...] Je ne l'ai pas senti anxieux".
Au final, La conquête ne fut pas un échec en salles, mais en atteignant les 700.000 entrées, il réalisa un score en-dessous des attentes qu'un tel sujet pouvait susciter. Denis Podalydès, lui, ressortit de l'aventure La conquête avec une nomination au César du meilleur acteur en 2012. Une élection qu'il perdit (face à l'Omar Sy d'Intouchables) cette année-là, à l'image de son personnage.
L'histoire de La conquête : 6 mai 2007, second tour de l’élection présidentielle. Alors que les Français s’apprêtent à élire leur nouveau Président, Nicolas Sarkozy, sûr de sa victoire, reste cloîtré chez lui, en peignoir, sombre et abattu. Toute la journée, il cherche à joindre Cécilia qui le fuit. Les cinq années qui viennent de s’écouler défilent : elles racontent l’irrésistible ascension de Sarkozy, semée de coups tordus, de coups de gueule et d’affrontements en coulisse. La conquête : L’histoire d’un homme qui gagne le pouvoir et perd sa femme.
La conquête est diffusé ce soir à 22h50 sur France 2.
Commentaires