Wolfgang Petersen entouré de George Clooney et Mark Wahlberg
ABACA

Le cinéaste allemand Wolfgang Petersen, connu pour ses blockbusters des années 90 et 2000, est mort des suites d'un cancer.

A l'origine ce devait être un film de Don Siegel ou de John Sturges. Dans les années 70 un producteur allemand décide de financer la fresque ultime sur les U-Boat, ces sous-marins qui ont bien failli faire triompher le IIIème Reich. Il lance une co-production germano-américaine avant de se raviser. Sans doute par peur des clichés et de la caricature. Et son studio se tourne finalement vers un réalisateur allemand. Ce sera Wolfgang Petersen qui tournera Das Boot en 1981, l'un des plus beaux films de guerre, et l'un des plus fous. Rien ne le prédestinait vraiment à signer ce chef-d'oeuvre amer et violent : né en 41, Petersen dirige d'abord des pièces de théâtre, passe par la télé à la fin des années 60 (on lui doit quelques épisodes de Tatort) avant, dans les années 70, d'accompagner l'éclosion de la nouvelle vague allemande avec deux films iconoclastes - un thriller psychologique et une histoire d'amour homosexuelle (Les Conséquences). Mais c'est Das Boot qui est son véritable acte de naissance cinématographique.

Dans la version longue (plus de trois heures) on suit le quotidien d'un équipage embarqué dans le U-96, pour des missions et un conflit qui les dépassent. Les moments de fraternités, les rixes minables, la nostalgie du continent, les temps morts, la solitude, ces gestes mécaniquement répétés jusqu'à ce que l'attaque arrive, le stress des torpilles... huis-clos, thriller psychologique, survival, Das Boot est une merveille de tension. Dans le tombeau de métal, où tout grince, où tout craque, la caméra enfile les couloirs ; les sons se referment sur ces hommes déjà morts.  D'ailleurs, ce long métrage, incroyablement réalisé, n'est pas seulement un grand film, c'est aussi la carte de visite pour Hollywood d'un excellent technicien. Le film obtient six nominations aux Oscars et permet au réalisateur de se lancer dans une carrière hollywoodienne. Sans doute usé par l'aventure d'un tournage hors-norme, Petersen enchaîne avec une fantaisie pour enfants qui va vite devenir culte. L'Histoire sans fin est adapté du best-seller de Michael Ende et raconte les aventures de Bastien, un gamin seul qui passe ses journées à lire un ouvrage énumérant les hauts faits d'un jeune héros. Dans un monde lointain, Fantasia, Atreyu doit protéger la terre d'une terrible menace. Un jour, Bastien traverse le miroir et rejoint Fantasia...  A une époque où les ados dévorent les "livres dont on est le héros" ou se plongent dans Donjons et Dragons, le film de Petersen (qui s'amusait avec le récit métafictionnel et déployait un bel univers univers fantasy) devait forcément s'imposer comme un marqueur générationnel - cela prit quelques années, mais personne ne s'est étonné de le voir citer dans Stranger Things. Ses visions fantastique, le fabuleux dragon Falkor, la musique démente et la bouille des deux jeunes héros restent encore aujourd'hui fixés dans les mémoires des kids...

Après cela, Petersen opère un nouveau tournant. Il enchaîne deux solides films de SF, avant de se mouler dans l'industrie hollywoodienne. Il devient à partir du début des 90s un très habile faiseur de films d'action ou de films catastrophe bourrés de stars. Epidémies (Alerte ! avec Dustin Hoffman et Morgan Freeman), menaces sur le président (Air Force One ou Dans La ligne de mire), cataclysmes maritimes (En pleine tempête ou Poseidon)... chacun de ces films révèlent un sacré sens du spectacle et de la technique allié à un vrai savoir-faire de storyteller et de directeur d'acteurs. Chez lui, la machinerie est tonitruante, mais elle reste toujours au service de héros lessivés, usés ou à genoux (le Eastwood de Dans La ligne de mire) ou bien de la pure chronique sociale (la première partie de En pleine tempête).

Le spectacle, les personnages, le sens de l'aventure et l'épopée... on ne le savait pas encore, mais dès 81, Wolfgang Petersen avait en fait retenu les leçons des grands maîtres de la série B hollywoodienne. Pas besoin d'aller chercher Siegel ou Sturges.

Après les années 2000, Petersen signera encore un peplum toujours trop déconsidéré (Troie et ses descriptions des héros mythologiques subtiles) avant de revenir en Allemagne pour un dernier tour de piste (Braquage à l'allemande).