De La Famille Bélier à Coda
Mars Films/Apple TV +

Le film Apple TV + sera au coude à coude, ce soir, avec The Power of the Dog de Netflix, pour l'Oscar du meilleur film.

Le grand vainqueur de Sundance 2021, c’est lui ! En janvier dernier, le remake américain de La Famille Bélier y a trusté les prix et les critiques enthousiastes. Quelques jours plus tard, il était nommé dans trois catégories aux Oscars : Meilleur Film, Meilleur Scénario Adapté et Meilleur Acteur dans un Second Rôle. Et depuis, la scénariste/réalisatrice Sian Heder et l'acteur malentendant Troy Kotsur ont été honorés aux Screen Actors Guild Awards, aux BAFTA ou encore aux Critics Choice Awards. Retour sur sa genèse avec ses différents protagonistes, devant comme derrière la caméra. En attendant de recevoir des statuettes, ce dimanche soir ?

Grand Prix du jury et Prix du public, Coda a réalisé le carton plein lors de l’édition 2021 de Sundance. Le nom donné aux enfants entendants de parents sourds est donc désormais aussi le titre du remake de La Famille Bélier, décidément né sous de bonnes étoiles. « Jamais en 2015, en lisant ce scénario, je n’aurais imaginé ce destin-là », confie l’heureux coproducteur des deux versions, Philippe Rousselet. « Évidemment, j’y croyais. Ce n’est pas tous les jours qu’on se retrouve avec dans les mains une histoire aussi singulière. Mais au cinéma, il y a toujours un facteur chance, dont La Famille Bélier comme Coda ont bénéficié. »

La Famille Bélier tient une place à part dans le parcours de Philippe Rousselet. Il marque sa rencontre avec Éric Jehelmann avec qui il s’associe dans sa structure Jerico Films (La Promesse de l’aube, Petit Pays…). Et c’est précisément Jehelmann qui avait commencé à développer l’histoire de cette seule fille entendante d’une famille de sourds dont le destin bascule quand elle se découvre un don pour le chant. Une idée originale de Victoria Bedos qui a donné naissance à un scénario coécrit avec Stanislas Carré de Malberg, Thomas Bidegain puis Éric Lartigau qui l’a réalisé. La suite, on la connaît : plus de 7 millions d’entrées, Je vole de Michel Sardou remis au goût du jour, Louane célébrée par le César de la meilleure révélation… Mais ce qu’on sait moins, c’est que le film a aussi connu un joli succès à l’international – plus de 3 millions d’entrées – et pas mal d’offres de remake, auxquelles Rousselet met son véto. « Car très tôt, je n’ai eu qu’une priorité, un remake américain, et je prenais garde à ce que rien ne puisse le mettre en danger. » Ce tropisme américain n’a rien d’une lubie. En 2008, Rousselet a créé Vendôme Pictures aux États-Unis et produit Lord of War et Source Code, avec Lionsgate, qu’il va donc spontanément voir pour les droits de remake de La Famille Bélier. Le deal se fait rapidement et permet à Philippe Rousselet d’en devenir le coproducteur via Vendôme Pictures.

 

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Changer d’univers

Débute alors la recherche du scénariste capable de s’approprier cette histoire. Une dizaine de candidats se bousculent au portillon, parmi lesquels Sian Heder, dont le premier long, Tallulah, avait tapé dans l’oeil de Lionsgate à Sundance. Ces derniers la contactent et lui expliquent le challenge qu’elle relève avec enthousiasme. « J’ai commencé évidemment par regarder La Famille Bélier. Mais je ne l’ai plus jamais revu. Je me suis lancée en essayant d’emmener le récit ailleurs. » À commencer par le lieu de l’action, dans le Massachusetts, où elle a grandi. « Aux États-Unis, la structure de nos fermes est différente des françaises. Cette famille devait donc évoluer dans un autre univers. Or, dans mon enfance, j’allais souvent à Gloucester et j’étais fascinée par la communauté de pêcheurs, résistant aux grosses structures pour garder leur indépendance. »

Coda se situera donc dans ce milieu-là. Mais ce n’est pas le seul changement qu’elle apporte. « Il m’était impossible d’écrire ce film sans que cette famille ne soit interprétée par des sourds. Voilà pourquoi, plus que le récit de l’émancipation d’une ado grâce au chant, Coda est d’abord le portrait d’une famille et traite beaucoup plus du handicap. En déplaçant la colonne vertébrale du récit, je me le suis approprié. » Rousselet et son ami Patrick Wachsberger (Démineurs), alors coprésident de Lionsgate, sont conquis. « Sian a présenté le meilleur projet. On a alors décidé de lui confier aussi la réalisation de Coda. Elle avait le film en tête. Et ce film nous faisait très envie. » Mais peu après, Wachsberger se fait débarquer de Lionsgate. Et son successeur décide de faire table rase du passé et de ne pas renouveler les droits d’adaptation de La Famille Bélier… tout en conservant ceux du scénario de Coda. Une situation qui aurait pu devenir inextricable sans les dons de négociateurs du duo Wachsberger-Rousselet qui récupère les commandes du projet et trouve un nouveau partenaire avec Pathé. Sian Heder peut donc construire son « film en toute sérénité. Même si la structure
du scénario (40 % des dialogues en langue des signes) l’oblige à modifier sa méthode de travail. « J’ai pour habitude de faire des lectures avec des amis pour entendre le rendu des dialogues. Là, j’ai fait appel à deux femmes qui ont nourri ma culture de la communauté sourde et m’ont servi d’interprètes. C’était la première fois que, pour les corriger, je n’allais pas entendre mes dialogues mais les voir. » D’emblée, elle n’a qu’une actrice en tête pour camper la mère de cette tribu : Marlee Matlin, la comédienne oscarisée des Enfants du silence. « Je ne l’avais jamais vue incarner une working class woman. J’avais envie de lui offrir ce rôle de composition. » Quand elle reçoit la proposition, Marlee Matlin ne tombe pas des nues. « Cela faisait un petit moment qu’on parlait de ce scénario dans la communauté sourde. Mais j’ai eu besoin de connaître la vision de Sian. On a échangé pendant trois heures et devant sa connaissance déjà approfondie de notre communauté, j’ai compris qu’on avait le même film en tête. » Elle lui glisse aussi le nom de celui qu’elle aimerait voir incarner son mari : Troy Kotsur, pilier de la compagnie Deaf West, basée à L.A., avec qui elle rêve de travailler. Admiratrice de cette troupe de théâtre qui mêle acteurs sourds et non sourds, Sian Heder valide ce choix sans hésiter.

La perle rare

En revanche, elle peine à trouver celle qui jouera la fille du couple. « Le processus de casting fut très long car on cherchait LA perle rare : une actrice de 17 ans avec une voix incroyable et une capacité à porter un film sur ses épaules. » Sian Heder a déjà vu défiler plus de cent candidates quand surgit la vidéo d’Emilia Jones, une Galloise qui, après avoir débuté enfant dans Pirates des Caraïbes : La Fontaine de Jouvence, vient de se faire connaître par la série Netflix, Locke and Key. « Sa voix était incroyablement pure. Et j’ai tout de suite été frappée par son naturel qui allait lui permettre d’être aussi à l’aise en cours de chant que sur un bateau de pêcheurs. J’avais trouvé mon héroïne. » Séduite par le scénario, Emilia Jones l’est tout autant par la somme de défis à relever. « Dans mon parcours, j’ai eu la chance de croiser Pascal Laugier avec Ghostland. Il m’avait poussée à faire des choses dont il me savait capable et moi non. Cela m’a portée dans tout ce processus » où, pendant huit mois, elle prend des cours de langue des signes et de chant à haute dose. Tout cela pour une logique d’interprétation à mille lieues de ses habitudes. « Au cinéma, je pense toujours que moins on en fait, mieux c’est. Mais avec la langue des signes, c’est le contraire. Elle vous pousse à exprimer les choses de manière appuyée avec votre visage. La discrétion n’est pas de mise ! » film en toute sérénité. Même si la structure du scénario (40 % des dialogues en langue des signes) l’oblige à modifier sa méthode de travail. « J’ai pour habitude de faire des lectures avec des amis pour entendre le rendu des dialogues. Là, j’ai fait appel à deux femmes qui ont nourri ma culture de la communauté sourde et m’ont servi d’interprètes. C’était la première fois que, pour les corriger, je n’allais pas entendre mes dialogues mais les voir. » D’emblée, sont surtout les lieux de tournage – repérés avec l’aide de Kenneth Lonergan qui a tourné Manchester by the Sea dans la région – qui l’ont inspirée au point de devenir des personnages à part entière. Philippe Rousselet avait d’ailleurs d’emblée perçu leur importance dans la fabrication de Coda. « De nombreux producteurs l’auraient obligée à tourner au Canada pour des questions de crédits d’impôts. Mais, avec Patrick, on a privilégié sa vision du film. On avait engagé un auteur et on préférait augmenter les coûts – un budget de 15 millions de dollars – plutôt que de lui couper les ailes. »

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Parfait timing

Cette « richesse » se retrouve aussi dans le choix des chansons, autre élément essentiel du film. « Coda n’étant pas La Famille Bélier, on a tous été d’accord pour ne pas chercher l’équivalent d’un Sardou », précise Rousselet. Avec Marius de Vries (BO de La La Land et d’Annette), Sian Heder opte pour des chansons dont les paroles font écho à l’intrigue, de You’re all I need du duo Marvin Gaye-Tammi Terrell au Both Sides Now de Joni Mitchell. « Joni a écrit cette chanson dans sa vingtaine, explique la réalisatrice. Elle a toujours dit que ce titre a marqué la fin de son enfance. C’est aussi ce qui se produit avec le personnage que joue Emilia », qui a interprété toutes les chansons en live sur le plateau. Arrivée au montage, Sian Heder sait qu’elle joue gros en termes d’équilibre. « Quand on se retrouve avec un matériau aussi émouvant, il faut prendre garde à ne pas manipuler le spectateur. Avec mon monteur, on a donc laissé une grande place à l’humour et fait en sorte que l’émotion ne naisse jamais uniquement de la musique. » Le premier montage séduit le producteur français. « Nous avions le final cut. Mais, tout est resté très “européen”, basé sur des échanges. En choisissant Sian, on avait une vision très nette du film qu’elle allait faire. Le résultat est en totale adéquation. » Un parti pris récompensé puisque dès sa projection en ouverture de Sundance, les enchères sont montées haut pour acquérir le film. Avec comme vainqueur Apple TV+ qui accompagnera sa sortie en streaming d’une exploitation en salles aux États-Unis. Avec une campagne pour les Oscars en tête ? Philippe Rousselet le reconnaît : « Arriver avec un feel-good movie parlant de handicap avec une telle légèreté au sortir de la Covid est forcément le timing parfait. »


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