Cannes jour 4
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Tous les jours, entre le film, l'interview et le fait du jour, le point à chaud en direct du 75e festival de Cannes.

Le film du jour : Frère et sœur d’Arnaud Desplechin

Desplechin renoue avec ses chroniques familiales dont le déchirement constitue le cœur battant. En l’occurrence, un frère et une sœur, mus par une haine réciproque et qui, après 20 ans sans se voir, vont être appelés à se croiser au chevet de leurs parents plongés dans le coma. Desplechin retrouve le sens du romanesque qui faisait tant défaut à Tromperie. Dans Frère et sœur, on sourit pour cacher sa peine, on se tait puisqu’aucun mot ne peut traduire la violence de ce qu’on ressent. Et quand soudain, la parole reprend le dessus, le moment vous scotche de brutalité. Pour transmettre tout cela, Desplechin s'entoure d'acteurs qu'il dirige à la perfection - de Melvil Poupaud à Patrick Timsit. Quant à Marion Cotillard, elle livre l’une des plus belles partitions de sa carrière où son explosivité est en permanence contenue et s’exprime plus dans des éclats de rires ou des regards éperdument perdus que dans des déflagrations impétueuses. Redécouvrir une actrice qu’on pensait connaître par cœur, c’est aussi cela la magie Desplechin.

La critique de Frère et soeur

L'interview du jour : George Miller

Sept ans après Fury Road, Miller revient à Cannes (hors compétition) avec 3000 ans à t'attendre. Une histoire fantastique qui, à la manière des Mille et une nuit, relate la rencontre entre une mythologue et un Djinn, enfermés dans une chambre d'hôtel. Le Djinn va se mettre à raconter à la scientifique son histoire millénaire. Beau film théorique, fabuleux conte métaphorique et histoire d'amour renversante, 3000 ans à t'attendre célèbre surtout notre besoin d'histoires. Mais pourquoi et à quoi servent-elles ? On a posé la question à George Miller.


 

La star du jour : l’âne de Hi Han

Avec ses grandes oreilles et son pelage gris parfait, l'âne de Hi Han (ou plutôt les sept ânes puisqu'il y avait sept baudets pour le tournage) aurait eu fière allure sur les marches cannoises, mais il a dû se contenter de voir sa photo brandie par un des membres de l'équipe du film tout au long de la standing ovation qui a suivi la projection du film. Ce grand absent est le héros de ce poème visuel d’une liberté folle, du cinéma "tripant", sensoriel, qui rappelle un peu Gaspar Noé mais croisé à Bresson. Un âne chassé d’un cirque puis trimballé de droite à gauche, devient le témoin du monde et de l’humanité tels qu’ils vont. Mal. Victime stoïque, l'âne endure les souffrances que lui infligent les hommes. Et la bête se transforme en révélateur de leurs vices, de leur sadisme, de leur cupidité. Comme dans Au Hasard Balthazar - un de ses films de chevet - Skolimowski filme son itinéraire comme un chemin de croix christique. Et Hi Han - son nom dans le film - est exceptionnel. On aurait aimé savoir s’il s’était inspiré de l’âne du Bresson, mais il a préféré garder le mystère, loin de la Croisette et des paparazzi. A moins qu’un prix spécial d’interprétation ne vienne le saluer et le pousse à venir arpenter le tapis rouge cannois ? C'est bien connu, les stars ne se déplacent jamais pour rien.

La récré du jour : Hunt de Lee Jung-jae

Un carton prévient d'emblée que le film s'inspire de faits réels mais que toute ressemblance avec le réel serait purement fortuite. OK, c'est le jeu, on ne chassera pas trop Hunt sur le terrain de la géopolitique et des relations avec le réel, mais plutôt dans le domaine de l'action pure -et ça tombe bien, parce que Hunt s'envisage avant toute chose comme un film d'action complexe. Sur fond d'instabilité politique explosive (l'instauration de la loi martiale en Corée du Sud au début des années 80) débute une chasse à la taupe dans les hautes sphères. Deux super-agents font la course pour la débusquer : d'un côté un ex-militaire, de l'autre un espion expérimenté, le premier dirigeant l'espionnage interne et l'autre les agents à l'étranger. C'est le premier long en tant que réalisateur de l'acteur Lee Jung-jae (une des plus grosses stars sud-coréennes), et il utilise tout le savoir-faire des techniciens de son pays pour livrer un énorme film d'action - et même "énorme" semble étriqué tant chaque scène a le potentiel de se transformer en fusillade épique. Une brillante intro où l'on flingue à tout va, la récupération d'un défecteur en plein Tokyo qui devient un gunfight ahurissant, l'opposition entre les deux agences d'espionnage qui se change en baston généralisée, le final over the top... Rien d'autre qu'une grosse récré ? A Cannes, on ne crache jamais dessus.


 

L’audace du jour

On la doit à Dominik Moll pour son grand retour à Cannes, 17 ans après Lemming, avec La Nuit du 12, présenté dans la section Cannes Première. Il en faut en effet pour oser placer au tout début de son film un carton… qui nous révèle sa fin ! A savoir que l’enquête sur la mort d’une jeune femme brûlée vive par un pyromane ne sera pas résolue. Un parti pris gonflé donc mais payant. D’abord parce que le film, l’un des meilleurs depuis le début de ce festival, transcende le résultat de cette enquête pour s’emparer plus largement de la question des violences faites aux femmes et montrer en quoi le fait que les investigations sur ces féminicides soient menées par des policiers majoritairement masculins influe sur les interrogatoires et donc le résultat de l’enquête en lui- même. Ensuite, parce que même si on en connaît donc l’issue, La Nuit du 12 est traversé de part en part par une tension qui ne cesse de nous faire croire qu’on a mal lu le panneau initial. Le réalisateur de Harry, un ami qui vous veut du bien, retrouve les sommets, à mi-chemin entre L627 et un Memories of murder made in France