Cannes 2021 jour 3
Abaca/Pathé/Ad Vitam

Tous les matins, entre le film, l'interview et la star du jour, le point à chaud en direct du 74e festival de Cannes.

Le film du jour : Benedetta de Paul Verhoeven

Attention, Verhoeven arrive ! Attendu à Cannes depuis deux ans, son Benedetta a été stratégiquement programmé ce vendredi 9 juillet, histoire de donner un coup de cravache aux festivaliers montrant les premiers signes de fatigue, et de faire grimper la fièvre cannoise juste avant le week-end. Ce portrait d’une sainte lesbienne du XVIIème  siècle, partagée entre pulsions sexuelles et extases mystiques, possède tous les ingrédients pour un scandale cannois archétypal, entre scènes de cul débridées et anarchisme anticlérical sardonique. Quand Paul Verhoeven débarque à Cannes, il fait de toute façon toujours en sorte que personne ne s’ennuie. S’il n’est étonnamment jamais venu dans les années 70 présenter ses hits art et essai néerlandais, type Turkish Délices, personne n’a oublié le choc Basic Instinct, en 1992, et la cristallisation instantanée du mythe Sharon Stone, ni Elle, en 2016, qui avait permis à Isabelle « Zaza » Huppert d’entamer sa marche triomphale vers les César et les Golden Globes. Provocateur endiablé, Verhoeven est surtout un immense directeur d’actrices, qui n’a jusqu’à présent jamais vu une de ses comédiennes remporter un Prix d’interprétation cannois. Virginie Efira, qui se donne ici à fond dans un rôle assez acrobatique, rompra-t-elle la malédiction ?

La star du jour : Matt Damon pour Stillwater (hors compétition)

Ils ne sont pas tous venus mais lui et là et bien là. Alors que la rumeur dit que Vin Diesel et Alicia Vikander, censés venir accompagner Fast and Furious 9 et Blue Bayou, ne fouleront pas la Croisette, Matt Damon a répondu présent. Après avoir déjà escaladé ces marches pour deux Soderbergh (Ocean’s Thirteen en 2007 et Ma vie avec Liberace en 2013), il débarquait hier soir quasiment en régional de l’étape. Car c’est à Marseille que se situe l’action du Stillwater de Tom McCarthy (Spotlight) qu’il porte - avec Camille Cottin - sur ses épaules dans un rôle de père veuf qui débarque dans la cité phocéenne pour se rapprocher de sa fille qui y est emprisonnée et qu’il va tenter de faire acquitter. Un personnage eastwoodien dans une ambiance à la Taken avec un passage obligé par le stade Vélodrome, lieu des exploits de l’OM. Fan inconditionnel de l’Olympique Lyonnais, Thierry Frémaux a été suffisamment magnanime pour le sélectionner.

La tendance du jour : la vache et le capitalisme

Andrea Arnold et Kelly Reichardt n'ont pas gardé les vaches ensemble mais les deux réalisatrices semblent partager une passion pour ces bovidés. Hasard du calendrier, le docu Cow (Arnold) était présenté ce jeudi dans la nouvelle section Cannes Première, alors que First Cow (Reichardt) débarque ce 9 juillet sur la plateforme Mubi. Deux salles de traite, deux ambiances : d'un côté, Andrea Arnold pose sa caméra au plus près d'une vache dans une exploitation anglaise, pour nous faire vivre le cycle de vie insensé de l'animal et son horreur quotidienne (mise à bas, séparation avec le veau, traite... et on recommence jusqu'à la mort). De l'autre, Kelly Reichardt nous emmène au début du XIXe siècle, dans l'Oregon, où un cuisinier et un immigrant piquent le lait de la vache d'un riche propriétaire terrien, pour fabriquer de délicieux gâteaux au miel et ainsi lancer leur business. Si elles le traitent de façons radicalement différentes, c'est sur le thème du capitalisme (générateur d'une violence absurde sur les animaux pour l'une, péché originel pour l'autre) que les deux cinéastes se rejoignent. Reste à voir si Vedette (encore un film de vaches à Cannes !), projeté le 12 juillet à l'Acid, nous rendra définitivement végans.

 

Le son du jour : Heroin du Velvet Underground

« I have made the big decision/I'm gonna try to nullify my life. », chantait Lou Reed dans l'indépassable Heroin. Cinquante-quatre ans après la sortie du premier album du Velvet Underground, le tube résonne dans le documentaire de Todd Haynes (I'm Not There, Velvet Goldmine, Dark Waters...) dédié au groupe, et présenté en avant-première sur la Croisette. Un film en forme de patchwork aux influences warholiennes assumées, bourré d'images d'archives dingues qui racontent à la fois l'ascension et la chute du Velvet, tout en brossant le portrait du New York culturel bouillonnant des années 60. Au cœur du projet, la figure de Lou Reed - dont des extraits d'interviews et le regard fixe en split-screen rythment le long-métrage -, leader autodestructeur courant après l'art ultime. Une (en)quête d'identité pour laquelle Haynes convoque les survivants afin de commenter le passé (John Cale et Maureen Tucker, la batteuse), alors que les fantômes fondateurs (Andy Warhol) rôdent dans les couloirs. Très beau mausolée, aussi chaotique qu'immédiatement attirant : à l'image du Velvet, en somme.

 

La phrase du jour : Virginie Efira

« Mon premier souvenir de Verhoeven ? Basic Instinct. J'avais acheté tous les journaux dessus... C'était une époque où, si je me peux me permettre un truc graveleux, on avait moins accès à des scènes de sexe qu'aujourd'hui. C'était dans la vidéothèque de mes parents, j'allais régulièrement voir les dix premières minutes... »

La révélation : le trio de La Colline où rugissent les lionnes

Luàna Bajrami a trouvé trois actrices stupéfiantes pour incarner les jeunes braqueuses de son premier long, La Colline où rugissent les lionnes (Quinzaine). Chacune son style, comme dans Drôles de dames : Era Balaj la délurée solaire, Uratë Shabani l'orpheline réservée et Flaka Latifi l'entraîneuse au charisme tout feu tout flamme. Bon, le film, premier long de sa réalisatrice de 20 ans, n'est pas parfait du tout mais son trio de superhéroïnes kosovares est inoubliable. Elles nous manquent déjà.

Cannes 2021 : La Colline où rugissent les lionnes, une promesse [critique]

L'interview du jour : François Ozon, Géraldine Pailhas et André Dussollier pour Tout s'est bien passé


 

Le coup de chaud du jour : il pleut à Cannes

Entre les films gentiment policés, les vigiles de plus en plus regardant sur le passe sanitaire et puis les vrais coup de chauds, ceux qui font vaciller les journalistes les plus résistants, on commençait à flancher… Mais en début d’après-midi, la flotte s’est abattue sur ce pauvre festival, comme pour réveiller tout ce beau monde et nettoyer la ville. Journalistes trempés, stars échevelées, parasols arrachés et vigiles en panique…  Sur la Terrasse du Marriott, le junket de Tout s’est bien passé d’Ozon a commencé. Et l’espace d’un instant, on s'est dit que jamais un film n’avait aussi mal porté son nom. La tempête transforme le panzer promotionnel en barnum surréaliste. Et puis, comme si la météo du jour avait tout rebooté, une fois le soleil revenu, on a enchaîné une série de films exceptionnels : un Pietro Germi de 1950 à Cannes Classics, le doc H6 de Ye Ye (Yeah !) et la bombe de Joachim Trier, Julie (en douze chapitres). Celui-là, on en reparle demain, le temps de se sécher.

La claque du jour : Le chemin de l'espérance de Pietro Germi (Cannes Classics)

Germi

On ne le savait pas, mais les italiens ont aussi eu leur Raisins de la colère. Réalisé en 1950, par Germi, génie oublié du cinéma transalpin, ce film sidérant commence dans un petit village de Sicile. Cadrées comme dans un chef-d'oeuvre du formalisme russe, des femmes vêtues de noir attendent en silence que leurs maris mineurs reviennent à la surface. Ils n'ont plus rien à perdre, plus rien à bouffer ; ils sont en grève. Lorsque le comptable descend pour leur annoncer que lutter ne sert plus à rien, à l'instar des Joad dans le film de Ford, certains vont choisir de traverser le pays vers une illusoire terre promise, la France. Tout est là : l'esprit communautaire, la lutte contre l'injustice, et surtout le déracinement. Ecrit par Fellini et Pinelli, incarné par une troupe de comédiens stupéfiants (dont un Raf Vallone sublime), le film est propulsé par un mouvement de générosité, et jamais par un idéal de révolte. Plutôt que la beauté des discours politiques, on trouve ici la sauvagerie des personnages amoureux, la pureté des enfants innocents, et cette espèce de pulsion de justice qui agite Vallone. Délivré des pièges du réel qui a parfois plombé quelques classiques néo-réalistes, cette odyssée de l'espoir est un chef-d'oeuvre universel qui se hisse tranquillement au niveau des merveilles de Renoir, Ford donc et Kurosawa. Rien que ça.   

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