Les Siffleurs
Vlad Cioplea

Le réalisateur du génial 12h08 à l’est de Bucarest aime l’absurde. Un plaisir communicatif bien qu’un peu épuisant sur la longueur

Le festivalier parfois grognon était d’humeur joyeuse ce soir. Après avoir bravé la pluie (mais pourquoi est ce toujours les soirs d’averse que Cannes oublie jusqu’à l’existence même du concept de ponctualité dans les horaires de ses projections ?) et évité qu’une armée de parapluies semblant avoir pris le pouvoir sur leurs propriétaires ne viennent leur crever un œil voire les deux, la salle plus que clairsemée semblait avoir envie de sourire, de rire, de taper dans ses mains. Bref d’échapper le temps de quelques minutes à la pluie de catastrophes et tragédies en rafale qui nourrissent les films de la compétition depuis mardi. Ca tombe bien. Car on avait rendez- vous avec un maître de l’absurde, le roumain Corneliu Porumboiu, auteur du génial 12h08 à l’est de Bucarest, Caméra d’Or en 2006, qui fait cette année ses premiers pas en compétition.

Grand habitué des récompenses sur la Croisette (Prix du Jury Un Certain Regard avec Policier, adjectif en 2009, Prix Un Certain Talent dans la même section six ans plus tard avec Le Trésor), le Roumain s’aventure ici sur le terrain du polar dans les pas d’un inspecteur corrompu jusqu’à l’os et mis sur écoute par ses supérieurs soupçonneux. Seule solution pour communiquer avec la bande d’un mafieux qu’il doit faire sortir de prison, avec un pactole à la clé ? Echanger avec eux via… une langue sifflée ancestrale de la Gomera, une île des Canaries qu’il va apprendre sur place avant de revenir en Roumanie exécuter un plan qui aurait sans doute été parfait si son cœur ne s’était pas emballé pour la petite amie du voyou (Catrinel Marlon, sculpturale révélation)

Quelques plans suffisent à comprendre que Porumboiu n’a rien perdu de son sens du burlesque. Les scènes d’apprentissage de la langue sifflée posent ainsi le ton joyeux et bien secoué du film dont il a choisi d’éparpiller le scénario façon puzzle entre flash- backs et flashforwards comme pour mieux accompagner cet art permanent du décalage qu’il maîtrise sur le bout des doigts. Est-ce qu’on comprend tout à chaque instant ? Certainement pas. Se retrouve t’on plus souvent perdu qu’à son tour ? Indéniablement. Mais cela n’a finalement ici que peu d’importance. Parce qu’on sent que le cinéaste maîtrise son sujet et finira par retomber sur ses pattes. Et surtout que le plaisir pris à déguster l’absurde des situations et de cette collection de personnages hauts en couleur balaie une large part de ces réticences. Mais pas toutes. Porumboiu a un peu oublié que les blagues les plus courtes sont décidément les meilleures. Et en jouant au Monsieur plus de Bahlsen, il semble un peu trop jouir de ses effets, un peu trop sûr de son talent pour ne pas finir par crisper dans une dernière ligne droite un brin épuisante. Comme une interminable farandole de desserts après un repas déjà bien copieux. Sa générosité le dessert. Mais sa mission est accomplie : le festivalier repart le sourire aux lèvres affronter la pluie. On a enfin ri en compétition !