couverture Black-out
Futuropolis

Ce graphic novel français fraîchement récompensé au Festival de la BD d'Angoulême, réécrit la grande histoire de l’usine à rêve en pointant son côté sombre et ses inégalités. Magistral.

Paru fin août dernier en librairie, le superbe roman graphique Black-out des français Loo Hui Phang et Hugues Micol aux éditions Futuropolis, récent lauréat du Prix Goscinny du scénario au Festival de BD d'Angoulême, raconte le destin d’un acteur américain de l’âge d’or hollywoodien totalement oublié. Protégé de Cary Grant au mitan des années trente, Maximus Ohanzee Wildhorse aka Maximus Wyld, avait la particularité d’avoir du sang africain, chinois, indien ou encore mexicain dans les veines. Un beau « mélange » qui valut à l’une de ses maîtresses, la grande Rita Hayworth, cette remarque fameuse : « Il n’était pas américain, il était les américains. »

Beau comme un Dieu, Maximus Wyld avec sa peau - « trop foncée » pour les uns, « trop claire » pour les autres - ne pouvait prétendre aux premiers rôles dans une société alors profondément raciste. Asiatique dans The Shanghaï Gesture de Josef von Sternberg, oriental dans Le Faucon Maltais de John Huston, indien dans La flèche brisée de Delmer Daves ou encore égyptien dans La terre des Pharaons d’Howard Hawks, le comédien aura aussi croisé les caméras d’Alfred Hitchcock, Frank Capra et John Ford.

Born to be Wyld

Plus qu’oublié, Max Wyld a surtout été effacé de l’histoire officielle. Injustement accusé d’espionnage à la solde des Rouges à la fin des fifties, toutes ses apparitions ont été coupées au montage. Cette disparition n’aura pas empêché Wyld de changer le cours des choses et d’accélérer la représentation des minorités dans le cinéma américain. Celui qui était prêt à accepter de se plier à certains clichés dans la représentation des afro-américains à l’écran mais aura toujours refusé de jouer les esclaves ou les domestiques, a ainsi ouvert la voie à Sidney Poitier ou Harry Belafonte. Maximus Wyld n’a pourtant pas d’étoile à son nom sur Sunset Boulevard et ne figure dans aucun manuel. Oublié, effacé, Wyld n’a surtout jamais existé. 

Ce beau graphic novel débute d’ailleurs par ces quelques phrases en guise de manifeste: « Hollywood est une fiction, Et comme toutes les fictions, elle est multiple, sincère, mensongère. Mécanique décuplée à la fluidité carnassière, elle recèle aussi des gouffres, des fêlures, des arythmies. Entre ses strates rutilantes macèrent des appétits meurtris, marécages épais dans lesquels s’engluent les martyrs du succès. Foudroyés en plein vol, ceux-ci s’abîment dans la plus amère des damnations : l’oubli…»  A l’image, on distingue un homme en costume, le visage entièrement recouvert d’un masque blanc, marchant dans un décor de western où s’amoncèlent ici et là les ruines d’un monde engloutis, vestiges de monuments en carton-pâte d’une Babylone décadente. Wyld avance anonyme dans une plaine où tous les mythes semblent pétrifiés.

Notre critique de la serie Hollywood de Ryan Murphy

Un véritable tourbillon

Les beaux dessins en noir et blanc signés Hugues Micol évoquent la noirceur d’un Charles Burns (Black Hole….). Micol alterne les formats, change de rythme, plonge le lecteur dans une sorte de rêve éveillé et flottant. Ce récit très intelligemment écrit est un véritable tourbillon où les icônes (Ava Gardner, Cary Grant, Rita Hayworth…) et les piliers de l’industrie (David O Selznick, Louis B.  Mayer….), dansent autour d’un héros, toujours lucide face à l’hypocrisie ambiante.     

A l’instar de la série Hollywood de Ryan Murphy, Black-out de Loo Hui Phang et Hugues Micol, offre une lecture apocryphe et rebelle d’un monde qui a toujours substitué à notre regard ses propres désirs. Fussent-ils ignobles.

 

Black-out de Loo Hui Phang et Hugues Micol. Futuropolis. 28 euros.