Après avoir présenté Joe ici-même à Venise l’année dernière, David Gordon Green revient avec encore un film titré d’après le personnage principal, cette fois incarné par Al Pacino. C’est un film à clé. Pas seulement parce que Manglehorn est un serrurier, mais parce qu’il cache un secret qu’il est seul à pouvoir déverrouiller. Il est présenté comme un solitaire qui a passé l’âge de la retraite mais continue de dépanner les gens pour éviter de s’ennuyer à mourir. Il fréquente peu de monde, à part un ancien toxico (Harmony Korine) qu’il a l’air de mieux apprécier que son fils parvenu (Chris Messina), et une employée de banque (Holly Hunter) qui lui fait de l’oeil. Sinon, il adore emmener sa petite fille au jardin d’enfants.A défaut de dévoiler son sujet tout de suite (l’étude d’un solitaire qui dépérit), le film aligne les scènes d’exposition comme autant de pièces d’une mosaïque qui tarde à révéler son motif général. Ce n’est pas avant longtemps que le personnage manifeste une insensibilité alarmante, à l’occasion de trois séquences de fâcherie avec ses proches. Le film est sur le point de tomber dans une tristesse vertigineuse, lorsqu’un épisode apparemment anecdotique prend toute sa dimension métaphorique.Le chat de Manglehorn avait perdu l’appétit. Une radio a montré qu’il avait avalé une clé qui bouchait son tube digestif. Une opération chirurgicale, décrite en détail avec une précision documentaire, a permis d’extraire la clé et de rétablir l’ordre. De même que son chat avait perdu l’appétit, Manglehorn a perdu sa capacité d’empathie parce que quelque chose est resté coincé en lui. Il doit donc, comme son chat, s’ouvrir pour chercher la clé permettant de déverrouiller le coffre-fort dans lequel est enfermé le secret qui le ronge depuis des années. Il y a une autre métaphore avec des abeilles dans la boîte aux lettres, mais on va en rester là.A l’origine, David Gordon Green voulait réaliser un conte de fées pour enfants, et il s’était demandé comment l’affection de Gepetto pour son fils pouvait bien évoluer avec le temps. Le marionnettiste Gepetto est devenu le serrurier Manglehorn, et l’histoire a dérivé vers ce portrait d’un vieil homme immergé dans l’univers familier de Green, mélange d’ultra naturalisme traversé d’éclairs poético-surréalistes. Al Pacino s’est fondu comme un caméléon dans ce décor, même si on reconnaît son bagage, plus proche de la modestie de L’épouvantail que de n’importe quel autre de ses rôles. Il apporte encore une touche de singularité à un film qui ne ressemble à aucun autre du très versatile et imprévisible David Gordon Green, lequel s’apprête dans trois semaines à tourner son prochain, avec Sandra Bullock dans un rôle de consultante politique américaine en Bolivie.Gérard DelormeManglehorn de David Gordon Green avec Al Pacino, Holly Hunter et Chris Messina sortira en salles le 25 mars 2015.L'histoire : celle d'un homme excentrique, qui tente d'en finir avec un crime passé qui le hante et lui a coûté l'amour de sa vie...Voir aussi : Al Pacino impressionne dans la peau d'un acteur lessivé dans The Humbling