DR

Rencontre avec le compositeur de The Artist.

Alors qu'il se prépare à être le jury cannois des Audi Talents Awards, le compositeur de The Artist revient sur la conception du projet, la folie entourant la campagne du film aux Oscars et évoque ce qui l'attend, maintenant qu'il a été multi-récompensé.

Propos recueillis par Elodie Bardinet

Fort de huit prix majeurs reçus en quelques semaines (dont un Oscar, un César, un Bafta et un Golden Globe), Ludovic Bource voudrait profiter de l'engouement qui entoure son travail sur The Artist pour aider de jeunes talents à percer dans la musique (voir les détails ici). C'est dans ce cadre que nous l'avons contacté, même si, très vite, la discussion a bifurqué sur le film muet et en noir et blanc de Michel Hazanavicius, réalisateur pour lequel il compose des musiques depuis 1996 - d'abord pour des publicités, puis pour Mes amis, les OSS 117 et The Artist, donc). En se lançant dans un tel projet, le cinéaste savait que la musique serait cruciale pour aider les spectateurs à se plonger dans l'histoire de Georges Valentin. "Avec Michel, on travaille beaucoup en amont. Il me parle du projet, des visuels qu'il a en tête, des personnages... Une fois qu'il a terminé le scénario de The Artist et son storyboard, j'ai composé six grands thèmes pour le film. Ils étaient donc fixés avant le début du tournage. Par contre, une fois que le montage s'est mis en place, j'ai dû modifier quelques passages, mais le plus gros du travail se fait avant les premières prises de vues. Sur ce film, c'est vrai que je sentais que j'avais une grande responsabilité. J'ai pris ça comme un cadeau, j'étais conscient que j'avais de la chance, et en même temps, je savais que mes compositions devraient parfaitement coller aux images."

Mais au fait, elle dure depuis quand cette complicité artistique ? "On se connait depuis 1996. Il m'a d'abord demandé de travailler pour ses publicités. Il ne faut jamais refuser des pubs. Ca rapporte de l'argent, et ça permet de se faire connaître. C'est important pour un compositeur, sans quoi on reste dans l'ombre."

Campagne des Oscars : "Je ne sais pas comment Jean a tenu le coup"
Impossible d'éviter le sujet des Oscars, tant la campagne a été longue et dense : "Les Oscars, ça rend les gens fous ! Le fait que le "putain" du discours de Jean (Dujardin) ait été repris dans la presse et sur internet, ça montre qu'il faut faire attention à tout ce qu'on dit, tout ce qu'on fait. Moi, je n'ai vraiment participé à la promotion qu'à partir de janvier, et c'était déjà dingue. Je ne sais pas comment Jean, ou même Bérénice (Bejo), ont tenu. On se soutenait... Et puis on s'entend très bien. Mais quand même : des fois, Jean et Michel passaient à peine 24 heures aux Etats-Unis, s'envolaient pour l'Angleterre, puis l'Allemagne, puis revenaient aux Etats-Unis. Quel rythme ! D'ailleurs, demain, on part au Japon. Le film sort un peu plus tard, là-bas. Ensuite, je pense que ça va retomber."

"Je ne peux pas refuser de travailler avec Scorsese ou Spielberg !"
Du coup, après une telle promo marathon, Ludovic Bource va-t-il privilégier des projets en France ? Pas tout à fait ! "J'ai un agent américain, on me propose de travailler sur des films... Pour l'instant, rien n'est signé, mais ça devrait se concrétiser d'ici quelques mois. Tout le monde veut travailler à Hollywood : je ne peux pas refuser de travailler avec Scorsese ou Spielberg ! Ceci dit, ça ne devrait pas changer grand-chose à ma manière de composer. Gros projet ou pas, le travail de compositeur reste le même. On s'enferme avec son piano et on s'inspire de choses très personnelles."

 The Artist inspire aussi des concerts
"On a entendu tout et n'importe quoi sur The Artist. Moi-même, je lisais parfois des choses sur internet, absolument fausses." L'occasion de demander à Ludovic s'il va bien orchestrer une tournée de concerts liée au film. "Vous avez lu ça sur internet ? (Rires). Oui, ça, c'est vrai. Là, on était en pleine campagne des Oscars, mais maintenant que ça se calme, je me penche de nouveau sur ce projet. J'espère que ça va se faire. Ca coûte cher d'engager un orchestre philharmonique pour jouer en direct les musiques de The Artist, pendant que le film défile sur grand écran. Je ne suis pas producteur, mais ce serait vraiment bien. Ce serait une tournée mondiale en plus ! Une dizaine de grandes villes sont intéressées par ce concept. Si ça marche, on jouera en Europe, aux Etats-Unis, et même au Japon !

The Artist : le film qui a permis de faire de belles rencontres
"Des spectateurs du monde entier adorent The Artist, pas seulement en France et aux Etats-Unis. Ce qui m'a le plus touché, c'est d'avoir été récompensé par mes pairs (lors de l'International Film Music Critics Awards, ndlr). Là, c'étaient des compositeurs qui me disaient qu'ils avaient aimé mon travail. Et le fait de rencontrer des amis de Bernard Herrmann, ça a été très fort aussi. Certains étaient presque centenaires. Les gens ont compris à quel point on voulait lui rendre hommage. C'est pour ça que je n'ai pas compris les accusations de Kim Novak. Elle a utilisé un mot très dur, alors que nous rendions véritablement hommage à Bernard Herrmann. Vous vous rendez compte que cet homme composait des morceaux pour la radio le matin même des enregistrements ? C'est comme ça qu'il a été repéré pour le cinéma. Orson Welles a été bluffé par sa façon de travailler et il l'a engagé sur Citizen Kane. Choisir l'un de ses titres les plus célèbres pour The Artist n'était pas un hasard. C'est quelqu'un que Michel et moi admirons beaucoup. Pour moi, c'est même le compositeur ABSOLU. On parle trop peu de cet homme, alors qu'il a inspiré énormément de gens."

Prochaine étape, la réalisation ?
"Je suis très intéressé par l'image (il est également jury des court-métrages pour les Audi Talents Awards, ndlr). Mais je ne me sens pas prêt. J'y ai pensé, pourtant. En collaborant autant avec Michel, j'ai vu comment il travaillait. En fait, ça me fait un peu peur. Peut-être que je pourrais essayer de mettre en scène un court-métrage ? Enfin... ce n'est pas à l'ordre du jour. Entre la fin de la présentation du film, le concours en mai, la possible tournée de concerts de The Artist et les projets de musiques de film sur le point de se concrétiser, je risque d'être très occupé." Pas de collaboration purement musicale, comme en 2002 avec Alain Bashung ? "Si vous me trouvez le nouveau Bashung ou le nouveau Gainsbourg, je prends ! (Rires). En ce moment, c'est vrai qu'on me propose surtout des musiques de films, mais je suis un homme de rencontres. Si mon chemin croise celui de quelqu'un d'aussi intéressant que Bashung, je ne pourrai pas refuser."

Rendez-vous à Cannes, pour la remise des prix, donc. Mais avant cela, Ludovic tient à préciser une dernière chose : "Je suis content de parler à la presse française. On a répondu à beaucoup d'interviews à l'étranger, et ça va continuer, mais c'est bien de s'arrêter un instant et de profiter du succès de The Artist. C'est une telle joie de célébrer cette réussite !"