« Dans l’espace, personne ne vous entend crier »
S’il fallait trouver des ancêtres à Alien, il faudrait citer La chose d’un autre monde (Chris Nyby, 51) et La planète des vampires (Mario Bava, 65) qui tous les deux présentent des éléments communs, aussi bien thématiques que stylistiques, avec leur environnement inhospitalier habité par une entité maléfique. Mais comparés à Alien, ils relèvent de la préhistoire tant le film de Ridley Scott a innové dans tous les domaines. Un de ses grands accomplissements a été de faire entrer le film d’horreur, un genre jusque-là réservé à une niche, dans le courant dominant de la culture de masse. Et il n’est pas étonnant que Scott cite Massacre à la tronçonneuse parmi les trois films qui l’ont influencé (les plus évidents étant Star Wars, sorti seulement deux ans plus tôt, et 2001, L'Odyssée de l’espace).
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A l’évidence, Alien aurait été différent sans Ridley Scott, à l’époque un inconnu qui n’avait fait que l’intrigant et ultrastylisé Duellistes. C’est un peu un miracle qu’il ait été choisi par la Fox qui ne savait pas trop quoi faire du sujet hybride, entre horreur et science-fiction, écrit par Dan O’Bannon et Ronald Shusett. Pourtant, le projet attirait la convoitise de réalisateurs aussi variés que Robert Aldrich, Peter Yates, Jack Clayton ou Walter Hill. On peut imaginer le résultat, si Scott n’avait pas été retenu. Il a apporté plusieurs idées de génie, et l’une d’entre elles a été de faire du capitaine du vaisseau une femme, alors que dans le script, rien n’était spécifié. A l’époque, personne n’était habitué à l’idée que les personnages perçus comme importants seraient tués les uns après les autres. Le fait de donner à Ripley le rôle dominant allait non seulement bouleverser les habitudes de compréhension d’un film, mais aussi servir de modèle à une nouvelle espèce d’héroïne.
En matière de style, Scott a aussi poussé le bouchon très loin. Sa méthode de storyboarder l’histoire lui a permis de concevoir et de mettre au point son univers au fur et à mesure qu’il avançait. Ses dessins ont tellement épaté les gens du studio qu’ils ont doublé le budget du film, le faisant passer à plus de 8 millions de dollars, une somme qui commençait à être confortable pour l’époque. Il a aussi su se faire aider pour l’occasion par les meilleurs concepteurs visuels, qui allaient de HR Giger à Moebius en passant par Ron Cobb. Le résultat surpasse tellement tout ce qui été fait avant que même La guerre des étoiles ressemble à du bricolage à côté. Mais c’est la mise en scène qui fait l’essence d’Alien : sur un rythme délibérément lent, appuyé par des effets sonores sophistiqués, elle exploite chaque recoin de l’espace pour suggérer que personne n’est à l’abri de la menace.
Le résultat, annoncé par un slogan simple mais inoubliable (« Dans l’espace, personne ne vous entend crier ») en a fait le film d’horreur le plus vu de son époque. Les répercussions de ce succès seront colossales. Sans compter la quantité d’imitations dégradées qu’il inspirera, il donnera lieu à une tétralogie distinguée, même si le quatrième épisode, bien que visuellement à la hauteur, n’apporte rien aux précédents. Il a aussi montré qu’une science-fiction différente de Star Wars était possible : plus adulte, plus en phase avec son temps. L’attitude désabusée de l’équipage vis-à-vis de l’autorité est typique de la période de l’après Vietnam (le film est sorti la même année qu’Apocalypse Now). Enfin, il fait partie de ces films qui ont systématisé la nouvelle tendance hollywoodienne à produire des films B avec des budgets de films A. D’une certaine façon, il a ouvert la voie à James Cameron.
Gérard Delorme
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