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Est-ce que c'est beau ? Est-ce que c'est cool ? Est-ce que c'est vide ? Décryptage du nouveau film de Winding Refn.

Est-ce que c’est aussi cool que Drive ?
C’est l’espoir secret d’une partie non négligeable de la fanbase de Nicolas Winding Refn : que l’esthète danois réalise à nouveau un jour un film aussi cool que Drive, un petit classique pop instantané dont tous les éléments (la musique, les fringues, la typo du titre…) iraient se loger direct dans la conscience collective. Mais Drive était en réalité un malentendu. Refn est avant tout l’auteur de Valhalla Rising et Only God Forgives, l’arpenteur hiératique de mondes froids comme la mort, un radical chic qui vise l’hypnose et l’envoûtement. Fable morbide sur une jolie provinciale qui débarque à Los Angeles pour percer dans le milieu de la mode, The Neon Demon est à la croisée des chemins. Un pied dans l’intransigeance mutique, l’autre dans la séduction pure (couleurs qui pètent de partout, filles sublimes sur talons aiguilles…). Sauf qu’à vouloir réconcilier les deux pôles contraires de sa filmo, Refn prend le risque de ne contenter personne.

C’est beau ?
Oui, mais ça, c’est la moindre des choses, pour un film sur l’obsession de la beauté et le culte des apparences. A Cannes, où prédomine cette année une grosse tendance au naturalisme grisâtre (appelons ça l’école roumaine), The Neon Demon prend instantanément des airs de bonbon acidulé qui donne envie de lécher l’écran. En termes d’érotisme et de pulsion scopique, on est un cran en-dessous du capiteux Mademoiselle de Park Chan-Wook, mais Refn reste un maître pour créer des images érectiles, drivées par la B.O. luxuriante de Cliff Martinez. On est à la croisée de Lynch et du porno chic, du giallo et d’une pub Chanel, de Jodorowsky et d’une installation d’art contemporain, de Gaspar Noé et de Zoolander. Et tant pis si tout ça est creux, toc, vide de sens – c’est justement l’idée. Un film sur le vide qui serait lui-même parcouru de courants d’air. C’est le sens de la signature-sigle au début du film (« NWR », comme on dit « YSL »), ou de cette réplique d’Elle Fanning : « Je ne sais pas danser, je ne sais pas chanter, je ne sais pas écrire, mais je suis jolie. » Presque une profession de foi pour Refn.

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C’est vraiment gore ?
La rumeur cannoise annonçait une dernière demi-heure démentielle. Un scandale de cinéma où Refn mettrait tous les compteurs dans le rouge. Mais c’est justement à ce moment-là que le film déçoit, quand tous les éléments patiemment mis en place dans les deux premiers actes devraient enfin transcender l’esthétique publicitaire pour déboucher sur un pandémonium psychédélique, habités de visions de cinéma qui affoleraient durablement la rétine. Mais il n’y a chez Refn rien au-delà de la surface.  Pas de métaphysique, peu de pensée, pas d’imaginaire qui lui soit propre, en dehors de la citation cinéphile. The Neon Demon séduit, épate, mais se rate sur le plan de la terreur primale qu’il veut provoquer, s’achevant sur le ton de la blague ironique plutôt que du grand frisson intime. Ceci dit, la scène de nécrophilie fait son petit effet…

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C’est vraiment un film féministe ?
Dans le dernier numéro de Première, Nicolas Winding Refn teasait The Neon Demon comme son grand œuvre féministe. Le mari de Liv (à qui le film est dédié) ne mentait pas. Le film n’est pas qu’une satire du milieu de la mode et du capitalisme cannibale, c’est une réflexion sur l’injonction faite aux femmes en général de se conformer à une norme de perfection physique. Mais au-delà, il met le doigt sur l’injustice fondamentale de la beauté, de cette loterie génétique qui fait que certaines ont la grâce absolue et d’autres non. C’est plus inattendu. Et plus cruel aussi.

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Pourquoi ça s’est fait huer ?
Assayas, Xavier Dolan, Sean Penn… Dans la dernière ligne droite du Festival, les films s’en sont pris plein la tronche, finissant sous les huées de journalistes impatients de monter dans le TGV du retour. A ce petit jeu du « booing » cannois, NWR remporte la Palme. Tant mieux pour lui, c’est exactement ce qu’il recherchait, avec ce nouveau film agressif-déceptif. Tout plutôt que l’indifférence. Only God vomit les tièdes. Il y a un évident cynisme dans cette démarche, une attitude de petit malin qui veut laisser une traînée de poudre sur la Croisette, et qui fait beaucoup penser à son compatriote Lars Von Trier… Tiens, d’ailleurs, à la conférence de presse de son film, NWR a clashé LVT. CQFD ?

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Elle Fanning est-elle le nouveau Ryan Gosling ?
Qui peut résister à sa gaucherie bouleversante et à son sourire de madone teenage ? La très bonne idée du film est de confier la représentation de la beauté pure à Elle Fanning, actrice elfique tout juste sortie de l’adolescence et pour qui le rôle est censé servir de traversée du miroir. Drive capitalisait sur dix ans de séduction pour iconiser une bonne fois pour toutes Ryan Gosling et le propulser dans une nouvelle dimension. The Neon Demon voudrait accomplir la même chose avec Elle, mais le véhicule n’est pas toujours à la hauteur de sa fabuleuse passagère.

Et Keanu Reeves, au fait ?
Keanu est bien là, dans un rôle amusant de tenancier de motel minable. Fidèle à lui-même, c’est-à-dire cool, maladroit et irrésistible. Mais il n’a que trois scènes. Ce qui fait tout de même deux de plus que Christina Hendricks.

Frédéric Foubert

The Neon Demon sort en salles le 8 juin.