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Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Marco, écrivain d'une quarantaine d'années, et Benigno, jeune infirmier, sont assis l'un à coté de l'autre mais ne se connaissent pas encore, lorsqu'ils assistent au spectacle de Pina Bausch, Café Müller. Pourtant, la même émotion les étreint devant ces deux femmes qui, les yeux clos, rebondissent sur des obstacles devenus invisibles.
    Plus tard, Benigno raconte sa soirée à Alicia, jolie jeune fille dans le coma, dont il est l'infirmier amoureux depuis plusieurs années.
    Marco, lui, commence une histoire avec Lydia, torero professionnel(le), qui, à son corps défendant, va l'amener à rencontrer Benigno et ainsi donner naissance à une amitié forte, compliquée et ambiguë.
    C'est l'histoire de cette amitié que nous narre de façon magistrale Pedro Almodovar, faisant émerger 2 thèmes cruciaux : la solitude, et la parole comme antidote."La solitude, je suppose" répond Bénigno au psychiatre qui lui demande quel est son problème. Cela aurait pu être un autre titre de ce film. En effet, tous les personnages sont victimes de cet état : des femmes, coupées du monde dans leur coma, aux hommes, qu'elles ont abandonnés, en passant par les personnages secondaires (Géraldine Chaplin) ou même le taureau, qui se retrouve seul au milieu de l'arène. Ainsi, se croisent des destins qui portent en eux une blessure profonde. Celle-ci les met en face d'une solitude mortelle car c'est dans l'Autre que se trouve la preuve de notre existence. C'est son regard qui nous donne forme, et son absence qui provoque notre déliquescence.
    Cela, Benigno l'a compris, pas avec son intelligence, mais plutôt grâce à un pragmatisme du coeur que seules les âmes simples peuvent atteindre(exprimer). Et cette connaissance, il la partage avec Marco, l'intellectuel, en lui apprenant à parler avec cette femme endormie.
    Pour les faire exister, eux ; pour les faire survivre, elles.Ce thème de la parole est décliné comme une arme à la puissance fondamentale. Elle blesse, libère, apaise ou détruit. En tout cas, elle doit être utilisée comme Benigno sait le faire : avec la plus grande sincérité, sinon elle entraîne la catastrophe. Mais il y a pire : la parole qui n'est pas prononcée car ses conséquences sont incalculables. Il faut apprendre à parler même si l'on est pas sûrs d'être entendu.L'intérêt que l'on peut porter aux thèmes développés au fil du récit ne doit pas occulter la forme brillamment exploitée qui les met en valeur. Celle-ci, dans laquelle on peut maintenant affirmer que le cinéaste excelle, est une nouvelle fois, celle du mélodrame.Une définition de ce terme lié à l'histoire du théâtre nous apprend qu'il s'agit d'un "drame parlé dont certaines scènes comportent un accompagnement musical". Difficile de mieux coller à cette définition. En effet, le film s'ouvre et se clôt par des scènes théâtrales où la musique joue un rôle capitale. On retrouve cette musique sous d'autres formes tout au long du récit. Cependant, à la différence de nombreux films (agaçants), elle n'est pas utilisée pour imposer un sentiment à un spectateur pris en otage, mais semble, au contraire, participer à l'édification de l'ensemble, nourrissant le récit de façon intelligente et gracieuse, le faisant respirer ou rebondir, soulignant, parfois par son absence, l'importance du son, de la parole, entendue ou prononcée.
    Aujourd'hui, le mélodrame caractérise plutôt une attitude à la sentimentalité excessive. Marco, l'homme qui pleure, et Benigno, le simple, ont en commun ce pathos hyper développé même s'ils l'expriment de façon différente. Comment, alors, avec ces ingrédients, Almodovar ne sombre-t-il pas dans le ridicule ?Tout d'abord, il évite le piège de la facilité en construisant un récit qui ne se livre pas facilement au spectateur. Dès le début, plusieurs pistes s'offrent à nous sans que l'on sache laquelle privilégier. Notre attention en est décuplée. Nous sommes dans le domaine des possibilités. Tout peut arriver et arrive d'autant plus qu'il s'agit d'une création d'Almodovar.
    Ensuite, en mélangeant la chronologie et en proposant des formes narratives différentes, il apporte, par petites touches, les éléments constitutifs des personnages nécessaires à leur compréhension. Ainsi, comme un tableau impressionniste, un certain recul et temps d'adaptation est-il nécessaire pour saisir un ensemble, formidablement équilibré et pensé, qui emporte notre adhésion.
    Il est en effet plus facile d'être touché par des personnages que l'on appréhende grâce à un effort faisant appel à notre réflexion. Ainsi, les conditions préalables à la naissance de notre émotion sont-elles posées. Emotion qui, du coup, ne nous paraît donc pas ridicule ou artificielle mais bien sincère.On a pris l'habitude de dire que le dernier Almodovar est le meilleur. C'est encore vrai car ce grand réalisateur ne cesse de s'affiner. Il se concentre sur ce qu'il sait faire de mieux : créer des personnages qu'il aime, les mettre au service d'une histoire qu'il raconte avec talent et enthousiasme. Le baroque et l'excès qui le caractérisaient il y a peu, font aujourd'hui place à un style épuré qui n'en oublie pas pour autant les audaces formelles et les trouvailles grandioses (à ce titre, le petit film muet, en noir et blanc, est-il exemplaire d'ingéniosité, de talent et d'efficacité narrative) qui viennent se mettre au service du récit et, paradoxalement, rendent son propos peut-être encore plus subversif, car moins outrancier, donc plus crédible.Parle avec elle
    De Pedro Almodóvar
    Avec Javier Camara, Dario Grandinetti, Leonor Watling, Rosario Flores, Mariola Fuentes
    Espagne, 2001, 1h52.
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    - Tags : Pedro Almodovar, Cinémathèque française