Toutes les critiques de Bamako

Les critiques de Première

  1. Première
    par Isabelle Danel

    Le dispositif choisi ici par Abderrahmane Sissako (La Vie sur terre; En attendant le bonheur) donne au spectateur un salutaire vertige. Le procès est posé comme un documentaire enchâssé dans la fiction sur les habitants de la courée. Pourtant, à mieux y regarder, c’est cette mise en scène (et en cause) de la justice qui est utopie (qui envisagerait d’attaquer de front la mondialisation?) et ce sont les petites tranches de vie qui reflètent le réel. Bamako est une fable africaine d’aujourd’hui racontée par un griot armé de sa caméra et de sa colère. Une étonnante parabole politique, à la fois décourageante et porteuse d’espoir.

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Qui n'a pas rêvé, un jour, de dire leurs faits aux puissants qui oppriment ? La confrontation avec ceux qu'on souhaite épingler est souvent chimérique, voire utopique. Abderrahmane Sissako fait pourtant de ce fantasme l'objet principal son dernier film. A Bamako, dans la cour à palabres d'un village, il dresse un vrai procès - bien qu'idéaliste - de ceux qu'il considère comme les profiteurs de l'Afrique.
    Le rêve de la parole
    « Quand on vit sur un continent où l'acte de faire un film est rare et difficile, on se dit qu'on peut parler au nom des autres : face à la gravité de la situation africaine, j'ai ressenti une forme d'urgence à évoquer l'hypocrisie du Nord vis-à-vis des pays du Sud ». C'est avec ces mots que Abderrahmane Sissako présente son dernier film, co-produit par l'acteur américain Danny Glover (qui y interprète un cow-boy). Dans la cour d'une large maison où vivent nombre de familles, un procès a lieu, celui du Fonds Monétaire International et de l'Occident qui l'a produit. La plaignante s'appelle Afrique. Puisqu'aucune juridiction n'existe pour remettre en question le pouvoir des profiteurs, le réalisateur en crée une de toutes pièces afin de dresser son réquisitoire. Jouant à plein du pouvoir du cinéma, il utilise l'acte créatif et artistique dans son sens premier. Il invente un monde afin de dire le Monde, où pour une fois les Africains en la personne de Maliens ont la parole et revendiquent leurs pleins droits.A l'heure où la France renvoie les immigrés africains par charters sans leur demander leur avis, Sissako met en images un continent et un pays qu'on a peu l'habitude de voir et propose d'écouter une voix qui ne se fait jamais entendre. « Je voulais donner une autre image (de l'Afrique) que celle des guerres et des famines», dit encore le cinéaste, « c'est en cela que la création artistique est utile, non pas pour changer le monde, mais pour rendre l'impossible vraisemblable, comme ce procès des institutions financières internationales ». Avec une subtile mise en scène, il fait un état des lieux sans naïveté ni bons sentiments. Ses dénonciations ne sont jamais affectées. Il ne s'agit pas de séduire le chaland avec de la sensiblerie mais de dire (d'énoncer !) les faits. Sissako a choisi un dispositif proche du documentaire pour filmer une fiction. Dès lors, il ne laisse rien au hasard, aucun détail n'est gratuit. Les avocats du FMI et de la banque mondiale sont à la barre et tout dans leurs gestes trahit une attitude coloniale.Plus dure est la réalité quotidienne
    Si le réalisateur dénonce clairement le fait que « le destin de centaines de millions de gens est scellé par des politiques décidées en dehors de leur univers », il parvient également à faire sourire ou pleurer en captant les à côtés du procès. Ce dernier a lieu dans une cour populaire, dans tous les sens du terme. Lieu des palabres et des croisements, la population y poursuit sa existence quotidienne. Certains voisins peuvent y assister en versant un bakchich au portier, d'autres l'écoutent à la radio en faisant des commentaires, d'autres encore, malades, restent sur leur lit de mort, à trois pas de la barre, dans l'attente d'une hypothétique tri-thérapie.Avec ces allers et retours entre la cour, centre de l'attention du pays, et la vie qui, aux alentours, continue son bonhomme de chemin, Sissako joue du dehors et du dedans. Là s'établit une sorte de métaphore de ce qui se joue pour le destin d'un pays. Certains habitants se sentiront toujours étranger vis-à-vis d'un gouvernement bien éloigné à leurs préoccupations journalières. Il y a toujours plus puissant que soi. Même s'il joue à la réalité, dans sa fiction, le réalisateur inclut des personnages qui, bien que concernés, écoutent mais n'attendent rien du procès. Comme si d'avance, ils savaient que seule la duperie de l'Occident serait leur quotidien.Un jeu dont personne n'est dupe
    Avec son film, Sissako dresse ainsi un état des lieux à la Montesquieu ou à la Voltaire. Bamako sort en effet sur nos écrans alors que le FMI vient d'être réformé. Accusé de représenter les intérêts occidentaux (les pays du G7 ont 45% des droits de vote du fonds), celui-ci devrait à l'avenir prendre davantage en compte les pays émergeants. Pourtant certains dénoncent encore le fait que 43 pays africains ne détiendront que 4,4% des droits de vote (Le Monde, 19 septembre 2006). A cela s'ajoute l'un des problèmes majeurs de l'Afrique, sa dette et les taux d'intérêt qu'on lui impose. Une des protagonistes du film rappelle d'ailleurs que nombre de pays africains consacrent 40% de leur budget national au remboursement de la dette, quand ils n'en utilisent que 4 à 12% pour leurs services sociaux de base.«Parlant de l'Occident, l'un des témoins m'a dit pour m'encourager : au moins, ils sauront que nous savons », rapporte Abderrahmane Sissako, pas dupe des effets de son film. On doute en effet que son film ait les mêmes répercussions que l'Indigènes de Rachid Bouchareb. Celui-ci avait tellement touché le président Jacques Chirac que ce dernier a décidé d'aligner les pensions des anciens combattants issus des ex-colonies françaises sur ceux de la métropole (cf. le billet de Manu sur Ecrans). Mais il est vrai qu'on se demande comment appliquer une peine condamnant à perpétuité le FMI à des travaux d'« humanité générale » ...Bamako
    Réalisé par Abderrahmane Sissako
    Avec : Hamèye Mahalmadane, Hamadoun Kassogué, Tiécoura Traoré, Aïssa Maïga, Danny Glover, Jean-Henri Roger, Elia Suleiman
    France/Mali , 2006 - 118 mn
    Sortie en salles (France) : 18 octobre 2006
    [illustrations © Les Films du Losange]
    Sur Flu :
    - La bande annonce de Bamako sur Écrans
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    - Site officiel du film