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Après avoir adapté Romanzo Criminale à la télé, le fils du grand Sergio Sollima poursuit son OPA sur les hits récents du cinéma italien en déclinant Gomorra en série. Interview.

La série Gomorra de Stefano Sollima (Romanzo Criminale) vient d’arriver sur Canal +. Interview

Roberto Saviano (l’auteur du livre Gomorra, qui vit aujourd’hui sous protection policière) a participé à l’écriture des épisodes, mais est-ce que vous avez discuté avec Matteo Garrone (réalisateur du film de 2008) avant de vous lancer dans la production de la série ?
Non. Il y a deux types d’attitude quand on part en voyage vers une destination inconnue. Demander à ceux qui y sont déjà allés de nous donner des conseils et des bonnes adresses, ou partir à l’aventure sans idée préconçue. J’appartiens plutôt à la deuxième catégorie.

Comme devant pas mal de séries contemporaines, on se dit en découvrant Gomorra que vous avez beaucoup regardé The Wire
Hum… Non, pas tant que ça en fait. Lors de mes premières discussions avec les producteurs, je leur ai surtout parlé de Miami Vice !

La série ou le film ?
Le film. Je voulais combiner l’aspect documentaire de Gomorra avec quelque chose de beaucoup plus spectaculaire sur le plan visuel. Amener un peu de l’énergie du cinéma de genre.

Et à la différence de The Wire, vous ne vous concentrez que sur les bad guys. Il n’y a pas de contrechamp sur les flics ou les magistrats…
Je voulais qu’il y ait le moins de filtre possible entre les personnages et le public. Je ne souhaitais pas ajouter à cette histoire mon point de vue moral, parce que ça priverait les spectateurs d’un grand plaisir – celui d’exercer leur propre jugement sur ce qu’ils sont en train de regarder. Mon ambition était de décrire le monde tel qu’il est.

Votre vision de la camorra a changé pendant le tournage ?
Bien sûr. Tourner, c’est confronter son imaginaire au réel. Ça nous arrivait très souvent de modifier le scénario en fonction de ce qu’on découvrait sur place. Dans le deuxième épisode, par exemple, il y a une scène d’enterrement. Mais en discutant avec le curé du quartier, on a appris qu’il n’y a plus de cérémonie funéraire pour les gens appartenant à une organisation criminelle. Au moment du décès, les autorités judiciaires confisquent la dépouille du défunt. Celui-ci est conduit au cimetière sous escorte policière où on l’enterre sans bénédiction. Pour mieux coller à la réalité, on a donc du écrire cette scène des deux hommes qui observent l’enterrement à distance, sans pouvoir pleurer leur ami. Ça a apporté quelque chose de plus. La vérité est toujours plus belle.

Qu’est-ce qui fascine tant dans la Mafia selon vous ?
C’est un modèle culturel avant d’être un modèle criminel. Dans les quartiers de Naples où on a tourné, il n’y a pas d’autre exemple que le crime organisé. Quand un enfant grandit avec cinq membres de sa famille en prison, il croit que c’est ça la vraie vie. Là-bas, rien n’est ouvert sur l’extérieur. Et le drame, c’est que personne n’a l’air de vouloir que ça change. Personne ne souhaite que ces gamins puissent sortir et découvrir le monde. Parce que plus les gens sont ignorants, plus c’est facile de les contrôler.
Interview Frédéric Foubert