DR

Plus Belle la vie, rien que le nom fait tressaillir tout amateur de série qui se respecte, et pourtant, tout n’est pas à jeter du côté du Mistral, loin de là.

Le 30 août 2004 démarrait sur France 3 la série Plus Belle La vie. Et quoi qu’on puisse penser des qualités intrinsèques de la création d’Hubert Besson, le petit microcosme des séries françaises en fut indéniablement transformé. A ce jour, douze saisons après le premier épisode, la série de France 3 est  toujours le seul soap hexagonal quotidien, alors qu’il en existe pléthore à l’étranger. Pour le moment, hormis peut-être le récent rachat de sa maison de production par TF1, rien ne semble pouvoir faire vaciller son hégémonie avec près de 5 millions de fidèles chaque soir, alors que paradoxalement tous s’accordent sur la monté en qualité des séries françaises. 

Plus belle la vie, l’exception dans le monde des séries
Les chaines hexagonales auraient-elle donc (enfin) compris comment faire de meilleures séries dramatiques, mais pas encore comment faire de bons soap ? Bien sûr, on peut toujours, pour se rassurer, évoquer les fameuses sagas de l’été au succès peu démentit, mais ce sont généralement plus des séries policières que de véritables soaps. 
Si Engrenages, Disparue, 10 %Un Village FrançaisLes Revenants, etc, ont donc enterré depuis longtemps Navaro est consort à 20h50, Plus Belle la Vie reste toujours sans concurrence en acces-prime time. Et ce n’est pas Cut, sur France O et ses 70 épisodes annuels qui peut rivaliser avec les 260 de Plus Belle la Vie. Quant à Seconde Chance, le soap  concurrent lancé par TF1 en 2008, il ne connut qu’une seule saison, malgré des qualités reconnues mondialement et notamment une nomination aux International Emmy Awards en 2009.

Seul peut-être Sous le Soleil avait réussi à marquer de son emprunte le soap hexagonal et même international puisqu’elle s’exportait dans plus de 100 pays, là où Plus Belle la Vie a encore du mal à traverser nos frontières, mais c’était un 52 minutes et son temps est révolu.
Car au-delà d’être le seul soap quotidien français qui réussisse, Plus Belle la Vie impose également son format de 26’ dans un pays qui encore a beaucoup de mal à l’adopter (si on met de côtés des séries maison d’OSC qui en a fait sa spécialité), alors qu’il est une norme depuis bien longtemps de l’autre côté de l’Atlantique. 

DR

Alors quel est le secret de Plus belle la vie ? 
Tout d’abord, la série répond à une envie des téléspectateurs dans un pays où la tradition du feuilletonnant est assez forte depuis plus de deux siècles. Eugène Sue et les Mystères de Paris sont passés par là.  "On avait un retard inouï en France dans ce périmètre, à savoir le soap, communément parlant"résumait l’an dernier  Hubert Besson à Toute la télé. En Angleterre par exemple, Coronation Street  (dont s’inspire grandement Plus Belle La Vie) existe depuis près de 50 ans et aux USA les Feux de l’Amour font vibrer  le cœur des ménagères depuis plus de 40 ans. Il y avait une place à prendre dans laquelle s’est engouffré Plus Belle La vie. Personne n'a encore réussi à la rejoindre...

Ensuite, il est indéniable que la série de France 3 le fait bien, et même très bien. Evidemment, elle a ses détracteurs et il faut bien avouer que les intrigues de la série sont souvent invraisemblables, ridicules, voire du grand n’importe-quoi (il y eut pas mal de dérives), mais diablement addictives. Tout cela est très assumé et surtout très réfléchit. Que celui qui n’a jamais scotché devant au moins un épisode nous jette la première pierre.

La construction des scénarios est mécanique, presque mathématique, comme l’explique sur Le Village, Olivier Szulzynger (Directeur d’écriture sur Plus Belle la Vie à ses débuts) : "Un épisode de  Plus belle la vie, c’est 22 minutes de durée, dix-sept séquences. Cela avec trois intrigues : une intrigue A qui est l’intrigue principale qui va durer deux-trois mois, plutôt policière, et qui porte tous les débuts d’épisode et tous les cliffhangers, le tout en huit séquences. L’intrigue B est soit une intrigue sentimentale soit sociétale. L’intrigue c’est soit une ‘‘queue’’ d’intrigue B, ou alors de la comédie bouclée ou de la vie quotidienne."

Tous les deux-trois mois, on repart à zéro en évitant des arcs qui durent sur des années comme dans les soaps US, certainement plus construits sur les personnages que sur les intrigues. Une construction qui a le mérite d’être très malléable et même adaptable selon l’actualité, les intrigues A/B et C étant indépendantes, également au niveau des tournages.

L’irréel ancré dans le réel  comme marque de fabrique
Car l’une particularité revendiquée de Plus Belle la Vie est bel et bien son ancrage dans le réel, quitte à secouer les codes du genre et c’est la moindre de ses qualités. Le Mistral n’est pas un monde aseptisé ou virtuel, la réalité sociale et politique de notre société est l’un des jalons de la série. Dans cet exercice, reconnaissons que le pool des nombreux scénaristes est assez brillants et particulièrement réactif, tout comme la production (les actualités récentes l’ont encore montré). 
Par bien des aspects d’ailleurs, les scénarios traitent de sujets peu ou pas abordés dans la fiction française. Aussi étonnamment que cela puisse paraitre, en 12 ans d’existence, Plus Belle la Vie fut très souvent précurseur.  Le personnage de Thomas Marci (Laurent Kerusoré) premier héros ouvertement homosexuel et premier mariage gay cathodique en est la parfaite illustration.

Les acteurs, parlons-en. La justesse de leur jeu est souvent décriée, à raison d’ailleurs. A leur décharge, le rythme des tournages ne garantit pas une multitude de prises pour peaufiner leur jeu, comme sur d’autres séries et encore moins comme sur les longs métrages de cinéma. Ceci étant, les dialogues et les intrigues n’incitent pas forcément à des prouesses dramatiques (c’est dur d’être inspiré quand souhaite deux fois l’anniversaire de Blanche, parce que les scénaristes se sont emmêlés les pinceaux). Mais il ne faut pas oublier que le soap n’incite pas à un jeu naturel, il doit être exagéré pour être en adéquations avec les histoires, le décalage serait d’autant plus flagrant. Un acteur de soap aura tendance à jouer comme s’il jouait une pièce de boulevard et non un classique. C’est juste un code de jeu propre au genre. Il serait réducteur de penser que les acteurs de Plus Belle la Vie sont tous de mauvais acteurs (bon, il y en a), sinon comment expliquer le grand écart d’un David Baiot entre le soap de France 3 et la série austère d’Arte, Ainsi soit-il ? 

Enfin, l’une des qualités de Plus Belle la Vie est non la moindre est son influence sur les autres séries françaises. Depuis qu’elle est décriée, elle sert  tout de même pour beaucoup d’étalon qualitatif de nos fictions hexagonales.  Petit à petit elle a su imposer des standards visuels qui font du bien aux yeux des téléspectateurs. 
Entre les premiers épisodes et ceux diffusés cette année, le fossé est visible. Mieux éclairés, meilleurs figurations, plus beaux accessoires, bref plus belle image. Ce n’est pas la panacée, mais certaines séries (même "low coast" comme Les Mystère de l’Amour) devraient  fortement s’en inspirer, quand on sait à quelle vitesse les écrans HD envahissent les salons. 

Plus Belle la Vie est une série de genre et doit être envisagé comme tel, cela ne sert à rien de la comparer aux Revenants, par exemple. Mais, même ses détracteurs reconnaitrons qu’en un plus d’une décennie elle a su évoluer et se remettre en question (les débuts furent, on s’en souvient, bien difficiles), sans réellement trahir ses fans, voire en en gagnant. 

Après, bien sûr, revers de la médaille oblige, elle est également devenue une sorte d’hydre mercantile, tête de gondole de ses propres produits dérivés et de ceux qu’elle représente où l’artistique (oui, il y en a un peu) risque sans doute un jour de passer au second plan. Le rachat par TF1 du groupe Newen (Telfrance) en est peut-être un signe avant-coureur.