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A l'occasion du début de la diffusion ce soir sur Arte de la série Au service de la France, rencontre avec son scénariste Jean-François Halin.

Savoureuse série comique diffusée à partir de ce soir sur Arte, Au Service de la France prend place en 1960, au cœur des services d’espionnage, pour croquer la société française avec truculence. Créateur et coauteur de cet ambitieux spectacle, Jean-François Halin (connu pour ses textes aux Guignols de l’info et pour les scénarios des OSS 117 avec Jean Dujardin) nous parle ici de son passage à la série télé, évoque sa fascination pour l’ambivalence des sixties et commente la mort de l’esprit Canal.

Première : Après OSS 117 : Rio ne répond plus, voici à nouveau une histoire d’espionnage située dans les années 1960. Pourquoi cette obsession pour la période ? Parce que vous êtes né au début de cette décennie ?

Jean-François Halin : Il y a sans doute de ça. Mais je trouve surtout incroyable de constater à quel point l’époque a changé en à peine 50 ans. Le monde d’aujourd’hui n’a strictement plus rien à voir avec celui des années 1960, que ce soit politiquement, géopolitiquement ou au niveau des moyens de communication. Et c’est drôle de faire des comédies sur ce sujet. Je trouve très amusant de montrer des gens qui ont la même tête que nous, qui sont habillés quasiment comme nous, qui ont les mêmes préoccupations que nous, mais dans un univers qui n’a plus aucun rapport.
Et il y a aussi l’influence des bédés que je lisais gamin. On trouve dans Au Service de la France un côté Tintin très accentué, avec aussi une ambiance digne de Blake et Mortimer ou de Spirou et Fantasio. Et c’était quand même une époque optimiste et pleine d’espoir. Quand on regarde les publicités des années 1960, les gens sourient. Alors qu’aujourd’hui tout le monde fait la gueule : James Bond fait la gueule, et sur les affiches de The Kooples les gens font la gueule alors qu’ils sont en couple depuis 17 mois…

Au Service de la France se démarque par son aspect choral puisqu’on suit l’ensemble des services de renseignements et plus particulièrement quatre espions, là où OSS 117 était seul.

En fait je n’ai jamais envisagé la série comme une suite ou une copie d’OSS 117. Evidemment, ça parle d’espions, ça se passe en 1960 et l’humour est un peu le même. Mais avec mes coscénaristes Claire Lemaréchal et Jean-André Yerlès, on a eu le temps de développer plus de choses car on se retrouve là avec 5h20 de programme (12 épisodes de 26 minutes). Dans OSS 117, on suit tout le temps le héros et on lui fait porter beaucoup de chapeaux : il est complètement idiot et xénophobe, mais en même temps charmant et doué pour certains trucs, il peut parler arabe couramment ou déchiffrer des hiéroglyphes. C’est un personnage protéiforme qui tient grâce au monde plus ou moins normal qui l’entoure. Là c’est l’inverse, on a un héros, André Merlaux (joué par Hugo Becker), qui est toujours normal dans un monde qui est lui complètement anormal. Et c’était amusant de multiplier les personnages d’agents avec une division absurde du monde en trois, entre les pays africains (qui étaient alors en train de devenir indépendants), l’Algérie (le gros dossier du moment) et puis les pays de l’Est (car la Guerre froide commençait à s’amplifier en 1960 et le mur de Berlin n’était pas encore construit). On a donc des agents avec des caractères très différents et symptomatiques du domaine dont chacun s’occupe.

Il y a donc eu cinq ans d’écriture, durant lesquels vous avez d’abord sollicité Canal +…

Oui j’ai eu l’idée de la série avec le producteur Gilles de Verdière, qui m’a présenté Claire et Jean-André, deux auteurs qui ont notamment travaillé sur Fais pas ça, fais pas ça. J’avais présenté l’idée de la série à Canal +, qui s’était montré enthousiaste, et on avait un contrat de développement avec eux. Et puis au bout de 18 mois de travail, Canal aimait toujours l’idée mais n’aimait pas vraiment ce que mes coscénaristes et moi en faisions. Ils reprochaient le fait que notre héros ne soit pas drôle, alors que c’était justement ce qu’on recherchait. Selon nous, le personnage d’André Merlaux rend supportable ce que disent les trois autres, et leurs propos archaïques et misogynes ne tiennent que s’il y a le regard d’André, qui agit comme un décodeur pour le public. On a donc décidé de quitter Canal+, en bons termes. Et notre producteur nous a alors dit que la série pouvait coïncider avec ce que recherchait Arte. Quand on les a rencontrés, ils nous ont tout de suite dit que les scénarios étaient très drôles et les choses se sont accélérées à partir de là.

La série traite de différents thèmes, comme la filiation ou la difficulté de s’émanciper et de vivre une histoire d’amour, qui mettent du temps à se dévoiler.

Disons que le pilote reprend un principe classique, qui est par exemple le même pour Mad Men ou Dix pour cent : on suit un nouveau qui découvre un lieu et c’est lui qui va guider notre regard. On voulait d’abord présenter André, le bureau et les protagonistes avant d’entrer dans le vif du sujet avec les épisodes suivants. Et ce pilote surprend un peu les gens, parce qu’il est assez différent du reste, l’humour dépend moins des autres agents, c’est moins une confrontation de personnalités mais plutôt une confrontation d’André avec le milieu professionnel dans lequel il débarque. Sauf que là il s’agit des services secrets français, qui se prennent alors pour les meilleurs services du monde, et que tout paraît important et codifié. André est donc complètement perdu, mais c’est en fait comme dans Le Magicien d’Oz, où on découvre à la fin que c’était en fait un petit vieux derrière un rideau avec une manette. Et c’est un peu ça les services d’espionnage français : à l’arrivée ce sont de petits bonhommes qui pensent avant tout à leurs notes de frais. Le vernis se fissure et derrière c’est du bois.

L’épisode 2 multiplie les répliques sur les nazis et le gouvernement allemand de 1960. C’est cocasse de voir ça sur Arte, chaîne franco-allemande.

C’était en réalité une demande d’Arte. Quand on est arrivé sur la chaîne, Adrienne Fréjacques, qui est chargée de programmes, nous a demandé pourquoi la série ne parlait pas de l’Allemagne, qui en 1960 sortait de la guerre et était encore dans une sorte de déni sur son passé. Et c’est l’année où s’est décidée de manière assez visionnaire et autoritaire l’amitié franco-allemande, afin de bâtir le futur. Alors on a imaginé avec mes coscénaristes ce qui se passerait si nos agents secrets arrêtaient un nazi non pas par idéologie mais parce qu’ils veulent une prime. Et ça nous amusait d’entendre ces espions pour qui être ami avec des allemands paraît alors impossible.

Au Service de la France évoque de multiples sujets historiques, comme la décolonisation, la situation en Algérie, les essais nucléaires ou la création d’Israël. L’objectif est aussi de parler à travers ces évènements de l’époque actuelle ?

Oui, c’est surtout une façon de parler d’aujourd’hui. Alors on n’est pas du tout dans un procès ou une critique, nous ne sommes pas historiens ou polémistes, mais c’est par exemple fou de se dire qu’une femme devait demander il y a 50 ans l’autorisation de son mari pour pouvoir travailler. Et, comme on le répète sans cesse dans la série, l’Algérie c’était la France, au sens où c’était un département français avec des écoles françaises, des chambres de commerce, des tribunaux, la rue de Rivoli. Et on parlait de l’Afrique comme si c’était à nous. Rappeler l’instinct de propriété qu’il y avait en France vis à vis des colonies, c’est aussi évoquer les prémices de notre présent. La société d’aujourd’hui vient des années 1960, mais aussi des années 1930 ou 1940. Ca nous amusait ainsi de montrer dans un épisode tous les éléments actuels qui sont hérités de Vichy. On parle toujours de la Fête des Mères mais il y a aussi les stations de sports d’hiver, le code de la route, les cartes d’identité. Et c’est impressionnant aussi de penser que la France était fière en 1960 de la bombe atomique comme elle était fière de Brigitte Bardot, alors qu’aujourd’hui on est affolé par tout ce qui relève du nucléaire.

Le personnage du Colonel, chef des services secrets, fait fortement penser au Général de Gaulle.  Et vous faites de lui une figure paternelle qui veut tout contrôler.

Il y a là une volonté de désacraliser un peu le Général de Gaulle, oui. Car c’est drôle de se dire que la France pouvait, il n’y a pas si longtemps, être gouvernée par un militaire à l’issue d’un processus de changement des institutions pour certains et d’un Coup d’Etat pour d’autres (les deux camps ont leurs arguments). Et c’est aussi quelqu’un qui est cité à tort et à travers aujourd’hui pour justifier tout et n’importe quoi, alors que l’époque n’est plus la même. On a vu ça très récemment avec Nadine Morano. Un personnage demande justement dans l’épisode 12 : « Ca va durer longtemps cette petite mode de faire dire n’importe quoi au Général de Gaulle pour justifier la moindre ânerie ? ». Disons qu’après la Deuxième Guerre mondiale, il y avait cette voix officielle tracée par le Général qui était rassurante car elle évitait de poser trop de questions sur l’Occupation et la Collaboration. C’était une figure paternelle au vieux sens du terme : s’il disait quelque chose c’était forcément une vérité. Aujourd’hui l’époque est invivable pour les élus, c’est impossible d’être responsable politique entre les micro-trottoirs, les tweets, les images volées. Alors qu’en 1960 on pouvait ne pas voir le Général de Gaulle pendant 6 mois et les journalistes étaient conviés à chaque prise de parole, sans qu’il soit question un seul instant de le bousculer.

Parlons de la très réussie direction artistique. Une partie des choix vient-elle de l’écriture ou tout a-t-il été décidé par Alexandre Courtès, réalisateur des 12 épisodes ?

Les deux. Il y avait dans le scénario des descriptions de décors, avec cet open-space qui contient d’un côté un vieux bureau des années 1930 et au-dessus le planisphère, qui est un symbole de la modernité (et c’est pour ça qu’il ne marche jamais), et l’aquarium, cette pièce avec des baies vitrées où se tiennent les réunions importantes. C’est un décor à l’image de la France de 1960, qui va vers le futur mais qui sort en même temps de l’après-guerre. La série n’avait pas des budgets colossaux et Alexandre Courtès s’est donc beaucoup battu pour qu’on ait ce décor si original. Mais ensuite, toute la direction artistique vient de lui. Il est très doué, il a fait beaucoup de clips et de pubs de haut niveau et un chouette film indé, The Incident. Alexandre a quand même une vidéo au MoMA. Et le clip mythique de Seven Nation Army, c’est lui.

Sentez-vous que quelque chose est en train de bouger du côté des séries françaises ? Y a-t-il, comme on le dit parfois aux Etats-Unis, plus d’audace à la télévision qu’au cinéma ?

Ah non, je ne dirais pas ça. En France il y a quelquefois de l’audace, j’en vois dans Les Revenants, j’en vois dans Platane ou dans Ainsi soient-ils – car c’est audacieux d’intéresser le public pendant 3 ans avec des séminaristes. Mais il y a beaucoup moins d’audace qu’aux Etats-Unis, on est encore loin d’avoir des Breaking Bad ou des Louie. Une série, c’est beaucoup d’écriture et il y a une obligation de captiver le téléspectateur qui est par définition moins captif qu’au cinéma.  Et je trouve que l’écriture de séries en France est beaucoup plus laborieuse que pour un film. Il y a eu 5 ans de développement pour nous et je sais que Dix pour cent a été très long à se mettre en place aussi. Et financièrement, je pense que c’est très peu lucratif pour les auteurs de faire des séries télé. On n’arrête pas de dire qu’il y a un problème de scénaristes en France, mais c’est surtout qu’ils sont obligés de travailler sur plusieurs séries à la fois et qu’ils sont moins mobilisables. Aux Etats-Unis, les auteurs sont mieux payés et peuvent se concentrer à fond sur une série. Alors effectivement, la qualité est en train d’augmenter en France, mais on a encore du mal à traiter frontalement des problèmes de société - sauf quand ça tire vers le soap comme Plus Belle la vie, qui est un programme que je respecte beaucoup car il ne se moque pas du public. Je trouve que notre fiction n’est pas assez souvent le miroir du monde dans lequel on vit. J’ai quand même l’impression que la déprime profonde de la France actuelle est en partie liée au fait qu’elle n’arrive pas à se regarder en face dans un miroir, en regardant honnêtement ses atouts et ses défauts.

Il y a une séquence très marquante dans l’épisode 4, où le catholique André Merlaux vient prier aux côtés de Musulmans et s’agenouille en faisant le signe de croix. C’était votre idée?

Oui c’est une scène très symbolique, qui se passe à Alger mais qui a en fait été tournée à Casablanca dans un quartier très populaire. Et c’était très peu de temps après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, qui ont eu un retentissement énorme au Maghreb puisque les Unes de Charlie y avaient soulevé plein de questions. On est donc arrivé pour tourner cette scène de prière de rue, beaucoup de personnes très religieuses nous regardaient et tout s’est extrêmement bien passé, il y a eu une sorte de moment de grâce. En fait le personnage d’André ne se pose pas de questions, il vient de tuer des gens car c’est son métier, mais il est croyant et il entend à  ce moment-là un appel à la prière ; il ne se dit pas qu’il est catholique et qu’ils sont Musulmans, il veut juste prier en même temps qu’eux. La scène est vraiment belle, j’aime ce moment de communion, ce temps suspendu.

Vous parliez de Charlie Hebdo. Où en est la liberté d’expression aujourd’hui en France?

Je trouve qu’on est dans une sorte de politiquement correct de façade. Car, au fond de nous, nous ne sommes pas politiquement corrects mais nous sommes de plus en plus imprégnés de sous-culture américaine et on se comporte de plus en plus comme des puritains. Par exemple, sur Au Service de la France, on n’a eu aucun problème avec Arte mais il y a eu davantage de soucis après, quand il a fallu s’occuper du marketing et que certains pensaient qu’il ne fallait pas montrer telle ou telle chose de la série pour ne pas faire trop de vagues. C’est absurde car la série a justement été mise à l’antenne pour ce culot-là. Je pense fondamentalement qu’on est dans une période où tout le monde est tendu, voire un peu perdu. Alors on ne sait plus trop ce qu’on peut dire, il y a une peur, une précaution, des appréhensions, mais dans le fond - parce qu’on est Français, de culture latine et parce qu’on a connu Daumier, Coluche, Desproges ou Jean Yanne - on aime cet humour qui nous choque et qui nous gêne. Alors chacun a des points sensibles qui ne le font pas rire, certes. Moi il y a des trucs qui ne me font pas rire mais je ne vais pas aller tuer des gens pour cela.

Et que vous inspire le sort réservé aux Guignols de l’info, dont vous avez été un auteur très en vue de 1990 à 1996 ?

Le nouveau patron de Canal + a fait le ménage : Pierre-Emmanuel Barré n’est plus à l’antenne, les Guignols ne sont plus à l’antenne, d’anciens chroniqueurs du Grand Journal ne sont plus à l’antenne. Et tout le côté rigolo, ironique et sarcastique de Canal n’existe plus. Mais on remarque qu’en trois mois et demi, l’image de la chaîne s’est dégradée d’une manière incroyable. L’image de Canal + est aujourd’hui la même que celle du TF1 de Francis Bouygues triomphant en 1986-1987, à savoir une chaîne inféodée aux intérêts commerciaux de l’entreprise à laquelle elle est rattachée. Aux yeux du public, Canal + est désormais une chaîne qui censure des reportages et les gens la regardent moins. C’est une prouesse de réussir ça pour une chaîne qui avait 30 ans d’histoire : à mon avis c’est de la maladresse, car tout n’était pas forcément faux dans le constat, mais les baisses d’audience prouvent bien qu’il y a toujours un public pour cet humour-là et que les téléspectateurs le regrettent. Il y a 6 mois, tout le monde disait que les Guignols n’étaient plus drôles et que le Grand Journal ne valait rien. Sauf qu’aujourd’hui, il n’y a plus de Guignols et le Grand Journal est devenu une simple émission d’information avec moins de rires. Aujourd’hui Canal+, c’est la chaîne dont on se moque ; c’était l’inverse avant, elle se moquait d’elle et elle se moquait des autres. Maintenant sur France Inter il y a des rubriques qui se moquent de Canal +, c’est un vrai changement de paradigme.

Mais les Guignols vont quand même revenir ?

Oui, l’émission reprend dans quelques semaines. Et il reste au moins une bonne nouvelle aux Guignols : c’est toujours le même producteur, Yves Le Rolland, que je connais bien car il était producteur à la fin de mon septennat (et anciennement directeur artistique de l’émission). Tous les auteurs ont été virés et licenciés, mais cet homme pourrait faire le lien, c’est une dernière lueur d’espoir. Et puis il reste aussi Groland à Canal +. Mais à part ça il n’y a plus grand-chose. On pourrait se dire que c’est la logique des choses, que des programmes passés de mode disparaissent et laissent leur place à d’autres. Sauf que l’humour de Canal + disparaît et qu’il n’y a rien d’autre en face qui l’ait remplacé. C’est inquiétant.

Au Service de la France est diffusée à partir de ce soir à 20h50 sur Arte.