Grave
Wild Bunch

Rencontre avec l'héroïne du film gore de Julia Ducournau.

En ce 1er août, Grave arrive sur Netflix. Le film cannibale de Julia Ducournau avait fait défaillir des spectateurs lors du Festival de Toronto, en 2017. Il met en scène Justine (Garance Marillier), une jeune étudiante qui découvre les plaisirs de la chair. Humaine.

 
A sa sortie, Première avait rencontré Garance Marillier, 19 ans et la langue bien pendue.
 

Comment résumerais-tu Grave à quelqu'un qui n'en a pas du tout entendu parler ?

C'est l'histoire d'une jeune fille qui est végétarienne depuis toujours puisque toute sa famille l'est et qui intègre une école vétérinaire où sa grande sœur étudie aussi. A cause d'un bizutage elle va être forcée de manger de la viande, ce qui va avoir des conséquences... sanglantes, on va dire, pour pas spoiler.

Comment es-tu venue à la comédie ? J'ai vu que tu avais une formation de percussionniste aussi.

Ouais. Mon père et mon frère sont musiciens tous les deux, c'était un peu le déterminisme social mais j'en ai dévié. C'est ma mère qui m'a inscrit un jour à un casting pour Junior, le premier court de Julia Ducournau, et le message en gros c'était "va faire ton cinéma ailleurs". J'y suis allée, je faisais la gueule, c'était pas un truc qui m'intéressait, bref, j'ai passé le casting et je devais clasher Julia parce qu'elle jouait une fille qui avait dit un truc sur moi qui était faux, une embrouille de gamins quoi. Et en fait moi je n'avais pas du tout le recul de la comédie donc tout ce qu'elle disait je le prenais vraiment pour moi. Elle me disait "T'as vu comment t'es habillée ?!" et moi je me disais "merde", j'étais hyper énervée contre elle, je l'ai insultée, je suis partie et quand ils m'ont rappelée j'ai demandé "Elle est où la réalisatrice ?". Je ne savais pas du tout que c'était elle, je pensais que c'était une partenaire de casting et qu'une réal ça devait être une vieille meuf un peu rabougrie, bref pas du tout Julia ! Elle s'est un peu foutu de ma gueule mais au final ça a marché.

Grave, c'est votre troisième collaboration, vous avez quel genre de relation maintenant ?

Depuis Junior on a une relation hyper fusionnelle, on est très proches dans la vie. On a des caractères très similaires, on se comprend sans se parler, on s'engueule et on se réconcilie 5 minutes après. C'est hyper brut notre relation, on ne prend pas du tout de pincettes, quand elle me dirige elle me dit clairement que c'est nul ce que je fais, ou elle me demande "On attend quoi pour que tu joues ?". C'est bénéfique, ça permet d'aller plus vite et d'aller plus loin aussi.

Junior ressemble à une sorte d’embryon de Grave.

Grave, elle l’écrivait déjà depuis Junior. Souvent quand on voit le premier court d’un réalisateur puis qu’on voit le long, on voit tout de suite une obsession.

Et la Justine de Grave justement, est-ce que ça peut être la Justine de Junior qui a grandi ?

Oui forcément, un peu. Mais ce n’est pas si assumé que ça. On peut le voir comme on veut je crois. Julia ne s’est pas prononcée clairement là-dessus.

Tu étais mineure sur le tournage de Grave, est-ce que tu as dû signer une autorisation parentale ?

Je ne sais même pas. Mes parents et Julia se connaissent très bien aussi, ils ont peut-être fait ça entre eux, moi j’en ai pas le souvenir.

Tu ne sais pas s’il y avait des restrictions particulières liées à ton âge sur la nudité, sur la drogue ?

Sur la drogue, c’est-à-dire ? (méfiante)

Sur les scènes d’alcool, de défonce…

Ah ouais, moi je suis claire, je suis complètement anti-drogue, du coup c’était évident que toutes les scènes où je suis censée être alcoolisée, je n’avais bu que de l’eau. C’était aussi un challenge pour moi, je sais qu’il y a plein d’acteurs qui boivent des bières, moi je voulais être complètement sobre pour avoir le mérite de me dire "Voilà, t’arrives à jouer quelqu’un qui est bourré alors que t’as rien bu", et que ça me fasse progresser.

Pour la nudité, on en a beaucoup parlé avec Julia, son but n’était pas de faire un plan sur une chatte, à part à la scène d’épilation où d’ailleurs ce n’est pas moi. Les scènes où je suis nue, c’est la scène de sexe et la scène de douche mais sinon, l’épilation encore une fois c’était une doublure et elle, je crois qu’elle a eu mal !

Justine, c’est quoi : une coupable, une victime, un monstre ?

C’est une combattante. Adrien, c’est la lumière du film, c’est la part de légèreté ; Alexia c’est le vrai monstre, c’est celle qui s’est laissée submerger par sa part de monstruosité. Justine est hyper fidèle à ses principes, à ce qu’elle veut être, c’est quelqu’un qui se bat coûte que coûte contre elle-même, elle préfère se faire mal que faire du mal à un autre. C’est la chose la plus belle qui puisse exister, quelqu’un qui se bat contre ses propres démons.

C’est une martyre un peu.

Non, parce qu’elle s’en sort au final, mais c’est une guerrière. C’est cet aspect-là que j’avais envie de défendre. Oui évidemment, elle a quelque chose en elle qui est monstrueux, mais ce que Julia voulait montrer, c’est que les cannibales sont des êtres humains, c’est quelque chose qui existe. Alors à partir de là, comment peut-on avoir de l’empathie pour ces personnes ? Et au final, je pense que c’est quelque chose qui marche assez bien dans le film parce qu’à la base, Justine est complètement innocente et c’est pour ça qu’on arrive à s’attacher à elle.

Ça a été quoi la scène la plus difficile à tourner ?

Y’en a pas eu vraiment… Mais une scène hyper intense, c’est la scène sous les draps, qui ressemble presque à de la transe mais de la transe contrôlée parce qu’une fois que c’était fini, je ne suis pas restée possédée hein ! Moi, j’avais plus de mal avec les scènes dialoguées qu’avec les scènes corporelles.

Comment était l’ambiance sur le tournage après avoir tourné les scènes gore ?

Le truc, c’est qu’il fallait rester complètement premier degré, alors que ce qu’on mange c’est des bonbons.

L’escalope qu’on voit dans la bande-annonce, c’est un bonbon ?

C’est du sirop de glucose avec du colorant, dans un moule d’escalope. Donc l’ambiance pour moi était trop bien parce que j’ai tourné avec des gens super et j’ai rencontré des personnes extraordinaires mais c’était quand même hyper sérieux parce que Julia est hyper sérieuse dans ce qu’elle fait.

Elle est très directive en tournage ou il y a beaucoup d’improvisation ?

Ah non ! Y’a de l’improvisation dans le sens où elle a envie qu’on soit à l’aise avec nos mots, elle ne nous fera pas chier pour une virgule mais elle a des directives hyper claires sur tout. Elle et moi, on pense un peu de la même manière le travail d’acteur : il est à la fois un musicien et à la fois un danseur. Il joue avec son corps et tout ce qu’il dit, c’est une histoire d’intonation. Je ne crois pas à la méthode Actors Studio "Joue la personne triste, sois triste". Moi, je pense que tout passe par le corps. Si on te dit que t’as pas l’air bien, c’est pas dans ta voix mais dans ta manière de te tenir que ça se voit. Julia travaille beaucoup là-dessus, elle me disait "Baisse le regard, lève les yeux, baisse le menton"…

A propos de travail d’acteur, j’ai lu quelque part que Wagner Moura dans Narcos t’avait inspiré pour jouer Justine…

Exact ! Il est extraordinaire. C’est la première fois que j’ai vu autant d’intensité dans quelqu’un qui ne fait rien. Il est là, il a un regard qu’il pose comme ça et il crève l’écran. C’est ce que j’ai essayé d’aller chercher avec Justine, poser le regard, avoir une intensité et une profondeur assez forte pour que ça percute. Après ça peut être dangereux, Wagner Moura dit qu’il n’arrive pas à se débarrasser de Pablo Escobar, que parfois il regrette ce rôle car il n’arrive pas à s’en remettre… Moi j’ai envie d’avoir ce recul et j’y suis plutôt bien arrivée sur Grave.

Là t’es plus Justine du tout.

Ah non !

Et c’est quoi tes projets maintenant ?

Je passe mon bac cette année. J’ai d’autres projets mais je ne préfère pas en parler, je suis un peu superstitieuse…

La bande-annonce de Grave :