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Le réalisateur de Carol décrypte son nouveau film, adapté d’un livre de Brian Selznick.

Todd Haynes a réalisé des mélos fifties (Carol, Loin du Paradis), des hommages à Bob Dylan (I’m not there) et à David Bowie (Velvet Goldmine) mais son petit dernier, Le Musée des Merveilles, ne ressemble à rien de connu dans sa filmo. C’est un conte pour enfants, une ode au septième art adaptée d’un livre de Brian Selznick (l’auteur de Hugo Cabret), racontant les pérégrinations de deux enfants perdus dans un New York magique et enchanteur. Une fable pour petits et grands par le réalisateur de Poison ? L’intéressé nous aide à y voir plus clair.

Première : Le Musée des Merveilles est un film de Todd Haynes un peu particulier, non ?
Todd Haynes :
Oui et non. C’est un film nourri par l’histoire du cinéma, donc, en ce sens, c’est très proche de mes précédents films. Et les héros sont des personnages esseulés, cherchant à surmonter leur solitude, comme souvent chez moi. Mais c’est un drôle de film, je vous l’accorde. Hybride et étrange. Un film qui sort de l’imagination de quelqu’un qui écrit des livres pour la jeunesse (Brian Selznick) et qui ne ressemble à aucun autre film. Un film inhabituel, sur des jeunes et pour les jeunes.

C’était l’idée ? Faire un film pour enfants ?
Oui, absolument.

Ça, c’est nouveau pour vous…
C’est vrai. Mais j’essaye d’entreprendre quelque chose d’inédit à chaque film. Carol se déroulait dans les années 50 (comme Loin du Paradis), mais l’idée était d’envisager la love story comme un genre de cinéma à part entière, ce que je n’avais jamais fait. Avec Le Musée des Merveilles, je voulais proposer quelque chose de très cinématographique, de très “décoré”, qui ne repose pas sur les dialogues, mais sur un langage purement visuel. Le tout pour les enfants.

Un film avec des personnages muets, et qui est lui-même en grande partie muet…
Oui. C’était un bon prétexte pour revoir plein de films muets et m’extasier devant leur sophistication. On a tendance à négliger l’ère du muet, on frime avec nos dialogues et nos effets spéciaux, mais la vérité, c’est qu’on a fait très peu de progrès depuis. La quasi totalité de la grammaire cinématographique a été inventée à cette époque. Brian Selznick adore le cinéma muet, c’était déjà présent dans Hugo Cabret, et il développe ici l’idée que, lors du passage au parlant, c’est comme si la communauté sourde avait été écartée de l’expérience cinématographique. Comme une ségrégation. C’est une idée superbe. A l’arrivée, Le Musée des Merveilles est encore plus muet que je ne l’imaginais à l’origine. Le challenge de la partie qui se passe dans les années 20 était bien sûr qu’elle fonctionne sans dialogues. Mais l’autre partie, celle dans les années 70, n’est pas très causante non plus ! Le jeune Ben est perdu dans New York et il passe presque une heure sans parler à personne. Pendant le montage, j’ai voulu tester le film auprès d’enfants et d’ados, juste pour m’assurer que ça marchait sur eux. On a invité les familles de l’équipe et ça a été un succès, les gosses avaient l’air heureux de voir quelque chose de différent. Bon, vous me direz, ce sont des gamins new-yorkais dont les parents bossent dans le cinéma, donc sans doute plus sophistiqués que la moyenne. Et alors ? Faisons des films pour les enfants sophistiqués ! (Rires

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On entend Space Oddity de David Bowie dans le film, ça doit être l’une des chansons les plus utilisées de l’histoire du cinéma. Et on sait depuis Velvet Goldmine à quel point vous aimez Bowie. Y a-t-il un moment où vous vous êtes dit que Space Oddity était un choix un peu, hum… éculé ?
Les chansons du film étaient déjà dans le scénario. Space Oddity était même déjà dans le livre ! Mais c’est vrai qu’à la lecture, je me suis fait cette réflexion… Et là-dessus, Bowie meurt ! On entendait soudain ses chansons tout le temps, moi en tout cas je les écoutais en boucle, parce que j’avais besoin de réfléchir à la grandeur de Bowie, à son importance. Mais je me suis dit, en effet : comment utiliser Space Oddity maintenant ? Impossible. Pareil pour le morceau de Deodato, Also Sprach Zarathustra

Qu’on entendait déjà dans Bienvenue Mister Chance
Exactement. Faire un clin d’œil à Bienvenue Mister Chance, qui faisait déjà un clin d’œil à 2001, l’Odyssée de l’espace avec cette reprise de Richard Strauss… Est-ce qu’on n’allait pas m’accuser de faire le malin ? Je n’étais pas sûr de moi. Mais au moment du montage, j’ai constaté que ça fonctionnait. Julianne Moore qui marche dans New York sur Deodato ? Oui, ça le fait. Et c’était quand même très cohérent à un niveau métatextuel, Also Sprach Zarathustra, Space Oddity, ces deux morceaux qui rendent hommage au film de Kubrick.

 
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On a l’impression que vous essayez de combiner dans Le Musée des Merveilles plusieurs facettes de vos goûts et de votre inspiration : le classicisme et l’avant-garde, le cinéma expérimental et une veine plus spielbergienne…
Spielbergienne ? Certains parlent de l’aspect magique du Musée des Merveilles, mais je ne vois vraiment pas ça dans le film. Il y a ces deux destins parallèles qui finissent par se rejoindre, donc en ce sens on peut sans doute parler de quelque chose de mystique, de cosmique. Mais pas magique, non. C’est différent. Parce que le film est aussi une réflexion sur le temps, sur la façon dont on le perçoit, dont on essaye de l’encapsuler, dans des musées par exemple, pour tenter de combattre la mort, la douleur de la perte. Le jeune héros se confronte à un cauchemar qui le hante, à la disparition de son père. Il n’y a pas de magie extra-terrestre à la Spielberg ici, plutôt les histoires qui nous constituent et auxquelles on doit se confronter.

Est-ce qu’un hommage au cinéma muet en noir et blanc est plus facile à financer après le succès de The Artist ?
Franchement, je ne suis pas sûr. Le film est produit par Amazon, une entreprise monstrueusement prospère. Prospère au point de pouvoir se permettre de créer une maison de production dédiée à la création de films et séries de qualité ! Mais ce qui est encore plus fou, c’est que l’équipe créative est composée de gens venus du monde du cinéma indépendant, des gens que je connais depuis toujours. La division cinéma est dirigée par Ted Hope : Ted est un indie guy, il a fondé Good Machine (fameuse boîte de prod indé des années 90), c’est comme si on était de la même famille, lui, Christine (Vachon, la productrice historique de Todd Haynes) et moi. Cette boîte est gérée par des nerds, des indie people. C’est incroyable. On verra combien de temps ça va durer mais pour le moment, ils veulent faire des choses de qualité et ils choisissent les réalisateurs en conséquence. Tout ça pour dire qu’ils ont lu le script du Musée des Merveilles et qu’ils n’avaient pas besoin de The Artist pour justifier quoi que ce soit. Ils y ont vu la possibilité de produire un film étrange, unique. Encore une fois : du jamais vu.

Est-ce que cette manne financière que représentent Amazon, Netflix, Hulu, etc., peut sauver le cinéma indépendant ?
Ça dépend ce qu’on entend par cinéma indépendant. Une majeure partie de l’énergie dépensée par le monde du câble et du streaming en termes d’audaces narratives est tournée vers le petit écran. La pression sur le grand écran est énorme. Les pratiques du public ont changé, les gens ne vont plus au cinéma désormais. Comment justifier d’investir dans la distribution de films ? C’est un challenge, c’est compliqué. Je n’arrive pas à imaginer comment j’arriverais aujourd’hui à financer certains films du début de ma carrière, comme Poison ou Safe. Même Velvet Goldmine ou I’m not there. Tous mes films, en fait ! Déjà à l’époque, c’était dur, mais encore plus aujourd’hui, alors que les spectateurs sont rares et plus conservateurs. Moi, je veux que l’expérience de la salle perdure. Et c’est un combat permanent.

Le Musée des Merveilles, au cinéma le 15 novembre.