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Voilà que se pose une fois de plus la question de la propriété des films. Snow in Paradise est d’abord une bonne histoire. Vraie en plus. Celle d’une petite frappe qui, écrasée par le fatum, verse dans le banditisme et trouvera in fine le réconfort dans l’Islam. Pas le Jihad, non, mais un Islam doux et guérisseur, mystique, apaisant. Celui des derviches qui apparaissent dans les derniers plans du film. Son parcours, bien raconté, a une sacrée gueule et fonctionne comme les classiques poisseux du genre. Ascension-chute-rédemption. On connait ça par coeur, mais il flotte ici un parfum de véracité, un côté “raw” comme disent les yankees qui donne une vraie valeur ajoutée au film. Snow in paradise appartient tellement au scénariste (qui raconte donc sa propre histoire), qu’il s’est donné le rôle du Diable comme pour bien marquer son territoire.Pourtant les premières images rappellent aussi que le film, n’importe quel film, appartient d’abord à son metteur en scène. De l’intro démente (les deux héros regardent les bourgeois londoniens à travers la vitre d’un café) aux accents kubrickiens des séquences de violence, en passant par les scènes de boite de nuit hallucinées, Andrew Hulme fait mieux que filmer, il climatise, mélange film noir et pamphlet social et emballe ses scènes de bravoure avec brio.Mais certains personnages et certaines performances ont parfois la capacité de s’approprier les films de l’intérieur, d’en devenir l’alpha et l’omega. Keitel dans Mean Streets, De Niro dans Taxi Driver ou pour passer en Europe Matthias Schoenaerts dans Bullhead. A chaque fois l’épaisseur de ces acteurs, la charge émotionnelle de leur regard et la place qu’ils prennent dans le plan ravagent tout. C’est le cas de Frederick Schmidt qui explose Snow in Paradise. Il joue Dave, un lad anglais, boxeur raté, prêt à tout pour se faire un peu de fric. Un lumpenprolétaire, sans conscience ni classe, un bloc de haine (de soi, des riches, des filles) qui ne sait ni où il va ni d’où il vient. C’est lui qui porte le film, qui le structure. Dès qu’il disparaît, on est perdus. Le film est perdu parce que c’est sur lui que repose l’exploration de la virilité, de la violence sociale, du vide spirituel, moral et sociétal de nos sociétés. C’est Schmidt qui incarne ce désordre existentiel avec ses muscles noueux, sa gueule de serpent, et sa manière de marcher comme une petite frappe déglinguée. Sa classe de worker british affamé (pantalon cintré, muscles saillants, violence à fleur de peau) est le sujet même du film. On peut écrire ça dans un scénario, on peut l’imaginer dans des cadres, mais à un moment ces idées prennent corps ou pas. Ici c’est le cas. Et le film lui appartient. Totalement.Gaël GolhenSnow in Paradise d'Andrew Hulme avec Frederick Schmidt, Aymen Hamdouchi, Martin Askew était présenté à Cannes à Un Certain regard.