Antoine Doinel
Netflix/MK2

Ce qu’il faut savoir en dix questions sur le héros de François Truffaut, en vedette sur Netflix.

Parmi les Truffaut mis en ligne par Netflix, il y a les quatre longs métrages consacrés au personnage d’Antoine Doinel joué par Jean-Pierre Léaud : Les Quatre Cents Coups (1959), Baisers volés (1968), Domicile conjugal (1970) et L’amour en fuite (1979). Seul manque à l’appel le moyen métrage, Antoine et Colette (1962), tiré du film à sketches L’amour à vingt ans.

Retour sur le personnage emblématique de La Nouvelle Vague.

Comment est né Antoine Doinel ?
Entre 1957 et 1958, à la demande de producteurs, Truffaut planche sur plusieurs projets de films, moyens ou longs, reliés au thème de l’enfance. Il réalise en parallèle Les Mistons et Une histoire d’eau (coréalisé avec Godard) qui le font remarquer. Ses beaux-parents acceptent alors de financer ce qui deviendra Les Quatre Cents Coups que Truffaut écrit avec un ami, Marcel Moussy.

Antoine Doinel est-il le double de Truffaut ?
Truffaut a plusieurs fois expliqué qu’Antoine Doinel doit autant à ses souvenirs d’enfance qu’à la personnalité fantasque du jeune Jean-Pierre Léaud qu’il finira par choisir pour incarner le héros de sa “chronique de la treizième année de la vie”. Si les épisodes qui jalonnent Les Quatre Cents Coups sont réellement arrivés à Truffaut, l’interprétation impertinente et atypique de Léaud en ont romancé la reproduction à l’écran.

D’où vient le nom Antoine Doinel ?
Proche d’André Bazin, qui l’hébergea et l’encouragea à devenir critique de cinéma, Truffaut voua, comme son mentor, une admiration sans bornes à Jean Renoir qu’il finit par côtoyer. Lorsque le nom d’Antoine Doinel lui vint à l’esprit, il crut d’abord à sa bonne inspiration quand on lui fit remarquer que c’était le patronyme de la secrétaire de Jean Renoir, Ginette Doinel.

Critique des Quatre Cents Coups

Truffaut a-t-il pensé Les Quatre Cents Coups comme le premier volet d’une saga ?
La saga s’est imposée à Truffaut par accident. C’est encore à la demande de producteurs qu’il a imaginé filmer, trois ans plus tard, une nouvelle aventure d’Antoine Doinel pour les besoins d’un sketch de L’amour à vingt ans, intitulé Antoine et Colette. Léaud, comme le héros, a désormais 17 ans et travaille dans une usine de fabrication de disques. Il s’amourache de Colette (Marie-France Pisier) qui, elle, ne l’aime pas. Insistant, il séduit les parents de la jeune femme chez qui il squatte en permanence. Cette idée amusante d’un rapprochement familial opportun sera reprise dans Baiser volés que Truffaut tourne en 1968 pour retravailler avec Léaud, accaparé par Godard au cours des années 60.

Le Antoine Doinel en couleur est-il le même que celui en noir et blanc ?
Si l’enfant frondeur et malheureux des Quatre Cents Coups préparait un peu l’ado maladroit d’Antoine et Colette, ce dernier n’annonçait pas vraiment le séducteur inconséquent de Baisers volés. Antoine Doinel, à chaque âge de sa vie, renvoie à un trait de caractère de François Truffaut auquel Jean-Pierre Léaud apporte son côté velléitaire et son phrasé si singulier -dont des intonations évoquent la voix de Truffaut. La preuve que le cinéaste n’a pas pensé sa saga en termes de continuité réaliste mais plutôt d’humeur et d’esprit, qui font de la saga Doinel adulte une suite d’épisodes impressionnistes.

La saga est-elle ennuyeuse ?
Bizarrement, dans l’esprit des gens, François Truffaut est souvent assimilé à un cinéaste intello parisien. Il l’était d’une certaine façon mais son Antoine Doinel est tout sauf barbant. Dès Antoine et Colette, et encore plus dans les films suivants, Doinel s’apparente à un grand dadais un peu gauche qui multiplie les jobs farfelus (détective raté, fleuriste poétique, vendeur bordélique), un amoureux indécis permanent à l’origine de situations rocambolesques. Les personnages secondaires sont aussi savoureux. Ainsi Michael Lonsdale dans Baisers volés qui joue un homme inquiet de savoir pourquoi on ne l’aime pas et qui demande à l’agence de détectives (où travaille Doinel) de s’en assurer en envoyant un de ses hommes en sous-marin dans le magasin de chaussures qu’il possède...

Portrait de François Truffaut

Peut-on regarder la saga dans le désordre ?
Pas vraiment. Si on veut, à la limite (mais pourquoi ?), zapper Les Quatre Cents Coups, il faut regarder les trois longs métrages suivants à la suite. Baisers volés et Domicile conjugal, tournés à deux ans de distance, forment quasiment un dyptique qui peut fonctionner tout seul -tout comme Les Quatre Cents Coups et Antoine et ColetteL’amour en fuite, le dernier volet, se présente de son côté comme un bilan de la saga avec ses flashbacks constitués d’extraits des films précédents.

Truffaut fait-il un portrait en creux de la France ?
Il fait d’abord un portrait précieux de Paris dont il offre, dans Les Quatre Cents Coups, une vision d’avant, celle des rues encore pavées, des échoppes, des petits métiers (le laitier du matin à qui Doinel dérobe une bouteille), des immeubles insalubres, des vieilles bagnoles... Neuf ans plus tard, c’est un Paris plus proche, en couleurs, qu’il filme : les jupes des filles se sont raccourcies, les voitures adoptent des lignes modernes. Truffaut raconte par ailleurs l’évolution des mœurs et les tendances de son temps. Symbole d’une émancipation féminine en marche, la mère de Doinel dans Les Quatre Cents Coups devance l’insolente modernité de Marie-France Pisier dans Antoine et Colette et la liberté jouisseuse de Delphine Seyrig dans Baisers volés. Il emprunte enfin à Pierre Cardin son mannequin japonais, Hiroko Berghauer (muse chic de l’époque), pour interpréter celle qui sapera le mariage d’Antoine Doinel dans Domicile conjugal.

Claude Jade (Christine Doinel) est-elle le faire-valoir de Jean-Pierre Léaud ?
Impressionnée par la présence sur scène de la jeune Claude Jade (à peine 20 ans), Truffaut l’embauche pour incarner dans Baisers volés Christine Darbon, la future épouse d’Antoine Doinel dans Domicile conjugal. L’actrice rayonne d’abord discrètement. Son personnage de jeune fille naïve n’est que l’une des fleurs autour de laquelle papillonne l’inconstant Doinel. Dans Domicile conjugal, elle prend de l’épaisseur et hérite de la plus belle scène émotionnelle de la saga : celle où, après avoir découvert que son mari la trompait avec une Japonaise, elle accueille Doinel attifée en geisha, une larme à l’œil.

Les Doinel sont-ils tous bons ?
La qualité standard des Truffaut est en général élevée. Celle de la saga Doinel ne déroge pas à la règle. Les films qui la composent sont parmi les plus populaires du cinéaste et bénéficient du rapport étroit qu’il entretient avec le personnage principal. Bourrée de dialogues inoubliables et incisifs et d’épisodes savoureux, la saga témoigne de la vitalité d’un cinéma souvent jugé austère. S’il fallait émettre un bémol, il concernerait essentiellement L’amour en fuite, collage inégal dans lequel Truffaut mélange scènes au présent, flashbacks tirés des films précédents ou fabriqués spécialement.