Robert Evans
Abaca

A la tête de la Paramount dans les années 60-70, il avait révolutionné Hollywood.

On lui doit Rosemary’s Baby, Love Story, Le Parrain, Chinatown, Marathon Man… Robert Evans, mort samedi à l’âge de 89 ans, est l’un des visionnaires qui allumèrent la mèche du Nouvel Hollywood dans les années 60 et 70. Teint hâlé, physique de jeune premier, sourire ultra-bright, il était aussi l’un des players les plus flamboyants de l’industrie du rêve, faisant régulièrement les gros titres des journaux à sensations (pour son mariage avec l’actrice Ali MacGraw, ses excès, son addiction à la cocaïne…). Il avait lui-même contribué à forger sa légende en racontant sa vie dans un livre de mémoires, puis dans un documentaire fameux, The Kid Stays in the Picture (signé Nanette Burstein et Brett Morgen en 2002), où il narrait ses hauts et ses bas hollywoodiens d'une voix d’irrésistible bonimenteur.

The Kid Stays in the Picture ? Le titre venait d’une phrase que Darryl F. Zanuck, producteur légendaire lui aussi, avait prononcée lors du tournage du Soleil se lève aussi, l’adaptation du livre d’Hemingway par Henry King en 1957. Robert Evans, qui tentait alors sa chance comme acteur, avait été casté dans le rôle du torero qui fait tourner la tête d’Ava Gardner. Mais Gardner et Hemingway essayaient de le faire virer par tous les moyens. Zanuck avait été intraitable : "Le gamin reste dans le film". Evans resta, donc, avant de comprendre, quelques déconvenues plus tard, que son destin n’était peut-être pas devant la caméra. Pas de quoi décourager ce fils d’un dentiste new-yorkais qui avait déjà fait fortune à 25 ans, grâce à la marque de vêtements pour femmes qu’il avait lancée avec son frère.

En 1966, à 36 ans, Evans est embauché à la Paramount, dont il va devenir chef de la production. C’est l’époque où les studios historiques sont en train d’agoniser. Evans redresse le studio en quelques années grâce à un flair hallucinant, une série de coups de poker faramineux, mettant notamment le pied à l’étrier à Roman Polanski, qui fait ses premiers pas à Hollywood (c’est le carton de Rosemary’s Baby), puis en concevant le hit générationnel lacrymal Love Story, plus gros succès de l’année 1970, dont il épouse la star Ali MacGraw (qui le quittera quelques années plus tard pour Steve McQueen). Evans embauche ensuite un jeune réalisateur italo-américain, Francis Ford Coppola, pour adapter le best-seller de Mario Puzo, Le Parrain.  Les relations entre les deux hommes seront houleuses, mais ils accouchent ensemble d’un film génial, doublé d’un carton phénoménal. Devenu producteur indépendant, Evans produit dans la foulée un autre film parfait, Chinatown, conjuguant les talents de Roman Polanski (qu’il convainc de revenir travailler à Los Angeles, quelques années après la mort tragique de Sharon Tate), du scénariste Robert Towne et d’un Jack Nicholson en état de grâce.

Après Marathon Man, autre succès, les années 80 seront plus dures pour Evans, comme pour beaucoup de Jeunes Turcs du Nouvel Hollywood. En 1980, Popeye, adaptation par Robert Altman des aventures du marin amateur d’épinards, déçoit. Evans fait ensuite appel à Coppola pour imaginer une version jazz du Parrain mais le résultat, Cotton Club, en 1984, est un four dispendieux. Après avoir mieux compris que personne ce que le public attendait dans les années 60-70, Evans court après les modes et son propre âge d’or, tentant une suite à Chinatown (The Two Jakes), un thriller érotique post-Basic Instinct avec Sharon Stone (Sliver), l’adaptation ciné d’une série sixties (Le Saint, avec Val Kilmer)… Mais rien ne prend. C’est le moment où il décide d’imprimer la légende dans The Kid Stays in the Picture. Le film était un délice, quelque chose comme du Fitzgerald hard-boiled, rythmé par les photos de la légende : Evans souriant à pleines dents dans son Xanadu californien, prenant la pose avec ses copains Polanski, Nicholson, Dustin Hoffman (qui s’inspira de lui pour composer son personnage de producteur margoulin dans la comédie satirique Des Hommes d’influence), distillant toute une poésie de pools-parties hédonistes, de glam éternel et de frime sous le ciel azur. Aujourd’hui le rêve est fini : the kid has left the picture.