JEAN-CLAUDE LOTHER

Les Fantômes d’Ismaël où Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg se disputent Mathieu Amalric, revient sur Arte. Entretien.

Les Fantômes d’Ismaël, où Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg se disputent Mathieu Amalric, sera rediffusé ce soir sur la 7e chaîne. En mars 2018, le film était sorti en DVD dans une version longue inédite, et à cette occasion, Première avait pu poser quelques questions à son réalisateur, Arnaud Desplechin.

Il existe deux versions de votre film mais l’édition vidéo n’en propose qu’une seule, pourquoi ?

En effet, il ne reste que la version longue dite mentale, celle qui sort dans quelques jours aux Etats-Unis (le 23 mars). Elle correspond le mieux à la vision que je me fais de mon film. Au Festival de Cannes, c’est une version sentimentale, plus courte de 20 minutes, qui a été proposée. Le récit était alors centré sur le trio amoureux formé par Marion Cotillard-Charlotte Gainsbourg et Mathieu Amalric, laissant certains autres aspects du récit moins lisibles. Ce montage a été exploité dans les multiplexes français. Le film faisait alors moins de deux heures et permettait d’offrir plus de séances. La raison est donc très prosaïque.

Que reste-t-il d’un film près d’un an après sa sortie ?

Il est encore très vivant. La nuit, j’en rêve encore. J’ai un rapport tourmenté à mes films et même s’il est connu que je ne les revois pas une fois terminés, je peux vous citer de mémoire la moindre séquence. Pour qu’un film chasse l’autre de mon esprit, il faut que je sois en tournage. Un nouveau film peut venir en amitié ou en opposition par rapport au précédent.  Les fantômes d’Ismaël arrivait après Trois souvenirs de ma jeunesse, interprétées  par des inconnus autour d’un premier amour. Tout l’inverse des Fantômes qui est l’histoire d’un dernier amour entre Charlotte (Gainsbourg) et Mathieu (Amalric). Au milieu il y a Marion, qui revient après des années d’absence.

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Ester Kahn était un autoportrait de moi déguisé en fille ! Tous les personnages des Fantômes - les hommes comme les femmes – me ressemblent aussi à leur façon. Marion Cotillard dans le film, c’est la vie, l’insolence de la vie,  Charlotte Gainsbourg, c’est la stagnation, Mathieu Amalric, c’est la peur d’être fou... En faisant ce film, il y avait c’est vrai, une volonté très forte de me confronter à des personnages féminins et  de surcroit à deux « stars » pour les incarner.

Marion Cotillard est le vrai fantôme du film. Ce n’est pas pour autant un être mort…

Je voulais, en effet, que Carlotta (Marion Cotillard) soit un personnage bien vivant qui exprime la joie pure d’être en vie. C’est une revenante et pourtant elle danse, elle mange, elle sent mauvais... Il y a quelque chose de primitif. Marion joue parfaitement bien cet état et pourtant, en tant que star internationale, elle a une aura mythique. Ce qui est fascinant, c’est que ce statut ne l’encombre pas plus que ça. Marion fabrique du mythe et une fois qu’elle en a marre, elle en fabrique un autre. Elle passe ainsi des Dardenne à Lady Macbeth puis à Rock’n Roll. Pour Les fantômes, il fallait que se dégage un certain naturel comme en témoigne la séquence de danse sur la chanson de Bob Dylan. Il y a quelque chose de simple dans sa façon de bouger, de montrer que son personnage est là, heureuse d’être au monde. Elle ne cherche pas à être Rita Hayworth dans Gilda.

L’idée du fantôme était présente dès le départ ?

Oui. Il y a un roman d’espionnage de Norman Mailer que j’aime beaucoup, Harlolt et son fantôme. J’adore ce titre et ce qu’il suggère. Ismaël est assailli par toutes sortes de choses : son ex-femme qui réapparait, son retour à Roubaix, ce film sur son frère qu’il faut finir… Dans Nosferatu de Murnau, il est écrit : « Et quand il eut dépassé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. » Le cinéma, c’est l’art de la silhouette, l’ombre sur l’écran… L’image du souvenir. Et cette Carlotta justement, est-elle un fantôme ou un souvenir ? Le spectateur doit d’accepter cette présence telle qu’elle s ‘offre à lui, chargée  de tous ses mystères.  

 

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Carlotta est un prénom qui évoque directement le personnage de Kim Novak de Sueurs froides d’Hitchcock. Pourquoi une référence aussi évidente ?

J’aime les noms qui claquent. Je ne crois pas au quotidien. Carlotta, cela créé immédiatement une dimension poétique. J’ai peur des clichés, je veux des surprises, des collections de moments exceptionnels. Lorsqu’une séquence doit exprimer quelque chose du quotidien, comme par exemple lorsque Charlotte et Marion se disputent à propos de Mathieu, j’exacerbe l’instant pour dépasser le cliché. Jusqu’ici dans le film le jeu de Marion était plutôt doux et calme. Dans cette scène, elle se rebelle contre elle-même. L’actrice se surprend et emmène son personnage ailleurs. Elle trouve ainsi une autre forme de vérité.

Le film use par endroits d’une lumière très expressionniste, à la lisière du fantastique…

Je préfère parler d’une lumière enchantée. Dans la séquence où Charlotte appuyée contre un arbre devant la maison de Noirmoutier et Mathieu parlent de leurs sentiments respectifs, nous avons utilisé un filtre rouge (la gélatine dite « Storaro » du nom du mythique chef opérateur italien) qui donne une impression étrange, presque surnaturelle. Dans ce décor naturel, cela créé un contraste. On a soudain l’impression d’un enchantement, d’un moment exceptionnel. A cet instant précis,  l’un et l’autre se sont dit la vérité.

Dans le film, Ismaël commente de façon surprenante, une toile de Jackson Pollock. Sa réflexion fait étrangement écho à toute votre œuvre et à votre rapport trouble au réel…

Il dit en effet, à son producteur: « Pollock, c’était un peintre figuratif ! Il fabrique des figures à partir d’images compressées. » C’est la définition même du film, voire de mon cinéma, je prends des bouts de fiction et je les compresse. Dans Les fantômes, il fallait faire tenir ensemble un film d’espionnage, une histoire d’amour, de revenante, le tournage d’un film dans le film… Les choses se bousculent.

Bande-annonce :


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