Monica Bellucci Irréversible 2
Capture d'écran YouTube

L’actrice revient sur le film le plus subversif de sa carrière, son travail avec Gaspar Noé et l’impact d’Irréversible en 2019. Le long-métrage sera présenté dans son "Inversion intégrale", un nouveau montage chronologique, à L’Étrange Festival aujourd’hui à 17h45 au Forum des Halles.

17 ans après sa sortie, quel souvenir gardez-vous de l'expérience d'Irréversible ?

Pour moi, c’était l’une des plus grandes écoles de cinéma. C’était avant tout une expérience artistique : on avait la possibilité de tourner des séquences de vingt minutes d’affilée, ce qui est très rare pour un acteur. Encore plus aujourd’hui. C’était une aventure unique. Comme au théâtre, on laissait une grande part à l’improvisation. Mais j’avais un peu peur au départ car je n’étais pas Française, je me disais que je n’arriverais pas à dire correctement les dialogues à cause de mon accent. Heureusement, Gaspar [Noé, le réalisateur, ndlr] a été très humain, bienveillant et protecteur. Il prend extrêmement soin de ses acteurs. Il est très doux alors que, paradoxalement, ses films sont très durs, très violents. Il y a une dualité importante chez lui, il aborde frontalement des sujets polémiques mais avec beaucoup de sincérité.

Effectivement, le film est surtout connu pour sa difficilement regardable, voire insoutenable, scène de viol. Comment Gaspar Noé vous a-t-il aidé dans la préparation de cette séquence ?

Je crois que nous, les femmes, avons en nous un code génétique qui nous fait comprendre ce qu’est le viol même si nous ne l’avons pas vécu. On a une peur ancestrale et viscérale de cet acte à l’intérieur de notre corps, c’est comme ça. Et on connaît tous quelqu’un dans notre entourage plus ou moins proche à qui ce genre d’événement est arrivé. Pour préparer cette scène, je me suis isolée toute une journée comme pour me recueillir ou méditer. J’avais besoin de solitude, d’une certaine forme de concentration aussi, de me retrouver seule face à moi-même avant de tourner le soir venu. Gaspar m’a totalement guidé et protégé, nous avions énormément répété en amont. Finalement, cette scène est comme un ballet de danse, je connaissais chaque mouvement par cœur, chaque coup porté par Jo Prestia aussi [l'acteur incarnant le violeur à l’écran, ndlr]. C’est une représentation de la réalité dans laquelle tout est entièrement orchestré.

C'est la scène la plus compliquée de votre carrière, non ?

(Elle réfléchit) Hmm… Oui, c’est sûr. Il y en a eu d’autres mais celle-ci en particulier était éprouvante. Je recherche ça aussi : une forme de challenge, de mise en danger pour repousser mes limites. C’est pour ça que j’aime tourner avec des metteurs en scène comme Gaspar, Emir Kusturica ou David Lynch. Ce sont des cinéastes qui vous obligent à relever des défis.

Et à Cannes, comment aviez-vous reçu à l’époque l'accueil, notamment les critiques négatives, des festivaliers ?

Je les comprenais totalement. (Elle imite les réactions d’alors) "Pourquoi on nous montre ça ?" , "On ne devrait pas filmer ça ?", "C’est ignoble !"… Ce sont des critiques légitimes qui n’enlèvent pas l’importance du film. Il y a toujours eu des œuvres brutes abordant des sujets conflictuels mais nécessaires dans la société : Orange Mécanique ou Festen, par exemple. Ça crée le débat mais également une certaine ouverture d’esprit. Forcément, si l’on ne regarde pas plus loin que ce que l’on nous montre à l’écran on trouvera ça choquant. À Cannes, en 2002, beaucoup de gens étaient partis de la salle alors qu’il y a quelques jours, à La Mostra de Venise où nous avons présenté le nouveau montage, le public était beaucoup plus dans une forme de respect. Peut-être aussi parce que le temps a passé et que les spectateurs savaient ce qu’ils venaient voir…

En 2002, le film avait vraiment secoué son époque et le public.

Je me rappelle du cinéma français à ce moment-là, c’était un cinéma de "rupture". Un peu avant, il y avait eu La HaineDobermann, Le Pacte des LoupsIrréversible suivait cette tradition, avec ce côté très… Comme un coup de poing dans l’estomac, vous voyez ? Chacun de ces films abordent une tranche de la société que l’on ne voyait pas à ce moment-là : des parias, des marginaux… J’étais fascinée par cette période du cinéma en France, c’était une comme une Révolution. C’est assez fou d’avoir vécu ça en y repensant et d’en avoir fait partie. Sans Irréversible, qui a fait le tour du monde, je n’aurai pas eu la carrière que j’ai eu. Je n’aurai pas pu faire Matrix ou tourner dans la saison 3 de Twin Peaks.

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Irréversible a aussi pas mal exposé médiatiquement le couple que vous formiez à l'époque avec Vincent Cassel. Pensez-vous que les gens y voyaient une manière opportuniste de faire de la publicité pour le film ?

Non, je ne crois pas du tout. Il y a beaucoup d’éléments dans l’histoire d’Irréversible. Le fait que nous soyons un couple dans la vraie vie importait peu dans la finalité du film. Je pense que le succès international qu’a eu le film n’a aucun rapport avec Vincent et moi. C’est Irréversible qui a fasciné.

Dans une interview Gaspar Noé a expliqué qu'il vous avait proposé à Vincent et vous-même de tourner dans Love, son mélo porno sorti beaucoup plus tard, en 2015, mais vous aviez refusé. Pourquoi ?

Ouh là… (Rires). Je n’étais pas du tout prête à cette proposition, ni à exposer ma vie personnelle comme ça au cinéma. Du coup, on a fait Irréversible à la place. Mais Love reste un très beau film, c’est un porno qui fait pleurer. On y voit la vie d’un couple, la recherche du désir, la construction de l’amour. C’est très dur mais aussi très vrai.

Pour revenir à Irréversible, l’aviez-vous revu depuis 2002 et avant sa présentation à Venise il y a quelques jours ?

Oui, j’en avais besoin. Cela faisait sept ans que je ne l’avais pas vu. Un jour, Gaspar m’appelle et me dit de venir à une projection privée. Je n’étais pas du tout au courant que ce serait une nouvelle version remontée du film. J’ai découvert ça avec beaucoup de surprise, il ne m’avait rien dit… Il est comme ça Gaspar, il fait les choses dans son coin (Rires). C’est pour cela que je l’apprécie : c’est un artiste inconditionnel.

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Du coup, comment avez-vous perçu ce remontage chronologique ?

C’est une vraie redécouverte : le film apparait comme plus "classique" et beaucoup plus clair sur les motivations de la vengeance du personnage incarné par Vincent. Mais il n’en devient pas banal pour autant. Cela donne une autre dimension à la violence, sans pour autant la justifier ou la légitimer. On comprend juste beaucoup mieux pourquoi il y a autant de rage vers la fin. Ce nouveau montage m’a aussi permis de voir des détails auxquels je n’avais pas fait attention dans le film original.

Certaines personnes pensent ou affirment que raconter Irréversible dans un ordre chronologique va nuire à l’impact du film. Que c’est quelque chose de futile.

Je ne pense pas. Pour l’instant nous ne l’avons montré qu’à Venise et les retours étaient très positifs. Ce qui n’était pas du tout le cas à l’époque, à Cannes, où soit les gens criaient au génie soit détestaient complètement le film. Certains journalistes italiens ont même dit qu’avec ce nouveau montage le film était plus fort émotionnellement. Je crois de mon côté qu’effectivement cela lui donne plus de puissance.

Gaspar Noé m'a confié qu'en 2019 on ne pourrait pas financer et réaliser un tel film. Je pense qu’il parlait notamment de l’ère post-#MeToo dans laquelle nous vivons actuellement. Comment Irréversible va être reçu selon vous lors de sa ressortie en salles ?

Pour moi, Gaspar a fait un vrai film féministe. Je pense qu’aujourd’hui Irréversible est encore plus important car il montre le comportement et la brutalité de certains hommes envers les femmes. Gaspar est comme un peintre faisant un tableau de la monstruosité de l’être humain masculin. Mais il y a aussi le beau portrait de cette femme courageuse, aimée et enceinte. Je pense qu’il sera mieux reçu par le public, qu’il va permettre le débat. Ce qui n’était pas le cas en 2002. On voit qu’actuellement il y a beaucoup de changements dans notre société : les femmes sont de plus en plus présentes dans le monde du travail, les hommes de plus en plus présents dans le cocon familial. Irréversible est parfaitement en adéquation avec notre époque.

Monica Bellucci commente sa filmographie

Irréversible (Inversion intégrale) sera diffusé à L’Étrange Festival, ce vendredi 6 septembre 2019 à 17h15 en présence de Gaspar Noé, Monica Bellucci, Albert Dupontel et Jo Prestia. La programmation intégrale du Festival c'est par ici.