Apocalypse Now
Pathé

Le festival lyonnais s’achève avec la présentation d’Apocalypse Now : Final Cut, nouveau montage du chef-d’œuvre palmé d’or.

Francis Ford Coppola aura donc passé une partie de sa vie à parfaire Apocalypse Now – tel Bonnard pénétrant au Louvre pour retoucher en douce un de ses tableaux, ou, pour utiliser une analogie plus "Nouvel Hollywood", comme son copain George Lucas bidouillant obsessionnellement ses Star Wars… Dans les années 80, tombant sur une diffusion de son film à la télé, Coppola s’était dit qu’Apocalypse Now n’était finalement pas aussi fou et radical que ça. Ou, plutôt, que ce qui était considéré expérimental et audacieux en 1979 avait depuis été digéré par le cinéma américain mainstream et paraissait tout à fait "normal". C’est ce jour-là qu’avait germé en lui l’idée de proposer au public un rab d’Apocalypse, en réinjectant dans le film des éléments qu’il avait été contraint de laisser sur le carreau à l’époque. Un projet qui se concrétisera en 2001 avec Apocalypse Now Redux, d’une durée de 3h22 (contre 2h33 pour le montage originel), qui incluait de nombreuses scènes supplémentaires, dont celle, fameuse, dite de "la plantation française", où Christian Marquand pérore sur l’Indochine et la grandeur perdue de la France (sans doute l’une des scènes le plus controversées de l’œuvre de Coppola, juste devant celle où Sofia Coppola cuisine des gnocchis avec Andy Garcia dans Le Parrain 3). Récemment, quand on est venu frapper à sa porte pour lui demander quelle version il préférait sortir en salles à l’occasion de son quarantième anniversaire, Coppola s’est rendu compte qu’aucune version ne le satisfaisait vraiment. Ni l’originale, ni la Redux. Et voici donc Apocalypse Now : Final Cut, d’une durée de 3h03. L’Apocalypse terminal, à mi-chemin des deux autres. Plusieurs ajouts de la version de 2001 ont disparu (Marlon Brando lisant des extraits de Time Magazine, les scènes de sexe avec les Playboy Bunnies…). Mais la plantation française est toujours là. 

Work in progress
De tous les grands cinéastes contemporains, Coppola est l’un de ceux qui aura su le mieux profiter de l’élan patrimonial favorisé par le DVD pour réfléchir rétrospectivement à son œuvre. Il a enregistré parmi les plus beaux commentaires audio (ceux de la trilogie du Parrain notamment – impossible d’oublier son émotion devant la mort de Mary Corleone), inventé des dispositifs commémoratifs fabuleux (quand il invite les acteurs d’Outsiders à revoir le film chez lui, vingt ans après), proposé les making-of les plus fous (foncez voir celui de Coup de cœur)… Mais Apocalypse Now est le seul de ses films qu’il aura trituré autant dans sa matière même, le remodelant, y revenant sans cesse, comme si le succès, la Palme d’Or et la postérité n’avait jamais apaisé son insatisfaction. Une insatisfaction qui était au cœur de la fabrication même du long-métrage, dont la production dura quatre ans, et qui fut présenté à Cannes comme une œuvre inachevée ("a work in progress"). Coppola ne savait pas comment finir le film (Willard devait-il tuer Kurtz ? Quitter le camp ? Ordonner un bombardement ?) et, d’une certaine manière, le fait qu’il en ait proposé trois montages différents en quarante ans démontre bien que, plus généralement, il n’a jamais su comment en finir avec Apocalypse Now. Ce qui donne encore plus de saveur au fait qu’il ait choisi d’ouvrir les hostilités avec une chanson intitulée "The End".

Point final
Avec Apocalypse Now : Final Cut, il semblerait que cette fois, ce soit la bonne. Le temps passe, Coppola le sait mieux que personne. A 80 ans, alors qu’il a au moins encore un rêve grandiose à accomplir (le projet Megalopolis), il ne peut plus se permettre de remixer son chef-d’œuvre  ad libitum. Il fallait mettre un point final à l’odyssée. Ce Final Cut est-il pour autant le meilleur montage du film ? Pas sûr. A Première, on continue de préférer la version de 1979, plus concise, plus brute, plus percutante. L’édition Redux était trop longue, mais on comprend ceux qui défendent l’hypothèse que sa durée fleuve sied bien au film, donnant l’impression au spectateur d’être prisonnier d’un interminable cauchemar fiévreux. Final Cut ne tranche pas vraiment. Mais le gargantuesque coffret vidéo sorti récemment, contenant les trois versions restaurées en 4K UHD, remixées en Dolby Atmos, ainsi que des bonus en pagaille, le tout réparti sur six disques, inviterait presque à jouer chez soi au jeu du fan edit, à triturer à notre tour le film, pour le remonter à notre goût, et trouver notre version préférée d’Apocalypse Now dans cette orgie d’images. Pour Coppola, ça y est : son opus magnum est enfin achevé. Mais pour nous, le trip continue.

Apocalypse Now : Final Cut, de Francis Ford Coppola, séance de clôture du Festival Lumière, Halle Tony Garnier, dimanche 20 octobre, 15h