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Roman noir, histoires de détective et syndrome de La Tourette... Nous avons rencontré l'acteur culte des 90's et réalisateur de Brooklyn Affairs.

Comment avez-vous découvert le livre Brooklyn Affairs ?

Jonathan Lethem, l’auteur, est un ami. Je l’ai rencontré dans les années 90 à New York par l’intermédiaire de connaissances que nous avions en commun. Un soir, j’étais à une fête et on me l’a présenté. À ce moment-là, il avait un nouveau livre en préparation qui parlait d’un détective atteint du syndrome de La Tourette qui enquête autour du meurtre de son patron… J’étais à la fois interloqué et très intrigué. J’ai demandé si je pouvais le lire et Jonathan m’a envoyé une copie du manuscrit.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en tirer un film ?

C’est surtout pour le personnage principal, Lionel Essrog. C’est un héros unique, à part. Un paria qui porte en lui une forme de chaos. Et, en même temps, il est extrêmement intelligent malgré une profonde solitude. C’est un dur-à-cuire, un orphelin qui a grandi tant bien que mal dans un foyer. Il est futé, drôle et charmant tout en étant conscient que sa maladie l’empêche de vivre. Que cela soit dans mon film ou dans le livre original, l’histoire est raconté à travers la voix de Lionel qui accompagne le lecteur/spectateur. Dès le départ, il installe une proximité avec nous, une sorte d’intimité. Il débute par expliquer qu’il y a un problème avec son cerveau. Cela brise la glace et amène à une forme de compassion.

On a rarement vu un détective qui montre autant ses faiblesses, joue avec celles-ci et s’en sert pour avancer dans son enquête. À quel genre de challenges avez-vous eu à faire en rentrant dans la peau de Lionel ?

Je pense que la plupart des détectives au cinéma sont des personnages plein d’humour et cool dans le sens où l’on aimerait tous, au moins une fois, être à leur place. Prenons Chinatown : Jack Nicholson est plus cool qu’on ne le sera jamais. Pareil pour Humphrey Bogart dans Le Grand Sommeil. C'est ce que j’ai le plus aimé avec Brooklyn Affairs : faire de Lionel un héros plus bordélique et troublé que nous le sommes dans la réalité. Quand on le regarde, on se dit “Oh mon Dieu, ça pourrait être moi !” Et même si sa maladie est quelque chose d’encore trop méconnu, très spéciale, je pense que la raison pour laquelle on rit face à lui c’est parce que nous avons nous-même ces voix dans nos têtes qui nous parasitent plus ou moins en permanence. Il y a forcément un moment dans la journée où l’on se dispute avec soi-même. C’est juste que nous le gardons en nous alors que Lionel, dû à sa maladie, laisse tout sortir. On peut tous s’identifier à Lionel. 

Comment avez-vous élaboré le personnage, notamment la composition à l’écran de sa maladie ?

J’ai tricoté de petits bouts en petits bouts. Le syndrome de La Tourette diffère selon les personnes, il n’y a pas qu’une seule représentation de la maladie. Il y a des gens qui hurlent, d’autres qui ont simplement des tocs… J’ai essayé d’injecter dans la personnalité de Lionel un peu tous les traits que j’avais pu voir en étudiant de vraies malades ou en discutant avec des personnes qui connaissaient de près ou de loin cette maladie.

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Il y a une forme de dualité chez Lionel que l’on retrouve dans une grande partie de votre carrière…

Je ne suis pas sûr de ça. (Il hésite). Vous savez, j’ai joué dans une quarantaine de films depuis mes débuts et il y en a que très peu qui jouent sur la dualité. Je pense qu’on doit plutôt parler de complexité, pas forcément de dualité. Mais c’est vrai que j’apprécie plus d’incarner des personnages qui ont de l’épaisseur, plusieurs strates psychologiques. 

Le roman original se déroule dans les années 90 mais vous avez décidé d’en faire un film noir dans les 50’s. Pourquoi ce changement ?

C’est propre au style de Jonathan Lethem : il y a quelque chose de très rétro dans sa description des années 90. C’est un hommage aux romans de Raymond Chandler et aux histoires de détective. Même s’il y a les détails d’une époque moderne, le quatuor d’orphelins, qui devient plus tard la bande de Lionel, a un côté très clan des années 50. Cela se voit aussi dans leur façon de s’exprimer, ils utilisent des termes très vintage, de l'argo, comme "monstre de foire" ("Freakshow" en version originale). Même s’ils ont une certaine sensibilité, ils sont durs avec Lionel comme pouvaient être les détectives à l’ancienne. Jonathan et moi-même avons parlé de cette transposition d’époque car je ne voulais pas que cela tombe dans un ton parodique. Le livre est vraiment centré sur la vie entière de Lionel, alors que le film n’est pas centré que sur ça. L’intrigue est un puzzle, une sorte de canevas beaucoup plus ample et visuel. C’est quelque chose de plus grand. J’avais besoin de ça pour que mon personnage évolue au sein de cette histoire sombre de meurtres très alambiqués. 

Forcément, on ne peut pas s’empêcher de comparer Brooklyn Affairs à Chinatown, que vous avez d'ailleurs brièvement évoqué plus tôt.

Je ne crois pas que ce soit aussi comparable. Il y a beaucoup plus de cynisme dans le film de Roman Polanski que dans le mien. Brooklyn Affairs est plus orienté sur la représentation des gens à travers le prisme de la société et du pouvoir politique. Il y a plus d’empathie, de lutte pour s’imposer tel qu’on est et protéger ceux qu’on aime. Chinatown est plus sombre aussi, il y a beaucoup de nihilisme tout au long de l’histoire. Tout va de Charybde en Scylla jusqu’au final qui est très brutal. Le film se déroule après le Vietnam et le scandale du Watergate… C’était une période très obscure pour les Etats-Unis et les américains s’en rendaient compte. Tout n’était que désillusion. 

Pourquoi avoir attendu vingt ans avant de réaliser un second long-métrage ?

En réalité, je n’ai pas travaillé vingt ans sur ce film même si j’avais l’idée de l’adapter déjà à l’époque de Fight Club. Je pense que cela fait trois ou quatre ans que je planche sur cette adaptation. Il n’y a pas grand chose à dire : en vingt ans j’ai préféré jouer pour des réalisateurs qui m’inspiraient ou avec qui je voulais tourner. Du coup, ça repoussait sans cesse l’idée de repasser derrière la caméra. Par exemple, lorsqu’Alejandro [González Iñárritu, ndlr] est venu me voir en me disant : “Salut Edward, tu veux faire Birdman avec moi ?” Quoi de plus naturel que de lui répondre : “Écoute, j’étais sur l’écriture d’un scénario mais tu sais quoi ? Je verrai ça plus tard…” (rires)

 

- Propos recueillis par François Rieux

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Brooklyn Affairs est actuellement en salles.