Jeanne de Bruno Dumont
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Bruno Dumont adapte à nouveau Charles Péguy pour raconter le destin de Jeanne d'Arc. Délestée de toutes les dissonances de son film précédent, sa Jeanne est présentée dans la section Un Certain Regard. C’est magnifique.

Après le dissonant Jeanette, voici Jeanne! Toujours Charles Péguy, toujours Bruno Dumont... Toujours Lise Leplat Prudhomme , 10 ans, dans le rôle de la pucelle d’Orléans, qui a bien grandi en deux ans. Sur les dunes du Nord battues par les vents qui ont déjà vu passer une vie de Jésus, une Humanité ou Hors Satan, la guerre de Cent ans montrée dans son plus parfait dépouillement, fait pourtant rage... Jeanne guidée par des voix divines, une fidélité sans faille au roi Charles VII qui bientôt la trahira (Fabrice Luchini, le temps d’une courte mais savoureuse apparition) et une foi inébranlable, mène une armée pour chasser les anglais hors du royaume de France. Une défaite et des petits arrangements politiques auront raison de Jeanne qui se retrouve jugée pour hérésie dans le décor majestueux de la cathédrale d’Amiens. Jeanne ne rompt pas et sera - attention spoiler - brûlée vive.

Les corps et les visages poétisent

L’histoire est connue. Et au cinéma, la Jeanne de Dumont arrive après plusieurs grandes batailles: DeMille, Dreyer, Preminger, Rossellini, Bresson, Rivette, Bresson... Le geste de Dumont est de coller au plus près à la prose de Péguy - athée au moment de l’écriture de sa Jeanne - pour mieux la remodeler avec les outils de son cinéma iconoclaste. Ce n’est pas pour cela que Dumont refuse le sublime et la sidération. Sa Jeanne est pleine de grâce. De la grâce juvénile et pourtant pleine d’aplomb de sa jeune interprète tout en majesté. Autour d’elle, le cinéaste qui cherche des gueules et surtout des corps vivants non déformés par un quelconque apprentissage, disent le texte avec une fragilité et des hésitations qui désarment l’éventuel pesanteur du texte et poétise l’ensemble.

Sonder l’Eternel

La caméra de Dumont sonde l’Eternel, cherche la grandeur, un ciel gorgé de soleil éblouit et ramène les pauvres mortels à leurs humaines conditions. Idem à l’intérieur de la grandiose cathédrale où les corps tout petit ne font guère le poids. Et pourtant, ces corps ou plutôt ces visages (comme dans La passion Jeanne d’Arc de Dreyer) se font entendre. Les juges en habits de gala pérorent, complotent, s’interrogent. Il y en a un, dont on ne voit pas les traits, cachés sous une capuche mais dont la voix fluette et gracile trahit l’identité : c’est Christophe, le chanteur ici acteur et dont on entend à plusieurs reprises des chansons originales d’une puissance folle.

Tout en rupture

Dumont est un peu comme sa Jeanne, seul au monde. Seul dans son propre monde où il évolue à la guise d’une voix, la sienne, qui réfute toutes facilités de représentation. Cela peut paraître pesant et autoritaire parfois mais Dumont aime les ruptures. Ainsi une séquence à priori tranchante dans sa forme peut faire place à un ballet digne d’une comédie musicale hollywoodienne, comme cette magnifique ronde des chevaux autour de Jeanne avant de livrer sa première bataille. La guerre, elle, restera hors champ. Des cicatrices témoignent des combats mais tel le Mizoguchi du Héros sacrilège, Dumont manie l’ellipse au moment où le déchainement sanguinaire viendrait ébranler sa propre éthique de cinéaste.