Zahia Zlotowski Cannes
Abaca

La cinéaste a marqué l’édition 2019 de la Quinzaine des Réalisateurs avec Une Fille facile où elle révèle le talent d’actrice de Zahia Dehar

Comment naît l’idée d’Une Fille facile ?

Rebecca Zlotowski : Une Fille facile fait partie des nombreuses idées de scénario que j’ai dans mes tiroirs. Elle est née d’un article que j’avais découpé voilà quelques années où était raconté à la première personne le troc qui s’était mis en place entre deux jeunes femmes et des hommes mariés installés sur leurs yachts dans un port de la Côte d’Azur : des cadeaux et des dîners en échange tacite de la présence des jeunes femmes, de leurs corps et de nuits de plaisirs. Pourquoi m’y suis-je intéressée ? Sans doute parce que tout cela est très étranger à la Normalienne agrégée que je suis. En tout cas, leur récit m’a tout de suite fascinée par la manière de le raconter quasi de l’ordre du romantique, sans rien de sordide. Puis l’affaire Weinstein passe par là, rebat les cartes et les questions. Qu’est ce que serait un abus de pouvoir féminin par exemple ? Et c’est vraiment la rencontre avec Zahia Dehar qui a créé le début du désir très concret de ce film. Est-ce que Zahia Dehar n’est finalement pas tout le temps dans l’abus de pouvoir sexuel féminin ? Cette jeune femme me plaisait et m’intriguait depuis longtemps mais sans l’avoir rencontrée. Et puis un jour, elle « like » sur un de mes posts Instagram. Un truc totalement surréaliste pour moi ! Je commence alors à regarder ses vidéos et je me retrouve alors face… à La Collectionneuse de Rohmer, avec une prosodie ultra- chic et un côté littéraire ultra- élégant. Comme un mélange unique entre Kim Kardashian et Luis Bunuel !

Vous avez su très tôt qu’elle avait des talents de comédienne ?

Il y a eu des craintes autour de sa personnalité tout au long du financement du film. Pour résumer, on me disait : « Ton histoire est formidable mais trouve quelqu’un d’autre qu’elle pour l’interpréter » Mais ça aurait été un contresens absolu car le cœur du sujet d’Une Fille facile est de la filmer et de la regarder, elle et évidemment pas quelqu’un qui aurait joué son personnage. A partir de là, je ne me suis jamais demandé si elle saurait jouer ou non. Pour une raison toute simple : je l’ai tout de suite trouvée très disciplinée. Sa rigueur m’a d’emblée fascinée et n’a jamais été prise en défaut tout au long du tournage. Son engagement était la preuve évidente qu’on pourrait travailler ensemble, sans encombre. Et construire toutes les deux ce personnage qui joue beaucoup avec la représentation qu’elle a d’elle- même

Mais Une Fille facile est aussi un jeu avec les a priori que peut avoir le spectateur ?

Il vaut toujours mieux partir du cliché que d’y arriver, non ? Le pari du film se situe exactement là : faire faire ce voyage au spectateur. Partir de l’idée que chacun a d’elle et la transformer par ce mélange entre la fiction et l’incarnation très fidèle à elle-même de son personnage. Parce que je crois dur comme fer à cette idée que le cinéma doit nous aider à regarder le monde autrement en dépassant nos a priori, quel que soit le sujet.

Est-ce un corps facile à filmer ?

Il fallait ne pas avoir peur de dénuder ce corps spectaculaire, de le rendre transparent sans une once d’hypocrisie mais sans voyeurisme. Or je pense Zahia tellement en contrôle elle- même de sa séduction et de sa sensualité que cet écueil est facilement évitable. Elle le résume d’ailleurs très bien elle- même : « J’ai eu ce corps- là par hasard et j’ai eu envie de le montrer ».  C’est ce que j’ai voulu traduire à l’écran