Atlantique - Mati Dop
Les films du bal

Porté par de belles intentions et de réelles ambitions, ce premier long métrage peine à convaincre pleinement

Le premier long métrage de Mati Diop se situe à la croisée de deux tendances majeures de ce début de festival 2019. D’un côté, après Alep bombardé (le documentaire For Sama, présenté hors compétition), les cités françaises sous extrême tension (Les Misérables) ou les femmes lapidées, bafouées et exécutées en place publique par les talibans en Afghanistan (Les Hirondelles de Kaboul à Un Certain Regard) un regard sur le monde d’aujourd’hui tel qu’il va : mal ! De l’autre, le surgissement récurrent du fantastique (Bacurau) et des morts vivants (The Dead don’t die en ouverture en attendant Zombi Child demain à la Quinzaine des réalisateurs) aux quatre coins d'une planète qu’on a connu plus fringante.

Atlantique s’ouvre en effet comme un quasi- documentaire sur une réalité d’autant plus tragique qu’on la sait quasi quotidienne : ces Africains qui quittent leurs pays sur des embarquements de fortune et voués à une quasi- mort certaine dans l’Océan Atlantique en rêvant d’un monde forcément meilleur sur le continent européen. Parmi eux, il y a Souleiman, éperdument amoureux d’Ada, une jeune femme promise à un autre. Lui et ses collègues, sans salaire depuis des mois, partent donc une nuit sur une barque, dont on apprend vite qu’elle a sombré en mer. Jusqu’à ce qu’un soir, celui du mariage d’Ada, un incendie dévaste la maison où se produit la fête, de nombreuses fièvres inexpliquées s’emparent des jeunes femmes présentes comme d’un flic du quartier et surtout des proches d’Ada lui annoncent avoir vu Souleiman s’enfuir. Comme de retour des morts pour hanter et se venger des vivants.

Partir d’une situation les plus violemment réalistes d’aujourd’hui et y injecter de l’onirisme et du fantastique. Tel est le pari tenté ici par Mati Diop, remarqué avec son excellent moyen métrage Mille soleils. Et la cinéaste ne manque pas d’atout pour s’aventurer dans cet exercice d’équilibriste. Sa manière par exemple de filmer l’océan – ses vagues menaçantes comme son calme revenu façon mer d’huile – pour en faire un personnage à part entière de cette histoire. Le rythme jamais précipité et au final assez envoûtant qu’elle donne à son récit, dépouillé de toute recherche d’efficacité. Sa façon enfin de s’inscrire dans l’influence revendiquée mais bien digérée de Claire Denis, celle qui l’a révélée comme actrice voilà pile dix ans dans 35 rhums.

Le geste ne manque donc ni de panache ni d’ambition. Et pourtant quelque chose ne fonctionne jamais tout à fait. Sans doute parce qu’on devine à l’avance chaque rebondissement. Et que par ricochet, tout paraît un peu trop scolaire, un peu trop fabriqué, un peu trop souligné. Sur la longueur, son scénario trop ténu finit par affaiblir l’atmosphère qu’elle a su insuffler à l’écran. On attend en vain qu’elle largue les amarres et fasse exploser façon puzzle cet équilibre permanent entre réalisme et fantastique. Cette sagesse est sans doute inhérente à l’exercice du premier film sur un sujet qu’on a peur de trahir tant il paraît essentiel. Elle constitue donc les limites d’Atlantique tout en donnant envie de découvrir la suite des aventures de Mati Diop derrière la caméra, une fois qu’elle se sera autorisée plus de folie.