Les Misérables de Ladj Ly remporte le César du meilleur film
45e cérémonie des César/Canal+

Et ça n'a rien d'anodin : en remportant le César suprême, Ladj Ly change la donne.

#Cesardelahonte. Les César de la honte. C’est donc ce hashtag qui a explosé samedi matin sur Twitter. Et entre le prix de Polanski, le départ d’Adèle Haenel et la disparition de Florence Foresti "écoeurée", on a finalement presque oublié que le César du Meilleur film avait été remis aux Misérables. "Pris en otage", comme disait Vincent Maraval quelques heures plus tard ? Le cinéma français était en tout cas sommé de prendre parti pour ou contre Polanski et la Cérémonie, son palmarès, de se résumer à cette alternative.  

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Et pourtant, ce n’est pas rien : Les Misérables, "premier" film de Ladj Ly a reçu le César du Meilleur film. Relisez cette phrase. Calmement. Et ajoutez-y trois autres prix (César du public, César du meilleur montage pour Flora Volpelière et César du meilleur espoir masculin pour Alexis Manenti). Décidément, ce n’est pas rien. Et pas seulement parce que votre magazine de cinéma préféré l’avait mis en couverture au moment de sa sortie. D'abord, et de manière presque instinctive, alors que l’on réclame à juste titre une plus grande diversité dans le cinéma français, voir monter sur scène l’équipe du film composée de noirs, de blancs et d'arabes faisait un bien fou (et renvoyait accessoirement la salle à sa monochromie, ce qu'avait bien relevé Aissa Maiga). Ensuite parce que ce prix, plus que mérité, venait récompenser un film grand public et très politique. « Il est rare écrivait l’auteur Eric Vuillard dans une tribune du Monde, il est rare qu’un film épouse avec tant de vigueur et de fermeté la vérité de son temps. » Il est encore plus rare qu’il reparte avec un César. Ladj Ly a emprunté une route qui part de la réalité brutale pour arriver à la fiction littérale. Pas de fantasme, pas de romantisation dans Les Misérables. Ladj Ly poursuit les faits, filme les circonstances, regarde en face la bavure, la banlieue, le réel. Il enregistre une France déchirée. La France des flashballs, des cages d’escaliers dégueulasses (hors de tout cliché). Une France isolée, pauvre, une France d’exclus. Et il réussit par son simple regard l’étonnante synthèse de Victor Hugo et Spike Lee.

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Mais c’est sa mise en scène qui produit un film universel à partir de cette société divisée, gangrénée. Et c’est précisément cela que la profession a récompensé hier soir. Et en primant également Parasite, qui entretient plus d’un point commun avec le film de Ladj Ly (et dont les titres sont étrangement interchangeables), en primant Papicha, Roubaix une lumière et même le réalisme brut, brutal et bétonné de J’ai perdu mon corps jamais une Cérémonie des César n’avait mis à ce point l'accent sur la diversité, et mis en avant des films sociaux, engagés, et cablés sur le réel. Alors, César de la honte ? Pas sûr. Pas que en tout cas, ou pas seulement. Juste après le match Adèle Haenel / Polanski que le monde (spectateurs et presse) attendait, le triomphe de Ladj Ly et le palmarès auraient dû avoir plus de poids, plus de valeur. On a préféré ne voir dans la 45ème édition des César qu’offense et provocation. On aurait pu aussi, peut-être, voir une révolution. Au sens hugolien du terme :

"Une révolution est un retour du factice au réel."

C’est tiré des Misérables… Evidemment.

 

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