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Le Fils de Saul sera diffusé ce soir sur Arte

Annoncé comme le choc du festival de Cannes 2015 (dont il est reparti avec le Grand Prix du jury), Le Fils de Saul revient ce soir sur Arte. Première avait rencontré son jeune réalisateur, Laszlo Nemes, sur la Croisette.

Laszlo Nemes : Vous êtes bizarres, vous, les français. Partout où je suis passé, dans tous les festivals où j’ai présenté Le Fils de Saul, le film a été reçu de manière directe. Ici, on me demande toujours ce qu’il veut dire, comment l’interpréter. Comme s’il devait y avoir une fiche technique, un guide de visionnage.

Première : Il n’y a donc pas de mode d’emploi ?
Non. Je peux donner des explications, mais le film fonctionne sans. J’ose espérer qu’il existe par lui-même, que je ne suis pas obligé d’être tout le temps à côté du film, comme s’il me tenait en laisse…

« Comme s’il me tenait en laisse » ? C’est très fort comme expression. Tu te sens prisonnier du film ?
Non, mais parfois, j’aimerais le laisser partir, j’aimerais que vous le receviez en tant qu’expérience et que certains arrêtent de théoriser, arrêtent de me demander des explications.

C’est comme ça que tu l’as conçu ? Une expérience ?
Oui. Extrême et viscérale.

En regardant le film, j’ai pourtant eu la sensation que l’aspect viscéral était parasité par le dispositif qui…
C’est une approche, pas un dispositif.

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Quelle est la différence ?
J’ai utilisé une stratégie visuelle, c’est très organique. Un dispositif c’est au contraire intellectualisé, statique et réfléchi. Je n’ai jamais pensé Saul comme ça. Je voulais être avec le personnage. Et le film ne fonctionne que comme ça. Toutes les indications (le flou, le hors-champ, le son, la photo) indiquent assez qu’il s’agit d’une expérience avant d’être un processus intellectuel. La forme découle de ça. Et les gens le ressentent. Très violemment. Plusieurs spectateurs sont venus me trouver et m’ont avoué avoir été dérangés de ne pas pouvoir penser pendant le film. Mais c’était le but. J’ai organisé une descente aux enfers. Les camps ont toujours été conçus de manière abstraite. Je voulais revenir au réel.  

Ce n’est donc jamais le sujet conceptuel, philosophique, qui a guidé tes choix de mise en scène ? La scène où avec Saul on entend les cris des victimes dans les chambres à gaz ressemble pourtant à une déclaration d’intention. Comme si tu disais : je ne regarderai pas par le trou comme Spielberg, je reste à distance comme Lanzmann…
Mais bien sûr que non ! Je ne me suis jamais posé de questions pareilles : « Shoah ou Schindler ? ». Jamais ! (une pause) Non. Je voulais transmettre quelque chose d’intuitif, par l’immersion du spectateur. Quand tu me dis que je choisis entre Shoah et Schindler, c’est ce que je te disais tout à l’heure : tu intellectualises. A aucun moment le problème de le Shoah, les débats sur la représentation des camps ou sur la morale, n’ont guidé la réalisation. Je ne voulais pas de posture intellectuelle. Je ne suis pas français d’origine et je pense que ça me donne une position extérieure à tout ça. Tu sais où je suis ? Je ne suis ni avec Lanzmann, ni avec Spielberg. Je suis avec mon Sonderkommando. Je fais le portrait d'un homme, avec les restrictions que ça imposait.

Quelles restrictions ?
Le point de vue. Je voulais accompagner cet homme dans l’enfer et ça donnait d’emblée les conditions de ce que j’allais transmettre aux spectateurs. Ca déterminait les informations. Après, il y a une forme de responsabilité. Le respect des morts. 

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L’histoire du film a été difficile. Avant de triompher à Cannes, il a été refusé à la Berlinale…
Ils ne voulaient pas du film en compétition… Pourtant avec le 70ème anniversaire de la libération d’Auschwitz je pensais…

… et avant ça, par les organismes de financement français. Comment comprends-tu ça ?
Sans doute parce que ça faisait peur. Le film était peut-être trop ambitieux. Et le mot ambition a visiblement effrayé des gens en France.

Ambitieux ?
Risqué disons. La stratégie filmique était décrite, mais ça posait un problème pour les instances.

Lesquelles ?
CNC, Arte, plusieurs producteurs… Je me souviens que, alors que j’écrivais à la Cinéfondation - ce sont les seuls qui nous ont soutenus -, on m’avait refusé le projet au motif que, vu mes courts-métrages, je ne serai pas capable de réaliser le film. On pensait que ma stratégie ne tiendrait pas sur la durée d’un long. C’est intéressant : en France, on juge la réalisation dès l’écriture.

Tu dis ça en souriant.
Ca ne me fait pas rire. Je trouve ça… ironique. J’ai l’impression que le cinéma français - l’un des plus grands - s’est fait avaler par la télévision et je crois qu’il y a un problème. Si le cinéma n’est plus l’art du risque et de l’innovation, alors c’est du téléfilm. Et c’est grave… d’une certaine manière, ça a dû créer un tabou qui a fonctionné, parce qu’aujourd’hui, on ne peut plus parler de manière responsable de la Shoah. Il faut en parler en rassurant le spectateur.

Interview Gaël Golhen

Le Fils de Saul de Laszlo Nemes avec Géza Röhrig, Levente Molnar, Urs Rechn sort en salles le 4 novembre.