Wild Bunch

Le film a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.

Dès le début, Climax était conçu comme un happening ?

Gaspar Noé : Oui. Quand tu fais un film, l’idée c'est de te demander avec quelles personnes tu partirais en vacances. Pour Climax je voulais avoir devant la caméra des gens que j'aime bien. Et comme je suis obsédé par la danse, je me suis dit que je voulais avoir tous les meilleurs danseurs de Paris. La plupart ont entre 18 et 24 ans. On a même fait venir une fille russe qui habite à Prague, une danoise qui habite à Berlin et sur Internet j'avais trouvé un contorsionniste congolais... Maintenant ce qui est bien c'est que tu peux faire ton casting sur YouTube. Bref, pour répondre à ta question : oui, il y a bien cette idée d'happening.

Ce qui est fascinant, c’est qu’ils jouent tous très juste... Vous les avez dirigés ?

A part Sofia (Boutella, ndlr) qui est une actrice professionnelle et Souheila Yacoub, l'acrobate qui a fait le Conservatoire, tous les autres sont simplement des danseurs. Après quand tu demandes aux gens d'être eux-mêmes, il y a une émulation. C'est la première fois que j'ai fait un film aussi vite : on l'a préparé en moins d'un mois, sans script et on l’a shooté en 15 jours. C'est aussi la première fois qu’un tournage se déroule aussi bien. Pas l'ombre d'une prise de tête. Je m'étais préparé à ce qu'il y ait des tensions chez les danseurs parce-que ce sont des artistes qui dansent en solitaire. Je pensais qu'il faudrait gérer des egos mais pas du tout. Ils étaient fascinés par les danses des uns et des autres. Je les ai laissés faire ce qu'ils voulaient à l'écran, parfois je les poussais à aller plus loin. Pour réussir un pari comme ça, ce truc à la Fassbinder, je n'ai pas dormi pendant 4 mois. Je ne me suis pas défoncé pendant le tournage et je n'ai même pas bu non plus.

Climax : un premier teaser dément

Vous avez fait vite pour être prêt pour Cannes ? Le film n’aurait pas pu exister sans le Festival ?

Quand tu veux faire financer un film presque sans dialogue pré-écrits tu te dis qu'il ne sera jamais prêt pour Cannes. Mais ça rend le truc plus excitant. Et pour inciter les gens à mettre de l'argent sur ce projet kamikaze, on leur disait qu'on serait prêt pour Cannes (rires). La moindre couille sur le chemin aurait pu nous mettre par terre, on se serait retrouvé au Cannes de l'année d'après ou à Toronto. Tous mes films ont été accouchés à Cannes, je ne me voyais pas le faire dans un autre festival pour celui-ci.

Le festival de Venise ne vous aurait pas tenté ?

C'est pas vraiment un festival de jeunes gens... J'habite en France et Cannes c'est quand même le centre du cinéma indépendant mondial.

Ce qui est fou c'est que vous avez intégré le logo de la Quinzaine des réalisateurs dans le film.

Nous avons été prévenus quand on était encore en mixage et du coup on a pu décaler la musique du film pour pouvoir mettre le logo. Waintrop (directeur de la Quinzaine) a été tellement cool avec moi... C'est sa dernière année et je ne comprends pas par quel complot de l'hyper-espace on le vire. C'est un mec génial, il méritait de continuer.

Ils n'ont pas voulu de vous en compétition ou c'est vous qui vouliez quelque chose de plus intime, ou familial pour montrer le film ?

Je voulais être à Cannes. Carne et Seul Contre Tous étaient tous-deux à la Semaine de la Critique, j'étais plus qu'heureux, j'ai eu deux films en Compét' et maintenant à la Quinzaine... Ce qui fait l'essence du Festival c'est d'être au Festival, peu importe la sélection. Ici, t'as tous les cinéphiles du monde qui sont de passage pendant une dizaine de jours... Ils se droguent de cinéma, de paillettes. C'est le moment où tout le monde est hystérique. Cannes c'est fou et il n'y a rien de pareil. Sauf si t'es branché foot et qu'il y a la Coupe du Monde, là les gens deviennent encore plus dingues (rires).

 


Le film a été projeté en même temps que 2001, l’Odyssée de l’espace. C’était fait exprès ?

Non. J'avais demandé à ce que Climax soit projeté le dimanche pour revoir 2001 le samedi. On a convenu que mon film ne passerait pas le samedi et je ne sais pas pour quelle raison la projection de 2001 a été déplacée...

Vous êtes vraiment dégoûté (rires) ?

Non, j'ai vu le film assez de fois mais ça m'amusait d'y aller ici, de le revoir sur grand écran.

J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de similitudes entre Enter The Void, Love et celui-ci. Des personnages qui se ressemblent en tout cas.

Tu veux dire que ce sont tous des loosers...? (rires)

Pas seulement... Leurs obsessions sont identiques, mais ce que vous choisissez de filmer d'eux aussi...

Peut-être parce que, à la fin, on ne parle que de soi-même - et de ses amis aussi.

Nahon, Dupontel ou Cassel dans vos premiers films c'était différent je trouve.

Le personnage de Cassel dans Irréversible ressemble beaucoup à Oscar d'Enter The Void qui ressemble beaucoup à Murphy de Love. Dans ce film t'as celui qui a le crâne rasé, David, qui ressemble à ce genre de types.

Vous aimez les têtes rasées, non ?

J'ai du mal à m'identifier à un type avec des cheveux mais ça c'est mon problème... (rires)

Vous m’avez dit que c'était la danse qui vous avait donné envie de filmer « L'ultimate Trip », on en revient toujours à 2001...

Ce que je voulais filmer c'était surtout un instant de décomposition, ce moment joyeux qui tombe en ruines à cause d’affreux souvenirs. C'est un peu comme dans ma vie. Quand t'es dans un pays où la CIA organise un coup d’État et que tu dois t’exiler pour que tes parents ne finissent pas dans un camp de torture... Ça c'est un bad trip social et historique. Après, les pires expériences que j'ai eues avec des amis, ces moments où tu te dis que tout va bien mais qui partent en vrille, et bien ce n'était pas lié à de la drogue mais à l'alcool. C'est pire je pense... Les effets sont plus durs. A l'intérieur d'un couple par exemple, ça peut tout foutre en l'air. Je ne vais pas te faire croire que j'ai fait un film contre l'alcool - ils boivent joyeusement de l'alcool tous les jours, ils m'ont même mis à l'amende alors que j'adore boire. Mais quelques uns des pires souvenirs de ma vie sont liés aux cuites. L'alcool rend con. Le premier verre ça va, le deuxième aussi mais à partir du dixième ton cerveau il n'existe plus.

La première scène musicale est hallucinante...

On l'a à peine répétée, je n'étais même pas là quand il se sont entraînés. Un soir on a fait venir un groupe pour voir si ça marchait, tous les danseurs n'étaient pas là. Sofia m'avait conseillé la chorégraphe Nina Mc Nelly qui est incroyable, une vraie génie. Elle a réussi à composer comme si c'était une partition musicale. On a tourné presque une quinzaine de prises avant que ce ne soit la bonne.

Mais après vous n’avez jamais eu envie d'y retourner. Vous faites une scène musicale et vous enchaînez sur le reste du film en vous éloignant de l'idée de comédie musicale...

Je ne voulais pas vraiment faire de comédie musicale. Le film est drôle mais on est loin de la comédie. C'est un film de danse oui mais tu as des films de danse qui ne sont pas des comédies. Je pense à All That Jazz par exemple, une œuvre existentialiste sur des danseurs. Dans Climax, les mouvements des danseurs me fascinent parce qu’ils sont hyper rapides, je suis très jaloux. Quand j'étais sur la table de montage je ne captais même pas comment ils arrivaient à faire ça. Il y a eu également une émulation collective parce qu'on a réussi à négocier des musiques qui tuent à un prix raisonnable, le film n'a coûté que 2 millions d'euros au final. Canal n'a pas suivi, Arte nous a suivis. C'était un gros risque mais quand tu vois que Fassbinder faisait 4 films par an, je me suis dit que je pouvais faire le mien en 4 mois.

Ce que j'ai adoré dans le film c'est cette sensation palpable de monde qui s'écroule... Comme dans un film de Romero en fait.

Ouais, on sent qu'il y a un côté zombie dans Climax. Comme la trilogie de La Nuits des morts-vivants...

Il n’est pas dans la liste des cassettes au début, si ?

Zombie ? Si, si, elle y est. D'ailleurs, c'est la première VHS que j'ai vue de ma vie. A l'époque j'étais dans un lycée du 13ème, un pote qui avait un magnétoscope – je ne savais même pas ce que c'était à l'époque, ça ressemblait à un gros micro-onde – m’a invité chez lui et je me suis retrouvé à Vitry pour voir cette VHS René Château... Je me suis dit que c'était le paradis sur Terre : pouvoir voir des films à domicile. Quand j'ai pu avoir mon magnéto, j'ai voulu que ma première VHS soit mon film préféré du coup j'ai acheté Eraserhead. La deuxième c'était Les Tueurs de la lune de miel. Il y a des gens qui ont un attachement au vinyle, moi c'est aux cassettes VHS. Parmi les références j'ai aussi calé du Hara-Kiri car c'était mon journal préféré en arrivant en France. C’est vraiment Choron qui m'a fait aimer ce pays. Du coup, si tu fais des arrêts sur images dans cette scène, tu verras tout ce que je lisais et tout ce que je regardais quand j'avais 20 ans. C'est grâce à ces références que j'ai fait la connaissance de Kounen. On aimait les mêmes choses, on riait des mêmes choses. Il fait son cinéma et je fais le mien, mais ça ne nous a pas empêché de partager plein de trucs en commun dont des expériences chamaniques.

Justement, je m'étais dit que Climax et Bluberry ferait un superbe double programme. Ça vous raconte vraiment : les deux films sont des récits bad-trip filmés de manière très différente. C'est ce qui vous sépare dans votre sensibilité et ce qui vous rapproche en tant que cinéastes.

L'une des premières personnes que j'ai invité en salle de travail c'est Jan. Je voulais qu'il le voit car il sait de quoi il parle.

Et vous avez aussi ce goût pour les expériences cinématographique à la lisière, lui est dans un trip VR en ce moment...

J'ai essayé aussi mais ça prend beaucoup de temps. Et ça reste encore confidentiel car personne ne regarde vraiment des films en VR, les système de diffusion ne sont pas très larges. C'est une méthode en devenir mais vu l'énergie que cela demande je préfère rester dans un cinéma plus classique.