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Le réalisateur de Jack Reacher : Never Go Back nous parle de Tom Cruise, de sa façon de filmer l’action et des effets spéciaux numériques.

Comment vous êtes-vous retrouvé à réaliser ce film ?
Tom Cruise m’a téléphoné : "Tu peux lire ce livre ?" Je n’ai jamais fait de suite ou de franchise et j’étais très étonné qu’il me demande ça. J’ai lu le roman, je l’ai beaucoup apprécié et je me suis rendu compte que j’aimais ce genre d’histoire, et que je n’avais jamais travaillé dessus. C’était peut-être présomptueux mais j’ai estimé que je pouvais faire de ces personnages et de ce genre un truc à ma sauce. Et Tom m’a soutenu. Il embauche des réalisateurs qui ont leur vision des choses, qui veulent faire des films à la hauteur de leurs ambitions.

Vous vous êtes replongé dans le meilleur des films d’action ?
Non. Parce que quand on a vu assez de films d’action, on connaît les ficelles. Mon challenge était de jouer avec ces ficelles, tout en faisant honneur aux relations entre les personnages. Rendre les deux crédibles. Une sorte d’hybride, où chaque chose a sa place. Et ça, ça se construit avec le script, à chaque nouvelle version.

Quelle a été l'implication de Lee Child (NDLR : le romancier derrière la saga Jack Reacher) dans la création du film ?
Je lui ai envoyé le script et on a eu une conversation très intéressante, il avait quelques idées. Il comprenait parfaitement les différences entre le livre et le film. Il est venu aux lectures, sur le tournage… C’est quelqu’un de très raffiné. C’est un homme très modeste par rapport à la quantité de livres qu’il vend.

Il dit souvent qu’il est complètement stone quand il écrit ses livres !
Ah ah ah, mais oui, c’est vrai ! Il en parle comme si c’était du coloriage, comme s’il était en écriture automatique. Il assure qu’il ne sait pas où il va quand il commence à écrire. Il se lance pendant six mois et pouf, c’est fini. C’est fou !

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Il y a des années, l’ennemi dans ce genre de film était pratiquement toujours une entité étrangère. Aujourd’hui, c’est le gouvernement américain et la finance. Vous avez une explication à ça ?
C’est vrai qu’on semble de plus en plus charger le gouvernement et les organisations militaires. J’ai fait un film qui s’appelle À L'Épreuve du feu, qui évoquait le tir ami durant la guerre du Golfe. Donc ce n’est pas une première pour moi. Ça s’explique peut-être par le fait qu’il faut bien avoir un antagoniste, et qu’on a tous lu des choses sur ce qui s’est passé en Irak, en Afghanistan et en Iran… Je me suis beaucoup documenté sur les entrepreneurs qui s’acoquinent avec des seigneurs de guerre, ce genre de choses. Ça me semblait être un ennemi contemporain plausible, c’est dans l’air du temps. Il y a un manque de confiance envers les institutions.


Comment avez-vous casté Cobie Smulders, qui à part dans les films Marvel, n’est pas habituée aux productions de ce genre ?
Je l’ai vue dans How I Met Your Mother et dans quelques films indépendants. Mais il a fallu attendre que je la rencontre pour être sûr. On a fait ça de façon très classique : elle a lu les scènes et elle a répété avec Tom Cruise pour que je me rende compte si l’alchimie était bien là. Pour égaler la force de la nature qu’est Tom Cruise, il faut quelqu’un de plus… posé, je dirais. Il a été super avec elle, parce qu’il sait qu’un film ne vaut que par ce qui se passe à l’écran entre les acteurs. Elle est son égale dans le film, ce n’est pas une bête histoire d’amour. Ce sont deux professionnels, lâchés dans le vaste monde.

Vous aviez déjà tourné avec Tom Cruise dans Le Dernier Samouraï, un tout autre type de film. Était-ce plus compliqué de le diriger sur une franchise dont il était déjà la star ?
Non. Il veut être dirigé, il sait qui est le réalisateur. Je crois que je comprends maintenant pourquoi il m’a demandé de faire le film. Sa prestation est très internalisée, canalisée. Il sait comment je bosse avec les acteurs et cette méthode donne parfois des choses inattendues. Je pense qu’il recherchait ça.

Vous avez dû le retenir pour quelques cascades ?
Je me demande ce que ça ferait de retenir Tom Cruise (rires). Il donne tout, mais en ayant conscience du danger. Il ne ferait pas quelque chose qu’il n’est pas capable de faire. Il répète, inlassablement. Sur Le Dernier Samouraï, il s’est entraîné neuf mois à manier l’épée. En fait c’est du professionnalisme, tout simplement. 

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Il y a une certaine grammaire de la scène d’action dans le film. On sent que vous vouliez que chaque séquence de combat serve à dire quelque chose sur le personnage. 
Tout à fait. Il faut exprimer un certain nombre de nuances sur le personnage en très peu de temps. Et en même temps, il faut faire avancer l’intrigue. La grammaire de la scène d’action est déterminée par la chorégraphie. Vous voulez que le personnage « signe » la scène, que ça dise quelque chose sur lui. Reacher est un homme très direct, et ça doit se ressentir dans la façon dont il bouge dans l’espace. Il n’est pas dans la réaction, il est dans l’action, il avance vers les gens. Ce n’est pas beau à voir, mais c’est efficace.

Et vous vous êtes refusé à utiliser le numérique pour magnifier les scènes d’action. 
Avec les effets spéciaux numériques d’aujourd’hui, on peut tout faire à l’écran. Des armées de millions d’hommes, la terre qui s’ouvre, des crashs d’avions… Parce qu’ils peuvent le faire, ils le font. Et je crois qu’on est de plus en plus insensibles à ça. Le grand spectacle est un peu devenu de la pornographie. Tout se ressemble. Nous, on tente de faire le chemin inverse avec un film aux influences venues des années 70. Ce qui m’intéresse, c’est autre chose. On a sorti le trailer, un bon trailer. Il n’a pas enflammé la planète mais il était bien. Il a été vu 70 millions de fois. Est-ce que ça reflète l’appétit des spectateurs pour quelque chose de plus terre-à-terre ? Mon Dieu, je l’espère.

Propos recueillis par François Léger

Jack Reacher : Never Go Back, avec Tom Cruise, Cobie Smulders… Dans les salles le 19 octobre.