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Première c’est il y a longtemps, cinq ans de ma vie je crois, cinq ans et demi peut-être. 93/98 je dirais. Première c’est les amis, Alain, Jean-Yves, Christian, Gérard, Eric, Christophe, Gilles et les autres, aussi les maquettistes, les secrétaires de rédaction, Emma, Marie-Laure, Dziep, Sandrine, Virginie, tout le monde. Et tous les petits nouveaux, nos “stagiaires”, terrorisés et excités de débarquer dans cet asile, qui ont fait tant de chemin depuis, Stéphanie, Camille, Peggy, Nicolas, Marie-Pierre, Marion, Christophe... Tous éminents journalistes ou scénaristes aujourd’hui – ce dont je ne suis pas peu fier. Première c’est de l’écriture, des milliers de feuillets en cinq ans, et créer des rubriques, des Petit Cochon, des Vous avez combien sur vous ?, des sujets de couverture, des légendes… « On fait la couv’ avec De Niro mais on n’aura pas De Niro » me disait Alain. « Pas de souci, je répondais, combien de feuillets ? » J’adorais écrire ça. Ça et les interviews, les rencontres, qui se passaient bien ou moins bien… Michel Serrault nous sortant de chez lui après une question, avec Jean-Yves… Ou Anouk Grimbert me jetant de chez Blier, pareil, après une question… Ou cette interview ubuesque avec Sophie Marceau, chez Dominique Segall, dont je me suis souvenu avec lui le mois dernier… J’ai pourtant toujours été très poli, mais nos blagues ne faisaient pas rire tout le monde… Ce sont de bons souvenirs aujourd’hui. Plus que les critiques. Certaines j’ai un peu honte. Je me souviens de cette atroce que j’avais écrite sur Rouge, de Kieslowski. J’ai revu le film dix ans plus tard, et là j’ai tout compris, là je l’ai adoré. J’étais trop jeune, je croyais tout savoir, tout connaître, et j’ai eu tellement honte... Première c’est une époque, une époque bénie, le journal se vendait bien, beaucoup, on descendait à Cannes, villas de rêves, des “vedettes” chez nous tous les soirs. Au point que la dernière année je ne suis pas descendu au Palais, ne suis allé à aucune projo. J’étais déjà ailleurs, je faisais d’autres choses… Je me souviens de ce coup de fil de Denise Breton, attachée de presse, qui me donnait mon rendez-vous annuel avec Woody Allen au Crillon. Je me souviens lui avoir répondu : « Écoute, je vais pas pouvoir, demande à Eric ou Christophe… » Même lui ne m’excitait plus, lui une de mes idoles… Je me souviens m’être levé, être allé voir Alain : « Vire-moi, je lui ai demandé, je ne vous sers plus à rien… » J’avais publié un premier roman, Les Papas et les mamans, j’écrivais mon deuxième, je venais de signer pour un scénario, il fallait que je raconte mes histoires, le moment était venu... Pourtant j’ai adoré. Comme les cinq ans avant, 7 à Paris, L’Autre Journal, 20 Ans, écrire dans les journaux… Des milliers de bons souvenirs, des centaines de rencontres, certaines qui restent encore, des leçons de cinéma, de musique, avec Aki Kaurismaki, Arthur Penn, Tom Waits, tant d’autres... J’ai écrit dans la presse dix ans, de 20 à 30 ans en gros, mon métier de jeune homme, mes classes de vie et d’écriture. Et je reste fidèle, toujours. Alain tient un petit rôle dans mon film, c’est mon ami, et il y est formidable.>>> Un Français n'est pas un film politiqueJ’ai donc sauté dans le vide. Pourtant je gagnais bien ma vie, ma place était très confortable, enviée. Et les choses ne sont pas passées comme prévu, le film que j’avais signé ne s’est pas fait, je me suis retrouvé sans rien, alors je me suis mis au travail, j’ai écrit un texte, La Nuit du thermomètre, qui s’est avéré du théâtre, je l’ai fait lire à Emma de Caunes, qui était devenue une amie, et à Frédéric Andrau, avec qui je venais de tourner un court-métrage. Les deux ont accepté de le jouer, et ce sont eux qui m’ont demandé de le mettre en scène. Je ne savais pas si j’en étais capable, je n’avais jamais rêvé de mettre en scène au théâtre, comme un défi j’ai accepté, pour le plaisir aussi de passer du temps avec eux. La première fois que j’ai mis les pieds sur un plateau de théâtre, c’était au CDN de Nice, en 2001, j’ai su que j’étais à ma place. C’était très simple, très naturel, je savais faire. Travailler avec les comédiens, avec les décorateurs, avec les éclairagistes, ce sentiment de troupe, que je retrouvais, comme à Première, cette association de gens doués, tous unis vers un même but. Je me suis dit que je voulais bien faire ça toute ma vie. Et nous avons eu du succès, j’ai eu de la chance, la pièce a été reprise à Paris, nous avons fait une grande tournée, nous avons été nommés aux Molière, l’impression que ce milieu m’acceptait, bien que j’étais un étranger, un imposteur. Alors j’ai continué, j’ai appris ce métier. Une pièce par an, grosso-modo, pendant dix ans, rencontrer d’autres comédiens, agrandir la troupe, découvrir Avignon, le Théâtre du Chêne Noir, cette salle sublime, où j’ai créé tant de spectacles, découvrir ce plaisir dingue, celui de la représentation, ce stress unique, et le bruit de la salle, le bruit des rires, le son des larmes. Je sais le bruit que font trois cents spectateurs qui sourient, ou qui retiennent leurs larmes. C’est prodigieux, poétique, bouleversant. J’ai écrit des comédies, des drames, j’ai monté Les Justes, de Camus, un de mes plus grands souvenirs, ma mise en scène est même citée dans La Pléïade, je peux mourir tranquille. Et le cinéma est revenu, d’abord par Christophe Honoré, qui m’a demandé de venir travailler avec lui sur l’adaptation d’un de ses livres, Tout contre Léo, puis par deux producteurs qui m’ont demandé d’écrire un scénario, un biopic de Coluche. C’était un projet incroyable, d’autant qu’ils n’avaient pas fait d’appel d’offre, ils ne le proposaient qu’à moi. J’ai travaillé un an dessus, la première version faisait je crois 220 pages. Quand Antoine de Caunes est arrivé sur le projet, pour le réaliser, nous avons retravaillé ensemble, resserré, puis il est parti faire le film, moi je suis retourné au théâtre… Mais ces deux producteurs, Thomas Anargyros et Edouard de Vésine, m’ont fait une autre proposition, produire mon premier film, avec une carte blanche… J’étais à Avignon, Christophe aussi, c’est là que j’ai eu l’idée : réaliser un film qui s’appellerait Le Bruit des gens autour et qui se passerait à Avignon, pendant le festival. Christophe était d’accord pour m’aider, et les producteurs ont adoré l’idée. J’ai réuni ma troupe, Emma de Caunes, Frédéric Andrau, Jeanne Rosa, Judith El Zein, suis allé chercher d’autres copains, Léa Drucker, Olivier Marchal, ai rencontré d’autres phénomènes, Bruno Todeschini, Olivier Py, Linh-Dan Pham, et nous avons fait le film ensemble, en mélangeant mon équipe de théâtre à une équipe de cinéma, en rencontrant un génie, Sidi Larbi Cherkaoui, qui a fait les chorégraphies, et ça a été un bonheur.>>> Diastème : "Un Français devait être l'inverse d'American History X" Les bonheurs durent rarement longtemps. Si le film a eu de nombreux prix, il n’a pas fait un grand succès en salles, même si plein de gens m’en parlent encore, beaucoup de gens du métier d’ailleurs, beaucoup de comédiens, de réalisateurs, de techniciens. Mes deux projets suivants je n’ai pas réussi à les monter. Alors j’ai écrit un roman et, comme d’habitude, je suis retourné au théâtre, j’ai créé coup sur coup deux pièces, que j’aime beaucoup, Une Scène, et Fille/Mère, puis mon ami Olivier Jahan est venu me chercher pour écrire avec lui un scénario, qui est devenu Les Châteaux de sable, sorti en salles en avril, dont je suis très fier, puis il y eut les manifs contre le Mariage pour tous, et puis Clément Méric est mort. Je ne saurais dire exactement comment cela s’est passé, ni pourquoi cela s’est passé. Mais au lendemain de sa mort Un Français m’est venu, d’un coup, entier. Je suis retourné dans mon enfance, dans mon adolescence, auprès de ces gens que j’ai connus, dans cette banlieue où j’ai grandi. Un film qui raconterait trente ans de la vie d’un homme, un homme qui se débarrasserait de la violence et de la haine en lui. Un film en plans-séquences, une vingtaine de moments, au plus près, avec lui, en immersion, sans contrepoint, sans morale, sans donnage de leçon, juste montrer l’horreur, et montrer ce parcours, que je trouve exemplaire. Je me suis mis à écrire, puis, très vite, j’ai rencontré Philippe Lioret, qui m’a accompagné en tant de producteur, qui a fait bouger les murs. Nous avons eu l’avance sur recettes, puis Canal a suivi, France 3, Mars Films. Je n’ai pas relevé la tête du guidon, nous avons travaillé, comme des dingues, sur ce film difficile, avec ce filmage difficile, ces plans-séquences, j’ai rencontré de formidables comédiens, Alban Lenoir en tête, mon équipe était incroyable, je me suis retrouvé à mettre en scène des scènes épouvantables, toucher les limites de ce métier. Ce film m’a beaucoup appris, sur l’écriture, sur la mise en scène, sur la direction d’acteurs. Et puis le film est là, il sort bientôt, des gens commencent à le voir, m’en parlent, et c’est deux ans de ma vie, que des gens vont commenter, Première va en parler, pourtant je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur des critiques, c’est l’avantage que j’ai sur les autres réalisateurs, les autres metteurs en scène, j’ai été de l’autre côté. Quand le film sera sur les écrans, moi je serai en Bretagne, et dans le Sud, pour préparer un autre film, que je commence le 28 juillet. Le contraire absolu d’Un Français, une comédie… Et voilà. Je ne sais plus quelle était la question mais j’espère y avoir répondu. Merci à la nouvelle équipe de m’offrir cette tribune, assez émouvante pour moi, quant aux vieux lecteurs de Première, je vous salue et vous souhaite le meilleur, camarades.DiastèmeUn Français de Diastème avec Alban Lenoir, Samuel Jouy, Paul Hamy, Jeanne Rosa est déjà dans les salles