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Le réalisateur de La Belle et la Bête fait le bilan de l'année 2014.

En totalisant 5 millions de spectateurs dans le monde, La Belle et la Bête a prouvé la capacité d’attraction d’un mythe essentiellement français. Pourtant les résultats nationaux (moins de deux millions d’entrées France) ont déçu, sachant que le film ambitionnait en priorité de convaincre le public français. Christophe Gans en tire les leçons et revient sur une année marquée par des mutations profondes.

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Domination
« Ce que je retiens, c’est qu’on est arrivés à un point où le cinéma américain a gagné. C’est-à-dire qu’il impose sa respiration aux autres cinématographies. Entre deux films évènements, il y a de moins en mois de place pour les autres films. L’été, qui autrefois était le cadre du cinéma évènement, s’est élargi à toute l’année. Hollywood nous envoie donc en continu des films dont la qualité évènementielle relève plus d’un effet marketing que de la réalité. Néanmoins, le public d’aujourd’hui assimile de plus en plus le cinéma de divertissement au cinéma américain.

J’ai pu le mesurer entre Le pacte des loups et La Belle et la Bête, deux films à vocation internationale mais tournés en français. Du temps du PDL, il y avait encore des cinématographies résistantes, comme le cinéma de Hong Kong, même s’il en était à ses derniers feux. Aujourd’hui, c’est fini.

Et le cinéma de genre français en France est devenu beaucoup plus compliqué à faire aujourd’hui. Le public n’a pas remarqué que LBELB voulait se réapproprier un mythe d’origine française, même s’il a souvent été traité par les anglo-saxons. Ca a été une déception pour nous. On s’est dit que finalement, on aurait pu tourner en anglais. Ceci dit, je suis très content de l’avoir tourné en français, surtout avec Vincent et Léa. De ce point de vue, aucun regret. Mais clairement, le contexte industriel a énormément changé. La meilleure preuve, c’est Lucy, un film français mais tourné en anglais avec une star internationale, et qui réussit un parcours imparable sur tous les territoires. »

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Consolation
« Personnellement, LBELB m’a prouvé que je suis capable de faire un film qui ne soit pas seulement pour adolescents ou adultes, mais pour tout le monde, puisque c’est la première fois que je fais un film qui n’est pas interdit aux moins de douze ans. D’autre part, le film a eu un grand succès en Asie, spécialement au Japon et j’en suis très content, parce que j’ai depuis toujours un rapport particulier avec ce pays. Crying Freeman était inspiré d’un manga japonais, Silent hill d’un jeu japonais, le PDL est tapissé de clins d’œil à plein de réalisateurs japonais. Et c’est au Japon que les gens ont le mieux compris que LBELB se situe à un niveau non pas psychologique mais symbolique. En voyant que l’action se passe dans un château envahi par un rosier géant, ils ont compris qu’il ne pouvait s’agir que d’une histoire d’amour. Alors qu’en France, ça ne va pas de soi. Les Japonais ont une façon très novatrice de travailler les mythes et le design. Avec les jeux vidéo par exemple, ils se projettent dans quelque chose qui relève vraiment du langage de demain. Alors que nous sommes encore enferrés dans le poids littéraire de la culture. »

Rétrécissement
« D’une certaine manière, on assiste aussi à un rétrécissement des thèmes à l’intérieur du cinéma français. Deux auteurs français m’ont particulièrement frappé cette année. Saint Laurent de Bertrand Bonello est un film incroyable qui entre dans la tête de l’artiste et confronte le propre instinct artistique du cinéaste à celui de son personnage. Par ailleurs, il y a les deux films de Fabrice du WelzColt 45 et Alleluia qui sont passionnants et échappent à tout formatage. Ca lui a coûté cher, mais je lui tire mon chapeau. Ce qui est dommage, on s’en rend compte, c’est qu’il n’y a plus de place pour un cinéma très ouvertement transgressif. Les sources de financement se sont taries, on empêche les gens d’y arriver. A la place, on a La French, un film de gangsters totalement édulcoré, dépourvu de la moindre volonté de représenter le mal. Il n’y a plus de violence, plus de sexe, plus rien. C’est un film qui peut passer à 20H30 sur une grande chaîne de télé sans souci. C’est perturbant de voir à quel point on est en train de lyophiliser le cinéma de genre, de lui retirer toutes ses particularités, tout ce qui peut gêner le grand public. Il est réduit à un pur objet de consommation instantanée. »

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Uniformisation
« J’espère qu’un esprit de résistance va s’organiser. C’est vital, mais on sent bien que le public se laisse aller, il n’est plus autant demandeur de films âpres, singuliers, obliques, comme il en existait à une certaine époque. On va au cinéma consommer le film qu’il faut voir à un moment donné, et qui va rester 4 semaines à l’affiche avant de céder la place à autre chose. Un signe de cette uniformisation c’est que partout dans le monde, on retrouve les mêmes films à l’affiche, tous américains. Je me rappelle une époque où, lorsque je voyageais, je me réjouissais à l’avance de découvrir des films que je n’avais pas vus. Il y a douze ans, la première fois que je me suis pointé à Shanghai, ils passaient Hero de Zhang Yimou. Normal. Cette année, c’est Captain America ! Pareil en Hongrie. Pas un seul film hongrois à l’affiche. Où faut-il aller pour voir des films originaux ?  C’est un vrai problème. En tant qu’amateur de cinéma de genre, j’ai l’impression que ça va devenir de plus en plus difficile de réaliser des films qui ne soient pas familiaux, globaux, internationaux, et pour tout dire, lissés. En même temps, je me place en dehors de ce problème, ayant réalisé La Belle et la Bête qui est par essence un conte de fées et donc s’adresse à tout le monde. »

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Espoir
« Heureusement, quelques films témoignent d’une vitalité toujours présente. Par exemple cette année Fury de David Ayer, très sous-estimé, comme souvent les films de guerre au moment de leur sortie. Alors que c’est un film prodigieux, peut-être le seul qui ait l’audace et la légitimité de se réclamer du Croix de fer de Sam Peckinpah. Personne ne semble avoir remarqué qu’il échappe totalement au moule hollywoodien. Et aussi The Raid 2, qui montre ce que Hong Kong a apporté au cinéma. Un cycle s’achève : quelqu’un vient de reprendre tout ce que HK avait inventé et le propulse vers quelque chose de nouveau et de jamais vu.

L’espoir viendra des acteurs comme Brad Pitt, Leonardo Di Caprio, Tom Cruise, qui outrepassent la nature du comédien. Grâce à eux, on a encore des films importants parce qu’ils servent de gilets pare-balles à des metteurs en scène qui autrement seraient exécutés sur place. C’est grâce à Brad Pitt qu’existe L’assassinat de Jesse James. Cette année, Fury lui doit tout. Grâce à Tom Cruise, on a Edge of tomorrow que les gens commencent à reconnaître comme le grand film de SF qu’il est. Grâce à Leo Di Caprio, on a Le loup de Wall Street qui est l’un des deux ou trois meilleurs films de l’année dernière. Quand on ne fait pas partie des 4 ou 5 metteurs en scène qui peuvent faire ce qu’ils veulent (James Cameron, David Fincher, Ridley Scott…), on a intérêt à avoir une mega star de son côté. La relève arrive : Matthew McConaughey, Jake Gyllenhaal se mettent en position pour être les prochains. Hollywood peut dire non à un metteur en scène mais pas à une star. Ca s’est toujours vérifié. »
Propos recueillis par Gérard Delorme

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Making-of de La Belle et la Bête :