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Michel Hazanavicius transforme le géant de la Nouvelle Vague en OSS intello et zozotant dans un pastiche moqueur, parfois très fun, mais un peu vain.

Michel Hazanavicius doit beaucoup aimer À Bout de Souffle, Le Mépris et Pierrot Le Fou pour reprocher avec autant d’insistance à Jean-Luc Godard son virage maoïste post-68, ce geste radical qui emmena le génie aux lunettes fumées à abandonner le cinéma « traditionnel ». Tout Le Redoutable, son portrait de l’artiste enferré dans les doutes existentiels de l’après Mai, est rythmé de personnages blâmant JLG pour ses nouvelles orientations cinématographiques imbitables, exactement comme les aliens de Stardust Memories disaient à Woody Allen : « On aime vos films. Surtout les premiers, ceux qui étaient rigolos. » La férocité de la charge (Godard est montré comme un bouffon tyrannique et inconséquent, qui casse systématiquement ses lunettes aux manifs) et la forme même du film (qui singe les gimmicks pop des premiers Godard sixties, exactement comme les OSS singeaient les films d’espionnages vintage), laissent à penser que le réalisateur de The Artist et La Classe Américaine regrette amèrement, sincèrement, le Godard d’avant, le Godard cool et insolent.

Il n’aurait aucune raison d’être aussi dur, sinon. Tout Le Redoutable s’envisage ainsi comme une ode à l’idée du cinéma comme pure jouissance. A la fois dans sa confection et sa finalité. On ne fait pas du cinéma pour souffrir. On ne fait pas du cinéma pour emmerder le public. Hazanavicius, après l’échec de The Search (son premier film « sérieux », son premier film débarrassé des masques et des postiches méta) revient donc à son dada (le pastiche pop et cinéphile) pour assumer (affirmer) sa nature. Le Redoutable est un manifeste. Un pamphlet. Mais pas un pamphlet chiant, attention, un pamphlet rigolo ! Pourquoi aller s’emmerder à tourner des films d’agit-prop en Tchécoslovaquie ou en Palestine quand on peut filmer des femmes sublimes sous le soleil, en dégustant des vins délicieux avec les copains entre les prises ? La vie est trop courte pour faire la révolution.

Un petit peu moins bien que Le Mépris

Avec un programme pareil, le film se devait de donner du plaisir. Le quota de fun, ici, est d’abord assuré par Louis Garrel, assez génial en imprécateur zozotant, qui part manifester dans le Quartier Latin comme d’autres vont au Franprix. Une sorte d’OSS maoïste, un Pierrot lunaire incarnant le ridicule de l’époque et ne pouvant s’empêcher de dire des conneries plus grosses que lui. Il y a énormément d’humour et d’empathie dans la perf de Garrel, qui semble parfois se bâtir contre le regard d’Hazanavicius, plus sévère. Le film marche à plein dans ses scènes de comédie lounge à contretemps, ses purs moments de décrochages cartoon (le Festival d’Avignon où tout le monde pique du nez devant La Chinoise, l’engueulade sans fin dans une voiture reliant Cannes à Paris, le scotch collé aux doigts de Godard comme le sparadrap d’Haddock…), qui évitent intelligemment le piège de la reconstitution Musée Grévin, le défilé de people perruqués.

Tout ça ne nous a pas empêché de nous demander régulièrement au cours de la projection si Le Redoutable pouvait avoir le même potentiel populaire que The Artist. Les blagues sur Jean-Pierre Gorin et le groupe Dziga Vertov intéressent-elles vraiment au-delà de Cannes (où Godard est un Dieu dont l’absence est un sujet de conversation à quasiment chaque édition) et des chapelles cinéphiles ?

Louis Garrel : "Il fallait trouver notre personnage de fiction, notre Jean-Luc"

Vous nous direz, peu de gens croyaient qu’un film muet et en noir et blanc pouvait exciter autant de monde au XXIème siècle… C’est là, pour dépasser la simple blague pour rats de cinémathèque, qu’intervient l’autre fil rouge du film, l’histoire de Godard et de sa muse Anne Wiazemsky (Hazanavicius s’est inspiré de son livre Un an après, qui racontait la mort de leur amour, les engueulades, la jalousie dévorante), love story supposée universelle observant comment décroît inexorablement l’amour d’une femme (Stacy Martin, très subtile) pour un homme qui l’a déçue et blessée. Le tout sur fond de soleil, de cinéphilie, de blagues potaches et de sentiments violents, rythmé par les plans amoureux des superbes fesses d’une actrice dénudée comme ça, gratuitement, pour le plaisir. L’histoire du Mépris, en quelque sorte. Même s’il faut reconnaître que Le Redoutable est un petit peu moins bien que Le Mépris… Mince, il est fort ce Jean-Luc ! Quoi qu’on fasse, il finit toujours par gagner.

Le Redoutable sortira le 13 septembre prochain en salles. Bande-annonce :