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C’est l’homme qui fait trembler le cinéma français : Maitre André Bonnet, avocat de PROMOUVOIR, une association chrétienne très à droite qui parvient régulièrement à faire requalifier les interdictions des films après leurs sorties. 

A son tableau de chasse : Baise-moi (carrément retiré de l’affiche et à cause duquel l’interdiction aux moins de 18 ans a été rétablie), Nymphomaniac vol.1 (passé de -16 à -18 ans), Ken Park (de -16 à -18 ans), récemment Saw Chapitre final dont le Conseil d’Etat a annulé le visa en rappelant le ministère de la culture à l’ordre – et surtout à la loi. Plusieurs dossiers sont en cours, dont La Vie d’Adèle. Quant à Love de Gaspar Noé, un recours contre son visa aux moins de 16 ans est « probable ». Malgré les dénégations du ministère, on suppose que c’est cette forte probabilité qui a incité Fleur Pellerin a demandé à la commission de classification du CNC de revoir sa recommandation pour le film, craignant, après l’affaire Saw, un nouveau camouflet en cas de recours. Une demande qui a scandalisé la profession.

Comment un homme seul - ou presque - a-t-il acquis une telle influence ? On a cherché à en savoir plus sur cet avocat un temps affilié politiquement à Bruno Mégret (il figurait sur la liste du MNR aux municipales d'Avignon en 2001), défenseur des « valeurs judéo-chrétiennes », ardent combattant du mariage homosexuel, bref, représentant un courant combattu par une majorité de la classe politique, de droite comme de gauche. Très discret dans les médias, André Bonnet a accepté de nous répondre, à condition que ce soit par écrit pour que ses propos ne soient pas déformés. Si l’on est en désaccord avec les idées de l’homme, on peut toutefois reconnaître qu’il pointe un dysfonctionnement manifeste du système.   

Quand a été créé Promouvoir et dans quel but ? On trouve très peu d’information sur l’association…
L’association a été créée en 1996 à Carpentras et compte plusieurs centaines de membres à travers la France. Son objet est, en résumé, de défendre la dignité de la personne humaine et de protéger les mineurs, à travers la « promotion des valeurs judéo-chrétiennes », d’où son nom. Personnellement j’ai cessé d’en être animateur en 2004, en raison de mes fonctions, et en particulier de ma candidature au cabinet du président de la Cour de justice des Communautés Européennes – candidature retenue, avant que mon recrutement soit purement et simplement annulé justement en raison de cette appartenance à l’association, qui venait d’obtenir l’annulation du visa du film Ken Park, à tendances pédophiles. Lorsque j’ai quitté mes fonctions de haut magistrat, en 2013, par objection de conscience, pour la profession d’avocat, l’association a tout naturellement demandé que je sois son conseil. D’après ce que je sais, le site de l’association est en reconstruction. Par ailleurs la partialité et le manque total de déontologie de trop de journalistes, par le passé, sont à l’origine de son refus, désormais, de consacrer du temps en pure perte à cette communication publique. 

Récemment le Conseil d’Etat vous a donné raison en retirant son visa à Saw Chapitre final et, dans son ordonnance, a rappelé la loi liée à la protection des mineurs, inscrite dans le Code pénal, qui est beaucoup plus restrictive que l’interprétation qu’en fait depuis de nombreuses années la commission de classification : considérez-vous cela comme une victoire personnelle ?
Il ne s’agit pas d’une simple ordonnance mais d’une décision publiée au recueil Lebon, conçue dès lors pour faire jurisprudence. Oui, c’est le fruit d’un travail personnel mené également avec succès en 2014 devant le tribunal administratif de Paris pour les films Nymphomaniac vol.1 et vol.2. Cela dit, le Conseil d'Etat a simplement appliqué les textes tels qu’issus d’un décret de 2003, qui sont très clairs, même si la commission de classification les viole constamment, et ceci de manière volontaire et cynique, puisque dans l’un de ses derniers rapports publics elle se réfère aux principes mêmes rappelés par le Conseil d'Etat... pour mieux les ignorer ensuite. 

>>> Le visa de Saw 3D annulé : explications et conséquences

Pensez-vous que les textes (et notamment l’article 227-24 du code pénal) sont adaptés et qu’il suffirait qu’ils soient mieux appliqués (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui comme le laisse entendre le Conseil d’Etat dans sa décision sur Saw Chapitre final) ou estimez-vous qu’il faut durcir la loi ?
Je vais essayer de résumer aussi simplement que possible ce dont il s’agit. Jack Lang, lorsqu’il était ministre de la culture, avait de manière irresponsable supprimé la possibilité d’interdire des films aux mineurs de 18 ans, sauf classement en « X ». Lorsque le film Baise-moi a été déféré au Conseil d'Etat, ce dernier a constaté que, dès lors qu’il ne pouvait être montré aux mineurs en raison de l’article 227-24 du code pénal, compte tenu des scènes pornographiques et d’extrême violence qu’il contenait, ce classement en X était la seule solution (décision n° 222194 du 30 juin 2000, en formation solennelle). En 2003, un décret est donc intervenu, permettant à nouveau dans un tel cas de choisir entre le « X » et la « simple » interdiction aux moins de 18 ans. Le problème est que les membres de la Commission, d’abord, et la cour administrative d'appel de Paris ensuite, ont refusé d’appliquer ce texte, en continuant de dire que, dès lors que le film avait un autre propos que de pure pornographie ou d’incitation à la violence, il était loisible de lui choisir tout autre classement, en se fondant subjectivement sur les intentions du réalisateur, sur la communication ayant entouré la diffusion du film etc. Le rappel du Conseil d'Etat dans la décision SAW 3D consiste donc simplement à demander que les textes soient respectés et que, lorsqu’un film comporte des scènes à caractère pornographique ou de grande violence, son propos et son environnement artistique n’importent pas : les mineurs ne doivent pas se voir autoriser à le visionner, le visa cinématographique devant protéger la jeunesse. L’équilibre actuel est donc satisfaisant, à une remarque près, importante : la protection de la jeunesse ne se limite pas à la question de la pornographie ou de la violence. Certains enfants (6-9 ans) ont ainsi été gravement choqués par la séquence de morts vivants du premier Pirates des Caraïbes, classé tous publics, ou par le dernier Jurassic World, selon les témoignages d’exploitants de salles, film classé de même, sans aucun avertissement, ce qui est consternant.

Que répondez-vous aux gens qui pensent que les visas de classification des films ne font que pénaliser la sortie au cinéma, à partir du moment où les films sont visibles en dvd quatre mois après leur sortie, disponibles en VOD, en téléchargement (légal ou illégal), que le visa de censure n’a plus vraiment de rôle coercitif, ou alors très circonscrit à l’exploitation en salles ?
Qu’ils se trompent. D’une part, le visa a un impact direct ensuite sur la diffusion en DVD et à la télévision. La loi impose ainsi, lorsqu’un film fait l’objet d’une interdiction (a fortiori aux moins de 18 ans), que cette interdiction figure non seulement sur les emballages des DVD mais également sur les galettes elles-mêmes (ce qui n’est pour l’instant jamais le cas). Pour la télévision, un film interdit aux moins de 18 ans sera exclu par le CSA des tranches horaires profitables et devra voir sa diffusion cryptée dans la plupart des cas. Ce qui explique la rage des producteurs contre la décision Saw chapitre final, car ils savent qu’elle va leur faire perdre de l’argent, la protection des mineurs étant le cadet de leurs soucis. D’autre part, il est important pour des mineurs d’avoir des repères venant des autorités publiques : cela peut leur permettre de comprendre pourquoi ils ont été choqués par telle image, et qu’ils avaient de bonnes raisons à cela, quoi qu’en disent leurs matamores de « copains ». Enfin, c’est un guide pour les parents qui n’ont souvent pas le temps d’éplucher les critiques avant d’emmener leurs enfants dans un cinéma, ou de retirer un DVD en médiathèque. Le cas s’est présenté récemment pour un DVD La Vie d’Adèle, qui a gravement choqué une fillette de 12 ans et demi, affaire qui va sans doute finir au pénal.

Vous êtes avocat, vous avez souvent vu vos requêtes aboutir. A votre avis, qu’est ce qui ne fonctionne pas dans le système actuel pour que le Conseil d’Etat aille contre l’avis du ministère de la culture aussi fréquemment ? 
Le ministre est tétanisé, parfois, parce qu’il n’est pas cinéphile et hésite à remettre en question l’avis de la Commission. Il est également soumis aux pressions commerciales des producteurs : souvenez-vous par exemple des protestations de Ségolène Royal, en juin 2013, reprochant à Aurélie Filipetti d’avoir cédé pour Only God Forgives, et de n’avoir pas interdit ce film aux mineurs, pour de simples raisons financières. Le plus souvent, cela dit, le ministre partage les choix idéologiques de la Commission, dont il nomme les membres sans véritable contrôle de leur qualification. Il faut savoir que plusieurs membres de la Commission actuelle sont censés être des « experts » y compris médicaux, en matière de protection de l’enfance, et qu’ils ne justifient pourtant d’aucun titre dans ce domaine, ou que d’autres sont parties prenantes, toujours en tant « qu’expert indépendant » dans la commercialisation des films (par exemple via Allo Ciné). Le summum est atteint avec le nouveau texte en la matière, qui permet de nommer n’importe qui, sans aucun critère, dans les « comités de classification ». 

Quel serait le système idéal selon vous d’attribution d’un visa de classification ?
Il n’existe pas d’idéal dans ce domaine, car la question fondamentale est d’ordre intérieur : il faut connaître les plus jeunes, les aimer, et avoir gardé suffisamment de fraîcheur soi-même pour anticiper ce qui peut leur faire du mal, sans tomber dans le puritanisme, ni dans la naïveté. Avant la réforme récente, l’organisation de la commission était bonne (des professionnels, des experts, des responsables d’associations familiales ou liées à la protection de l’enfance). Ce qui pose problème c’est à la fois le choix des personnes comme mentionné à l’instant, mais également le mode de fonctionnement : pas de votes secrets alors que ce devrait être la règle dans les cas importants, et des pressions psychologiques graves sur les membres qui ne seraient pas acquis au libertarisme ambiant.

Dans une interview, vous expliquez que les films que vous attaquez sont souvent « ennuyeux ». C’est un point de vue très subjectif : est ce que la qualité d’un film peut entrer en ligne de compte dans votre action ?
L’aspect ennuyeux n’a rien à voir avec la classification. Mais trop de critiques ont encensé des films pour des raisons idéologiques, et leurs écrits ont ensuite été mis en avant pour défendre ces films devant le tribunal (à tort). Aimer un film ne m’empêcherait pas, à titre personnel, d’accepter de déférer son visa, si l’une ou l’autre des associations que je défends (par exemple l’Action pour la Dignité Humaine, à Lyon) me le demandait. Pour prendre un exemple récent (parmi bien d’autres) le film de George Miller Mad Max : Fury Road est excellent dans son genre, mais il n’aurait jamais dû être autorisé tous publics avec un simple avertissement ! Je ne sais si je serai mandaté pour ce film, mais c’est une illustration de l’irresponsabilité grave de la Commission, laquelle (autre cas récent) a failli à une ou deux voix près proposer « tous publics » pour 50 nuances de Grey (dont le simple visa – 12 ans est d’ailleurs aujourd’hui contesté au contentieux).

>>> 50 Nuances de Grey ne sera interdit qu'aux moins de 12 ans

Dans la même interview, vous attaquiez la commission de classification au nom de son opacité, et vous soupçonniez que derrière se cachaient des gens à l’idéologie « post soixante huitarde » que vous réprouvez. N’êtes-vous pas aussi, dans votre action, au service d’une idéologie ? J’ai vu que vous avez participé aux Manif pour tous. Au-delà de la protection de, n’y a-t-il pas un combat plus large que vous menez, et dont cette action ne serait qu’un instrument ?
L’actuel président de la Commission, M. Jean-François Mary, n’est autre que l’ancien responsable du service de presse de l’Elysée sous Mitterrand, nommé au Conseil d'Etat peu avant la défaite socialiste de 1995, et avant lui c’était Mme Sylvie Hubac, directrice de cabinet de François Hollande jusqu’en décembre dernier, et ainsi de suite. Ce n’est pas anodin, car la culture et l’emprise sur la jeunesse ont toujours été des objectifs prioritaires dans certains milieux de pensée très impliqués politiquement.Par ailleurs, pourquoi un « instrument » ? C’est étrange comme votre question semble à l’avance exclure toute sincérité de la part de ceux qui disent vouloir protéger les plus jeunes ! Ne m’en veuillez pas, car je crois que c’était sans intention maligne de votre part, mais cette question illustre une vision selon laquelle tous ceux qui ne vont pas dans le prétendu « sens de l’histoire » seraient sans convictions nobles et incapables de désintéressement. Par ailleurs, et c’est cette fois en tant que philosophe que je vous réponds également ici, le propre d’une idéologie est de ne pas se soucier de la réalité et de tourner à vide dans sa propre sphère rationnelle, à la manière du fou de Chesterton. Mon action n’a rien à voir avec cela, puisqu’il s’agit de défendre une réalité, celle de la vulnérabilité des jeunes. Et c’est également cette défense de la réalité et de la vérité qui m’a conduit à m’associer à la cause défendue par la Manif pour tous. 

L’interdiction d’un film aux moins de 18 ans est devenue un couperet depuis la fermeture des salles de cinéma dédiées, et a des conséquences désastreuses sur son exploitation en salles et ses diffusions télé. Que pensez-vous de ce problème ?
Pourquoi les producteurs de ces films aujourd’hui en débat veulent-ils absolument montrer des scènes destructrices aux plus jeunes ? « Pour l’argent » ? C’est donc cela, vraiment, le fin mot des protestations actuelles, derrière les proclamations en faveur de la liberté d’expression ? Si le sujet d’un film est adulte, et qu’il est tourné pour des adultes, avec des scènes à l’égard desquelles seuls des adultes peuvent adopter la distanciation nécessaire, il doit faire une carrière en accord avec ce choix initial. Ces producteurs devraient peut-être cesser de se repaître de la seconde partie des Liaisons dangereuses de Laclos. Et prendre exemple sur leur prédécesseurs, qui étaient capables de tourner des chefs-d’œuvre pour adultes sans tomber dans la pornographie ni l’extrême violence. 

A votre avis, pourquoi la ministre de la culture a envisagé de reconsidérer l’interdiction de Love avant de se ranger à l’avis de la commission ? Est-ce que vous pensez que l’action de l’association PROMOUVOIR a joué un rôle dans ce doute ? Si oui, y trouvez-vous un motif de satisfaction ?   
Il est évident que le ministre a craint une action des associations Promouvoir et ADH. Il a eu raison. 

Comptez-vous voir Love ?
A titre personnel, non. Si l’association estime qu’un recours doit être envisagé, ce qui est probable, il le faudra bien, car j’ai pour principe de ne parler que de ce que je connais. Mais l’idée n’est pas de s’en prendre à tout ce qui passe ! Simplement d’obtenir que l’administration fasse son métier et n’utilise pas les pouvoirs qui lui sont conférés dans des buts contraires à leur objet même.

Agissez-vous uniquement au nom de votre association ou pensez-vous vous faire le relai d’une voix plus large ?
Ce n’est pas le buzz qui est recherché : mais une amélioration réelle de la protection des jeunes. La publicité médiatique m’importe peu, je sais à quel point elle est éphémère et, pardonnez-moi, peu signifiante.

Quels sont vos films préférés ? 
Je préfèrerais dire les films qui m’ont marqué ou vraiment amusé : mais il y en a tant ! En vrac, et parmi bien d’autres :Citizen Kane (Welles), Le désert des tartares (Zurlini), La prisonnière du désert, L’homme tranquille (Ford), Un air de famille (Klapisch), Raisons et sentiments (Lee), Aliens, le retour (Cameron), Blade runner (Scott), Pitch black (Twohy), La chatte sur un toit brûlant (Brooks), Le Seigneur des anneaux version longues (Jackson), Les grands espaces (Wyler), Miracle en Alabama (Penn), L’aventure de Mme Muir ou Eve (Mankiewicz), Une place au soleil (Stevens), Horizons lointains (Howard), Soleil de nuit (Hackford), Le vent se lève (Miyasaki), Le tombeau des lucioles (Takahata), Stars in my crown (Tourneur), Retour à Howards End, Les Vestiges du jour (Ivory), Voyage au bout de l’enfer (Cimino), Le voile des illusions (Curran), Chantons sous la pluie (Donen & Kelly), Inception (Nolan) etc, etc. La liste pourrait encore être longue !