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Le film de Ramin Bahrani produit sans doute le discours le plus éloquent sur les conséquences de la crise des subprimes.

Canal + diffusera 99 Homes ce soir à partir de 21h, juste avant un documentaire sur les élections américaines. Nous republions à cette occasion notre critique détaillée de ce film captivant porté par Michael Shannon et Andrew Garfield (qui sera par ailleurs dès demain à l'affiche de Tu ne tueras point, de Mel Gibson), que nous comparions à The Big Short, autre critique de la crise économique récente que la chaîne proposera demain soir, mercredi 9 novembre, également à 21h.

The Big Short retrace la période pré-2008 qui a conduit à l’effondrement de la finance mondiale - la fameuse crise des subprimes et ses millions de victimes. 99 Homes raconte ses conséquences : les Américains évincés à tour de bras de leurs logements saisis par les banques, qui leur avaient accordé des prêts hypothécaires qu’ils ne sont plus en mesure de rembourser. Soit Andrew Garfield, ouvrier au chômage vivant avec sa mère et son fils, et Michael Shannon, agent immobilier devenu expulseur professionnel pour le compte des banques, qui prend sa commission sur la revente des biens saisis. Après s’être fait expulser par le second, le premier, à cours de recours et de ressource, accepte de travailler pour son bourreau dans un élan faustien désespéré. Le gentil et le méchant se retrouvent finalement à mi-chemin, dans leur humanité : l’ouvrier au chômage prêt à quelques concessions morales pour subvenir aux besoins de sa famille, l’agent immobilier sans scrupule capable de tendre la main aux plus démunis.

Michael Shannon, un acteur très spécial

Dans une dialectique permanente entre le bien et le mal, la morale et la nécessité, le scénario de Ramin Bahrani est d’une rare intelligence et parvient à peindre un tableau ahurissant et scandaleux de l’Amérique sans faire la leçon, à faire exploser sa colère sans perdre sa lucidité et sa crédibilité. La minutie avec laquelle il expose et met en scène son sujet rend la démonstration particulièrement convaincante : le processus d’expulsion, avec l’avis, les sommations, l’intervention de la police, les deux minutes chrono pour emporter l’essentiel avant de quitter les lieux, les déménageurs qui opèrent dans la foulée, le formulaire à signer, la réclamation à adresser…, tout s’enchaîne en temps réel et produit un effet de réalisme très fort. Le timing implacable de la procédure et sa répétition au cours du film soulignent sa systématisation dans l’Amérique post-2008 - l’expulsion est une formalité bien rodée - et son inhumanité. Mais 99 Homes n’est ni angélique ni misérabiliste, et personne n’est épargné : les banques, les juges, les institutions (et leur absence, surtout), les magnats voyous de l’immobilier et les petits agents qui bouffent leurs miettes, mais aussi en bout de chaîne les consommateurs américains qui achètent des choses dont ils n’ont pas besoin avec de l’argent qu’ils n’ont pas et sont donc en partie responsables de leur misère, comme le souligne le redoutable Michael Shannon en interview :


Malgré toutes ses qualités, son casting et la force de son sujet (pas ou peu traité par le cinéma), le film de Ramin Bahrani, présenté en 2014 à la Mostra de Venise et lauréat du Grand Prix du dernier festival de Deauville, est sorti en catimini aux Etats-Unis et n’est distribué qu’en e-cinéma en France.