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Les deux réalisateurs commentent cinq films qui ressemblent au leur, de près ou de (très) loin.

Surprenant, paradoxal, émouvant, Anomalisa utilise l’animation pour raconter la rencontre éphémère de deux âmes solitaires. Une chose est sûre, ce n’est pas un film pour enfants. Charlie Kaufman et Duke Johnson, les deux réalisateurs, s’en expliquent en commentant cinq films qui ressemblent au leur, de près ou de (très) loin. 

Fight Club de David Fincher (1999)

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Charlie Kaufman : J’aime bien Fight Club. On en a parlé tous les deux. Mais je n’y ai pas pensé en écrivant le script. Le ton n’a rien à voir avec ce que j’ai écrit. Ceci dit, je me suis toujours intéressé aux thèmes du double, des triples, des doppelgängers, et sur ce point, je me sens quelques affinités avec Fight Club. Ce que je préfère dans le film de Fincher, c’est la prise de conscience que Marla n’est pas la personne que vous pensiez. Et en revoyant le film, vous trouvez des indices qui vous dirigent dans ce sens. C’est un merveilleux échantillon de narration cinématographique. Il y a aussi la question du point de vue, qui est très important pour moi. Je crois que la seule règle à respecter dans ce domaine, c’est d’être constant et de ne jamais quitter le personnage que vous avez choisi de suivre. J’ai fait ça avec Synecdoche, New York, à une seule exception près. Nous avons tourné Anomalisa en fonction de ce parti pris, ce qui peut être assez déroutant, parce qu’il n’y a pas de plan d’exposition par exemple. Ca contribue à l’impression de claustrophobie.

Mary et Max d’Adam Elliott (2009)

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Duke Johnson : Je l’avais en tête. Le producteur Dino Stamatopoulos, qui m’a apporté le script d’Anomalisa, est passionné par l’animation en tant que mode d’expression non nécessairement limité aux enfants. Il adore ce film, moins comme une influence que comme un exemple de cette conception de l’animation. C’est aussi une inspiration dans la mesure où son existence prouve que c’est possible. Mais nous voulions atteindre un autre niveau. Mary et Max a encore un peu l’air d’un film pour enfants, parce qu’il est très cartoonesque.
CK : Nous avons essayé de créer un monde qui ne ressemblerait pas à un film pour enfants. Avec des marionnettes qui pourraient être aussi réalistes que possible tant dans les gestes que les expressions faciales. C’est pourquoi nous avons choisi ce type d’animation pour les visages, avec des plaques amovibles réalisées en impression 3D. Nous voulions que les marionnettes soient fidèles à l’histoire et que les voix soient raccord avec les personnages.  
DJ : En prises de vues réelles, des acteurs humains donnent leur interprétation d’une expérience humaine, mais cette expérience ne peut pas être authentique puisque c’est une reproduction. Alors que nous essayons d’exprimer une expérience humaine à travers la représentation d’une image humaine. Je ne sais pas si ça a du sens.
CK : Nous ne faisons pas semblant de ne pas faire semblant !

"Nous avons sans doute réalisé la scène de sexe la plus réaliste du cinéma"

Palindromes de Todd Solondz  (2004)

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CK : J’aime bien Todd Solondz, mais je n’ai pas vu celui-ci. C’est bien là-dedans que le même personnage est interprété par beaucoup d’acteurs différents? C’est une très bonne idée de varier les physiques, les races et les genres (Et les générations : Jennifer Jason Leigh avait trois fois l’âge du personnage à l’époque, ndlr) C’est un peu le contraire d’Anomalisa, mais avec Jennifer Jason Leigh. Je l’ai rencontrée pour la première fois en 2005 pour la pièce. Je trouvais qu’elle était une excellente actrice et je suivais sa carrière depuis longtemps. J’ai été très excité d’avoir l’occasion de travailler avec elle. Je lui ai proposé le rôle et elle a accepté. Je l’ai beaucoup appréciée autant sur scène qu’au cinéma (elle a joué plus tard en en 2008 dans Synecdoche NY). Elle est effervescente, facile à diriger et prend du plaisir à ce qu’elle fait.

Her de Spike Jonze (2013)

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CK : Je sens venir l’analogie : dans les deux cas, c’est l’histoire d’un type qui tombe amoureux d’une voix. Techniquement, c’est admissible, mais je ne le vois pas ainsi. J’ai écrit la pièce spécifiquement pour que des voix expriment des distinctions entre le personnage principal et le reste du monde. Les voix étaient le moyen que j’ai choisi pour le faire. J’ai ensuite traduit ces choix stylistiques en termes visuels pour le film. Mais Lisa n’est pas un logiciel. Elle est un être humain. C’est une distinction majeure. Philosophiquement les deux films posent des questions totalement différentes.
DJ : C’est très différent. Il y a bien des thèmes universels de solitude, la nature de l’amour, le désir de se lier. Mais c’est valable pour beaucoup de films.
CK : Il ne s’agit pas d’une personne humaine dans Her. Spike Jonze s’interroge sur ce qu’est l’intelligence artificielle. Peut-être qu’il utilise la question pour traiter de la solitude. Mais la solitude est une condition humaine assez commune.

Vice Versa de Pete Docter (2015)

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CK : Je ne peux pas en parler avec autorité parce que je ne l’ai pas vu, à part des extraits dans la bande-annonce. Je connais quand même le sujet.
DJ : Il me semble que raconter ce qui se passe dans la tête d’une petite fille - comme c’est le cas dans Vice Versa -, et raconter une histoire du point de vue d’un personnage - comme nous le faisons dans Anomalisa - sont deux choses différentes. Entrer dans la tête de quelqu’un et observer ce qui s’y passe est une personnification inversée d’émotions.
CK : Il y a aussi une grande différence d’économie. Notre film a été fait sans argent dans un garage, et l’autre pour 175 millions de dollars par une grande entreprise. Ils ont des impératifs de rentabilité et sont soutenus par une énorme campagne marketing. Nous n’avons pas eu besoin de faire ça et ça ne nous intéressait pas. Par ailleurs, Anomalisa est délibérément un film adulte. Il a plus de rapports avec d’autres films classés R qu’avec un film pour enfants.

Anomalisa Vs. Vice Versa aux Oscars : Charlie Kaufman et Duke Johnson réagissent

Anomalisa de Charlie Kaufman et Duke Johnson sort le 3 février dans les salles.