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Le dernier film de Robert Redford, La Conspiration, sort directement en DVD en France après une carrière étonnamment discrète aux États-Unis. Pourquoi ? Comment ? Rencontre avec une légende d’Hollywood qui en a vu d’autres...Première : L’an dernier, à Toronto, La Conspiration avait été présenté comme un éventuel candidat aux Oscars avant de complètement disparaître des radars. Que s’est-il passé ? Robert Redford : Les studios n’en ont pas voulu. Pourtant, j’étais convaincu que cette histoire, assez méconnue finalement, méritait d’être racontée. Elle évoque le procès de Mary Surratt (incarnée dans le film par Robin Wright), qui fut accusée d’avoir conspiré l’assassinat du président américain Abraham Lincoln, tué d’une balle dans la tête par John Wilkes Booth. Ce qui m’intéressait le plus était la relation entre cette femme et Frederick Aiken (James McAvoy), un jeune avocat qui a fini par la défendre contre son gré... Ce soldat de l’Union et cette fille du Sud, impliquée dans le crime le plus odieux qui soit, n’avaient a priori aucune raison de s’entendre.C’est aussi un film sur la Constitution américaine qui parle de la manière dont un gouvernement décide de faire justice lui-même après avoir été attaqué. Une version costumée de Lions et Agneaux ? Comme le dit l’un des personnages dans La Conspiration : "En temps de guerre, la loi se tait." C’est vrai. La guerre change tout, y compris le positionnement moral des gouvernements. L’Amérique d’aujourd’hui a perdu une partie de son prestige sur la scène internationale. Notre appareil politique est cassé, la droite et la gauche sont entrées en conflit et, comme d’habitude, le peuple en subit les conséquences.Connaissez-vous la raison pour laquelle La Conspiration sort directement en vidéo en France ?Ça ne m’étonne qu’à moitié. C’est un tout petit film tourné avec très peu d’argent. Après la première projection à Toronto, on disposait d’un délai extrêmement court pour le distribuer aux États-Unis avant que ne débarquent les gros films de l’été 2011. On l’a donc sorti en avril dans un nombre réduit de salles. Compte tenu de la brièveté de son exploitation, on peut même dire qu’il ne s’en est pas trop mal tiré...Votre seul nom ne suffit plus ?Oh, que non ! Comme vous le savez, le marché est en pleine mutation. L’économie de notre pays est sérieusement ébranlée et les studios hollywoodiens, touchés de plein fouet, ont entièrement revu leur politique de production. Ils ne font plus que des divertissements pour ados ou des gros machins d’action à effets spéciaux en 3D... Je n’ai rien contre, c’est le nerf de cette industrie. Mais le fait est qu’il devient presque impossible pour le cinéma indépendant d’exister aujourd’hui, alors qu’il reste des films importants à faire sur la vie et la société américaines. Aux yeux des studios, La Conspiration n’avait aucun attrait commercial. Pas d’action, trop de costumes... Ça ne répondait pas à leurs critères.Il paraît que le public américain ne digère plus la fiction historique au cinéma, à moins d’y ajouter des dragons...(Rire.) Voilà ! Mais je vais vous dire une chose... Lorsqu’on a lancé le festival de Sundance à Park City en janvier 1981, il y avait une seule salle de cinéma, vingt- cinq films en compétition et environ deux cents spectateurs. Aujourd’hui, 60 000 personnes viennent chaque année, une centaine de films sont montrés et le festival rapporte environ 70 millions de dollars à l’économie locale. Il y a beaucoup d’argent en jeu, il ne faut pas se leurrer... Et ce que je remarque de plus en plus, c’est que les gens viennent à Sundance pour découvrir des films qu’ils ne pourraient pas voir dans les circuits de distribution traditionnels. Ce public ouvert à un cinéma différent, qui a soif d’histoires adultes et exigeantes, existe bel et bien. Qu’on ne vienne pas me raconter le contraire...Est-ce que la situation actuelle vous affecte en tant que réalisateur ? Avez-vous toujours la même soif de tourner ?Le propre de l’artiste est de trouver des moyens de continuer à travailler coûte que coûte. Donc j’en trouve... Dans mes films, j’aime montrer ce qui transpire sous le vernis de l’American way of life. J’observe la façon dont le pouvoir en place touche l’individu moyen, je gratte un peu cette surface plane qu’on présente à la population comme une vérité établie. De Votez McKay à Quiz Show en passant par Les Hommes du président, c’est ce que j’ai toujours fait. Et je continue puisque je viens d’entamer la production de The Company You Keep, un film sur le Weather Underground, ce mouvement radical américain qui s’est élevé contre la guerre du Vietnam dans les années 70 avant d’être contraint à la clandestinité.Interview de Benjamin Rozovas